incidence du mésothéliome dans les registres de cancers

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BULLETIN EPIDEMIOLOGIQUE HEBDOMADAIRE

N° 12 – 18 mars 1996

INCIDENCE DU MESOTHELIOME DANS LES REGISTRES DES CANCERS FRANÇAIS

ESTIMATIONS FRANCE ENTIERE

F. MENEGOZ, P. GROSCLAUDE, P. ARVEUX, M. HENRY-AMAR, P. SCHAFFER, N. RAVERDY, J.-P. DAURES

Travail réalisé par le réseau F.R.A.N.C.I.M. des registres français des cancers

INTRODUCTION

Substance largement utilisée dans l'industrie, en particulier comme isolant thermique, l'amiante connaît aussi une grande dispersion dans la population générale, du fait de sa présence dans les matériaux de construction des bâtiments d'habitation ou dans les véhicules automobiles (plaquettes de freins). Or, l'amiante est considérée comme facteur causal dans près de 80 % des cas de mésothéliomes (1), tumeurs au pronostic particulièrement sévère dont la survie moyenne est de 2 ans. Cette tumeur qui touche surtout le sexe masculin se développe principalement au niveau de la plèvre, mais aussi au niveau du péritoine et dans quelques autres localisations plus rares.

À ce sujet, le Lancet publiait le 4 mars 1995 un article de Julian Peto (2) qui prévoit une forte augmentation des mésothéliomes en Angleterre, avec un pic de 2700 à 3300 décès annuels en 2020, alors que ce chiffre n'est que de 770 en 1991.

Parallèlement au mésothéliome qui touche principalement la plèvre, l'amiante est aussi responsable de cancers bronchiques, dans un rapport qui peut aller de 1,5 à 4 entre les 2 types de tumeurs (Pezerat). Les données disponibles sont respectivement :

- les certificats de décès, mais qui ne permettent pas de faire la distinction entre les cancers de la plèvre qui sont véritablement des mésothéliomes et les autres tumeurs primitives de la plèvre ;

- les registres des cancers qui permettent de disposer de données fiables sur les diagnostics, du fait de la vérification des données anatomopathologiques.

 

MATÉRIEL ET MÉTHODES

La France dispose, depuis le début des années quatre-vingt, de registres de pathologie, le plus souvent sur une base départementale, qui enregistrent les tumeurs malignes au fur et à mesure qu'elles apparaissent dans la population générale.

Bien implantés dans le milieu médical, ces registres des cancers mettent à contribution de manière active les structures de soin et de diagnostic, ce qui leur permet d'approcher l'exhaustivité, avec des informations de bonne qualité, et de produire de manière régulière les chiffres d'incidence pour les différents types de cancers (4, 5). Les données d'incidence présentent 2 avantages sur les données de mortalité pour la surveillance du mésothéliome : d'une part, elles connaissent le diagnostic anatomo-pathologique exact, et d'autre part elles sont capables de différencier les tumeurs primitives de la plèvre des tumeurs métastatiques. Les registres français des cancers se sont regroupés dans le réseau F.R.A.N.C.I.M. (FRANce- Cancer-Incidence et Mortalité) et collaborent à de nombreuses études et travaux dans les domaines de l'épidémiologie descriptive et analytique (6).

Registres utilisés : Bas-Rhin (1979-1991), Doubs (1979-1993), Calvados (1978-1990), Hérault (1986-1992), Isère (1979-1992), Somme (1982-1992), Tarn (1982-1992). Ces 7 registres correspondent en 1987 à 5 500 000 individus,

soit 9,5 % de la population française.

Dans la présentation qui suit, les analyses de tendance du mésothéliome sont faites sur la période 1979-1990, mais des estimations seront présentées à plusieurs reprises, prenant en compte les années 1991 et 1992. Les tendances ont été testées par un modèle loglinéaire, en analyse multivariée après ajustement sur l'âge et sur les départements (7), Ces calculs de tendance, ainsi que les estimations de l'incidence pour la France entière seront réalisés pour le sexe masculin seul, qui est concerné par 80 % des mésothéliomes.

RÉSULTATS

Incidence : Dans les 7 registres, pour la période 1975-1990, le nombre total de mésothéliomes était de 235 pour les 2 304 700 hommes et de 58 pour les 2 417 400 femmes, soit un taux d'incidence brut moyen sur toute la période de 0,97 nouveaux cas par an pour 100 000 hommes et de 0,23 pour les femmes.

Tendances : Du fait du petit nombre de cas, les taux standardisés pour l'homme (population européenne) sont très variables d'une année sur l'autre, avec des chiffres qui se situent entre 0,22 et 1,8. De manière à stabiliser les variations aléatoires de ces taux, nous les avons regroupés par périodes de 3 ans.

Pour tous les registres français réunis, l'augmentation globale de l'incidence était de + 25 % par période de 3 ans, entre 1979 et 1990 (p < 0,001). Si l'on prend pour référence le taux d'incidence de la première période (0,7/100 000), le risque relatif ajusté pour l'âge et le département passe de 1 en 1979-1981 à 1,7 en 1982-1984, à 2,0 en 1985-1987 et à 2,2 en 1988-1990. Cette tendance à l'augmentation est retrouvée dans tous les départements.

Topographies : Bien que touchant le plus souvent la plèvre (89 % le mésothéliome est aussi rencontré dans le péritoine (6 %), et beaucoup plus rarement dans d'autres localisations.

Généralisations à la population française : Les extrapolations à la France entière reposent sur le postulat qu'il existe, dans une population définie, un rapport constant entre la mortalité et l'incidence, pour une tumeur donnée, à sexe et âge égal (8). De manière schématique, lorsque ce rapport a été calculé dans les départements où se trouvent les registres, on s'en sert pour estimer l'incidence à partir de la mortalité dans la France entière. Ces estimations doivent tenir compte des limitations des certificats de décès qui connaissent les topographies mais ne connaissent pas les types histologiques.

Dans un premier temps nous estimerons donc l'incidence des tumeurs primitives de la plèvre, pour en déduire dans un deuxième temps l'incidence du mésothéliome.

Les registres français ont observé en incidence 281 tumeurs primitives de la plèvre, alors que l'INSERM donnait, pour les mêmes départements et pendant la même période (1975-1990), 357 décès par cancers de la plèvre. Cet excès de décès par rapport aux cas incidents s'explique principalement par le décompte, dans les décès par cancer de la plèvre, de cancers métastatiques de primitif inconnu, phénomène qui ne se produit pas pour les chiffres d'incidence (9).

Si le rapport mortalité/incidence (357/281) est le même pour la France entière, on peut estimer (sans corrections pour l'âge) que les 6 937 décès par cancer de la plèvre observés de 1975 à 1990, correspondent à :

(6937/357) x 281 = 5 460 tumeurs Primitives

Si la proportion des mésothéliomes parmi ces tumeurs primitives est la même pour la France entière que pour les registres (soit 77 %), on peut estimer le nombre de mésothéliomes apparus en France entre 1975 et 1990 (16 ans), à 4 216 cas, soit une moyenne de 263 cas par an.

On peut vérifier ce chiffre en appliquant le taux d'incidence brut observé pour le mésothéliome chez l'homme, à la population française masculine, soit : (0,97*25 000000)/100 000 = 242 nouveaux cas par an, ce qui n'est pas très différent du chiffre précédent.

Pour avoir une idée de l'évolution du mésothéliome sur toute la période, que ce soit dans les 7 registres ou dans la France entière, on pourra considérer les tableaux 1 et 2, qui intègrent aussi des années plus récentes quand les registres ont pu les fournir. Les dernières lignes du tableau 2 permettent d'apprécier la proportion des décès par cancer de la plèvre déclarés par l'INSERM qui correspondraient véritablement à des mésothéliomes. Si cette proportion qui tourne autour de 80 % n'est que de 49 % en 1979-1981, cela est vraisemblablement dû à une certaine méconnaissance du diagnostic de mésothéliome à cette époque. Cet écart est aussi visible sur la courbe du graphique 1. La dernière ligne du tableau 2 indique le nombre de cas estimés pour chaque année entre 1979 et 1993. Pour le sexe masculin, on dénombre 180 cas en 1979-1981, pour arriver à 480 cas en 1991-1993, soit près de 3 fois plus en 15 ans.

Tableau 1. - Nombre de mésothéliomes incidents (tous sites réunis) dans les registres de F.R.A.N.C.I.M. (période 1979-1992)

  1979-1991 1982-1984 1985-1987 1988-1990 1991 et 1992 (1)
Bas-Rhin 7 23 17 15 (*)
Doubs 4 5 10 9 13
Calvados 5 4 9 12 (*)
Isère 13 16 17 26 26
Tarn (*) 4 2 5 5
Somme (*) 4 11 7 7
Hérault (*) (*) 11 11 14
(1) Données sur 2 ans (*)
Chiffres non disponibles.

I. - Incidence des mésothéliomes et mortalité par cancer de la plèvre dans les registres en France. Taux standardisés (standard européen).

Il. - Estimation du nombre annuel de rnésothéliomes en France (hommes)

 

Période 1979-1981 1982-1984 1985-1987 1988-1990 1991-1993
Mésothéliome
(incidence dans les registres français
taux pour 100000)
0,7 1,1 1,3 1,3 1,6
Plèvre :
(mortalité dans les registres français
taux pour 100000)
1,4 1,3 1,9 1,6 1,9
Plèvre :
Nombre de décès observés en France
(chiffres I.N.S.E.R.M.)
1075 1319 1577 1750 1743
Mésothéliome :
Estimations des cas incidents pour les
3 années de la période (France entière).
530 1090 1108 1442 1437
Mésothéliome :
Estimations des cas incidents par an
dans la période (France entière)
177 363 369 481 479

DISCUSSION

Le rapport de l'association ALERT (3), suggère non pas une augmentation de la fréquence des mésothéliomes, mais une augmentation de la mortalité par cancer de la plèvre, à partir des données de mortalité publiées par l'INSERM. Le chiffre de 902 cas durant l'année 1992 pour la France entière est de 30 % plus élevé que l'estimation que nous avons faite pour le mésothéliome durant cette même année, avec 480 cas masculins et 120 cas féminins, soit un total de 600 cas par an. Nous avons pu montrer aussi que 8 % des mésothéliomes chez l'homme, et 26 % chez la femme ont une localisation anatomique autre que la plèvre.

En moyenne, sur la période 1975-1990, le mésothéliome reste une tumeur rare, avec une incidence de 1 cas pour 100 000 hommes et par an. Notre rapport confirme une augmentation significative de l'incidence, sur une période de 12 ans (1979-1990), avec un risque relatif de 2,2 pour la dernière période (1988-1990) par rapport à celle de 1979-1981. Comme dans toute étude longitudinale à caractère rétrospectif, cette observation soulève le problème de l'anatomo-pathologie, qui n'a pas obéi aux mêmes règles pour les périodes couvertes par l'étude. On a en effet assisté, au cours des années quatre-vingt, à la généralisation de l'immuno-histochimie, qui a conduit à notre avis, à une meilleure définition anatomo-pathologique de la maladie. De même au cours de cette période, l'utilisation de la biopsie pleurale est devenue plus fréquente. Le mésothéliome est donc aujourd'hui mieux diagnostiqué qu'en 1979-1981, ce qui peut expliquer en partie le faible chiffre d'incidence pendant cette période, et par voie de conséquence, accentuer la tendance à l'augmentation sur toute la période 1979-1990.

Les taux d'incidence du mésothéliome sont inférieurs à ceux que l'on peut calculer à partir des chiffres de Peto (2). Pour la France, l'incidence annuelle (standard européen) est de 1,3 (intervalle de confiance à 95 % : (1,0-1,61)) pour la période 1988-1990, alors que pour l'Angleterre (période 1987-1991), l'incidence standardisée est de 2,7 (I.C. à 95 % : (2,5-2,8)). On sait aussi qu'il existe en Angleterre de grandes variations d'une région à une autre. C'est ainsi qu'à Glasgow, au registre de l'Ouest de l'Écosse (10), l'incidence du mésothéliome a culminé à 6,9/100 000 en 1991, alors que dans le même registre, pour le district de Clydebank (48 500 habitants), on avait un taux d'incidence de 59,6/100 000 en 1989.

 

CONCLUSION

Au début des années quatre-vingt-dix, l'incidence estimée du mésothéliome pour les 2 sexes réunis est d'environ 600 cas par an pour la France entière. Notre travail montre que l'extrapolation faite à partir des certificats de décès codés 163 (plèvre) surestime probablement l'incidence du mésothéliome. L'analyse rétrospective des tendances confirme une augmentation ajustée pour l'âge et le département de 25 % tous les 3 ans.

La large dissémination de l'amiante dans la population générale et son pouvoir carcinogène aujourd'hui reconnu en font un problème de Santé publique qui appelle des réponses de la part des pouvoirs publics. Il semble nécessaire notamment de mettre en place un système de surveillance de la maladie, qui fasse appel aux registres des cancers pour l'incidence et à l'INSERM pour les données de mortalité. Quant à savoir si cet enregistrement doit se réaliser sur tout ou partie du territoire national reste un débat ouvert, mais il nous apparaît que l'enregistrement du cancer à l'échelon d'un pays de la taille du nôtre se heurtera à des problèmes méthodologiques importants, dans la mesure où il est difficile d'emporter l'adhésion et d'entretenir les motivations d'un grand nombre de correspondants dont on attend des informations régulières.

Il semble aussi important de s'assurer que les conditions d'un diagnostic solide soient réunies et notamment en anatomie-pathologie.

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BIBLIOGRAPHIE

(1) PEZERAT H. - Évaluer et réduire les risques dans les immeubles floqué à l'amiante. - Archives maladies professionnelles, vol. 56, n° 5. 374-84, 1995.

(2) PETO J., HODGSON J. T., MATTHEWS F. E., JONES J. R. - Lancet, vol. 345 : 535-39, March 4, 1995.

(3) BESSET J. P. - Le nombre de cancers dus à l'amiante menace de se multiplier, - Le Monde du 31 mai 1995.

(4) PARKIN D. M., MUIR C. S., WHELAN S. L., GO Y.-T., FERLAY J. and POWEL J. - Cancer incidence in five continents. - I.A.R.C. Scientific Publications, n° 120, Lyon, 1992.

(5) European Network of Cancer Registries. EUROCIM USER MANUAL, Second Edition. Lyon. International Agency for Research on Cancer, 1995.

(6) MENEGOZ F. - Les registres des cancers en France. - B.E.H., n° 35, p. 169-70, 1992.

(7) BRESLOW N. E. - Elementary Méthods of Cohorts Analysis. - International Journal of Epidemiology, 1984, 13, 112-15.

(8) BENHAMOU E., LAPLANCHE A., WARTELLE M., FAIVRE J., GIGNOUX M., MENEGOZ F., ROBILLARD J., SCHAFFER P., SCHRAUB S. et FLAMANT R. - Incidence des cancers en France : 1978-1982. - Paris. Éditions I.N.S.E.R.M., 1990.

(9) GROSCLAUDE P., MANOUVRIER C., BOULLE V., ROUMAGNAC M. - Les cancers vus par les certificats de décès et les cancers vus par un registre. Étude dans le Tarn. - Rapport technique du C.I.R.C., n° 7, mai 1989.

(10) IRVINE H. DE VOS. Letter to the Editor. - Lancet, vol. 35, p. 1233, May 13, 1995