registre français des mésothéliomes

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REGISTRE FRANÇAIS DES MÉSOTHÉLIOMES
1965-1978

J. BIGNON (1) P. SÉBASTIEN (2), L. DI MENZA (1) M. NEBUT (1) H. PAYAN (3)

  1.  Département de Recherches sur les Affections Respiratoires et l'Environnement, Faculté de Médecine de Créteil, Centre Hospitalier Intercommunal, 40, avenue de Verdun, 94010 Créteil.
  2. Laboratoire d'étude des Particules Inhalées, Direction des Affaires Sanitaires et Sociales clé Paris 37, boulevard Saint-Marcel, 75013 Paris.
  3. Département de Pathologie Cellulaire et Tissulaire, Faculté de Médecine, 27, boulevard Jean-Moulin, 13005 Marseille.

SUMMARY : French mesothelioma register 1965-1978.

A mesothelioma register was initiated in France in 1975 to record pathologists, cases diagnosed since 1965. These cases have been accepted as definite mesothelioma after histological reexamination by the mesothelioma panel. Histories of asbestos exposure have been recorded using a standardized questionnaire.

Among 699 cases reported, 296 were confirmed and 79 excluded by the panel. Twenty per cent of cases were females. Tumour was located in the pleura in 96% of cases. Age at death was lower for the mesothelioma group than for the general population. A linear increase of annual incidence since 1965 bas been observed. Mapping of cases showed irregular distribution with areas without any case. Distribution of cases according to asbestos exposure was the following : definite occupational history 50 %, definite non-occupational 3 %, possible occupational 31 %, undiscovered 16 %. Distribution of cases according to the latency period showed a two peaks-curve, median being 36 years.

The obvious under-reporting of cases and the absence of control group greatly affected the validity of some results.

Key words : mesothelioma ; register ; asbestos.

Résumé :

Le Registre Français des mésothéliomes fonctionne depuis trois ans avec mission de recenser les cas, nationaux diagnostiqués depuis 1965 et d'en étudier les caractéristiques. Le report des cas s'effectue par l'intermédiaire des pathologistes ; un collège d'experts est chargé de la vérification histologique ; les informations sur les caractéristiques des cas et leur exposition à l'amiante sont recueillies grâce à un questionnaire standardisé.

Sur 699 cas reportés par 82 pathologistes, 296 ont été acceptés comme mésothéliome par le collège et 79 exclus. La population des mésothéliomes comptait 20 % de femmes. La localisation de la tumeur était pleurale dans 96 % des cas. La majorité (96 %) des cas décédaient après 40 ans, leur espérance de vie par rapport à la population générale étant diminuée. L'augmentation de l'incidence annuelle depuis 1965 a été trouvée linéaire avec le temps. La répartition géographique des cas n'était pas uniforme, certaines régions étant vides de report. Les taux d'exposition à l'amiante étaient les suivants : professionnelle définie 50 %, non professionnelle définie 3 %, professionnelle possible 31 %, non retrouvée 16 %. Les cas exposés professionnellement se distribuaient d'une façon bimodale de part et d'autre d'une période de latence médiane de 36 ans.

Le report non systématique des cas ainsi que l'absence de population témoin affecte la validité de certains résultats.

Cette étude, réalisée en collaboration avec les experts du Registre des Mésothéliomes : R. ABELANET (Paris), A. FONDIMARE (Angers), M. JAGUEUX (Paris), A. Y. DE LAJARTRE (Nantes), F. LANGE (Créteil), M. NEBUT (Créteil), H. PAYAN (Marseille),

P. RENAULT (Paris), J. STOEBNER (Grenoble), J. TAYOT (Rouen), a été rendue possible grâce à l'aide des pathologistes suivants qui ont adressé leur matériel histopathologique en vue d'un réexamen par les experts : F. ADDOTI (Montfermeil), M. AUTIN (Clamart), P. AMOUROUX (Bobigny), M. F. AZARIO (Marseille), G. BALOUET (Brest), J. BARGES (Paris), A. BARIL (Saint-Etienne), F. BASSET (Paris), H. BASTIEN (Dijon), A. BAVIERA (Montfermeil), J. BELVAL (Perpignan), J. BERGER (Paris), E. BERTRAND (Angers), H. BOUISSOU (Toulouse), J. BOUTEILLER (Le Mans), V. BRUMPT (Saint-Laurent-du-Var), F. CABANNE (Dijon), J. CAMO (Perpignan), F. CARNOT (Paris), G. CASTELAIN (Paris), G. CHOMETTE (Paris), R. CHOUX (Marseille), J. CHRÉTIEN (Paris), J. DE BRUX (Paris), J. DELAGE (Clermont-Ferrand), C. DEMAY (Paris), J. DIEBOLD (Paris), M. DONRY (Toulouse), J. F. DUMON (Marseille); A. DUPREZ (Nancy), P. DUSSERRE (Dijon), J. FABRE (Toulouse), J. FEROLDI (Lyon), M. FERRAND (Rennes), Y. FONCK (Clermont-Ferrand), P. GALY (Lyon), G. GARRIGUE (Lyon), J. GOSSELIN (Lille), M. GRUCHY (Le Havre), J. C. HAMMON (Nice), P. JOBARD (Tours), J. P. KERNEIS (Nantes), J. LACHAIZE (Marseille), P. LANCRET (Créteil), M. LASSERRE (Monaco), P. F. LE GLAND (Paris), E. LEMAIGRE (Paris), F. X. LESBRE (Lyon), R. LIEUTAUD (Marseille). R. LOIRE (Lyon), M. MANGINCHEVAL (Paris), F. MARTIN (Clamart), P. MARTY (Bergerac), A. DE MASCAREL (Bordeaux), J. M. MEUNIER (Bordeaux), R. MICHIEL (Dijon), J. MUSSINI-MONTPELLIER (Rennes), L. ORCEL (Paris), Y. PINAUDEAU (Créteil), F. POTET (Paris), E. RAUBER (Nancy), J. ROLAND (Paris), J. ROUJEAU (Paris), P. ROUSSELOT (Caen), J. SAOUT (Lille), C. SIMARD (Angers), P. STOEBNER (Grenoble), M. TOGA (Marseille), R. TOURAINE (Lyon), I. VARETTE (Marseille), M. VERDIER (Toulon), J. M. VERLEY (Paris). Cette étude a été facilitée grâce à la collaboration du Service de Dépistage de la tuberculose et de prévention des maladies cardio-vasculaires du Dr G. BONNAUD.

INTRODUCTION

Les tumeurs primitives de la plèvre ou/et du péritoine sont rares et de diagnostic difficile. Par l'utilisation de registres nationaux, les cas de mésothéliome ont été recensés dans certains états industrialisés [1, 2, 3, 4] (Tableau I) Jusqu'à maintenant, de telles données n'étaient pas disponibles pour la France.

TABLEAU I. - Résultats publiés de 6 registres nationaux des mésothéliomes.

Référence

Etats Période Cas
McDonald and McDonald (1977) [1] Canada 1960-1972 312
Mac Donald USA 1972 245
Planteydt (1972) [2] Pays Bas 1969-1971 140
Greenberg and Lloyd Davies (1974) [3] Grande Bretagne 1967-1968 246
Cochrane and Webster (1978) [4] Afrique du Sud 1953-1977 711
Présente étude France 1965-1978 296

L'intervention de facteurs d'environnement dans l'étiologie du mésothéliome chez l'homme a été révélée par plusieurs séries d'études :

1° Des études épidémiologiques prospectives sur cohortes démontrant une fréquence accrue de cette tumeur chez les ouvriers de l'amiante [5, 6].

2° Des études épidémiologiques régionales décrivant une augmentation de l'incidence parmi les habitants au voisinage de sources polluantes par l'amiante [7, 8, 9, 10].

3° Des exploitations étiologiques rétrospectives retrouvant l'exposition à l'amiante dans des proportions variant de quelques % [11] à presque 100 % [4, 12] parmi les cas reportés dans des séries de mésothéliomes.

4° La constatation d'une incidence très élevée de mésothéliomes dans certaines régions de Turquie [131, apparemment sans contamination par l'amiante, mais dont l'environnement géologique renferme d'autres fibres minérales : les zéolites [14].

Lors de sa création en 1975 [15], le Registre Français avait trois objectifs :

1° recenser les cas de mésothéliomes afin d'en préciser l'incidence annuelle et son évolution dans le temps,

2° vérifier une relation causale avec l'exposition à l'amiante et aborder le problème des relations dose-effet,

3° rechercher éventuellement des facteurs étiologiques autres que l'exposition à l'amiante.

Après trois années de fonctionnement du Registre Français, le présent travail se propose d'exposer d'une façon critique la méthodologie épidémiologique utilisée et les résultats obtenus.

 

FONCTIONNEMENT DU REGISTRE

Le Registre comprend trois phases principales :

Le fonctionnement du Registre est schématisé sur la figure 1.

1. DÉPISTAGE DES CAS ET RECUEIL DU MATERIEL INFORMATIF

Schéma (transcription de la figure 1 de l'article original)

Les cas reportés par les pneumologues, les anatomo-pathologistes ou d'autres forment le groupe F1 : les lames histologiques sont demandées, elles seront non disponibles (F11) ou disponibles (F12), et classés après examen des lames par le collège : cas en attente (F123), cas exclus (F122) ou autres tumeurs primitives (F124), les cas confirmés étant classés F121.

Pour les mésothéliomes confirmés :

Si le questionnaire n'est pas exploitable : classement F1211, s'il est exploitable F1212 avec une enquête sur place (F12121) pour recherche d'une exposition à l'amiante ou une étude des caractéristiques de l'exposition (F121122).

Les cas avec questionnaire exploitable et tissus disponibles sont classés F1213, puis F1214 si un cas témoin a été obtenu, enfin F12141 en cas de biométrologie sur une paire avec cas-témoin.

Les cas sont signalés au Registre par des pneumologues, anatomo-pathologistes, plus rarement gastro-entérologues, médecins praticiens, médecins de centres de lutte anticancéreuse ou d'hôpitaux d'instruction des armées. Ceux-ci ont été informés des buts du Registre par différents média : articles parus dans la presse spécialisée, interviews parues dans des journaux d'information générale destinés au corps médical, missives répétées adressées systématiquement aux responsables des services cités ci-dessus.

Les cas signalés entrent dans le premier fichier d'attente (F1) et un appel est alors lancé auprès du laboratoire d'anatomo-pathologie correspondant afin d'obtenir :

a) du matériel histologique pour que le diagnostic de mésothéliome soit définitivement confirmé par les experts ;

b) des données étiologiques : par le médecin traitant du patient ou un enquêteur qui consulte le dossier médical sur place remplissent les rubriques d'un questionnaire standardisé précisant :

- l'état civil ;

- l'histoire de la maladie ;

- les antécédents médicaux et chirurgicaux ;

- les intoxications associées (tabac, alcool) ;

- l'aspect de la radiographie pulmonaire (tumeur, fibrose associée, plaques pleurales) ;

- les résultats d'un éventuel dosage de l'acide hyaluronique dans le liquide pleural ;

- les résultats d'une éventuelle métrologie des corps ferrugineux dans l'expectoration ou le liquide de lavage broncho-alvéolaire ;

- le siège du mésothéliome, son aspect macroscopique lors de la thoracotomie exploratrice, son type histologique, et s'il y a eu autopsie, la présence de métastases et le résultat de la vérification des autres organes à la recherche d'une tumeur primitive ;

- la liste de toutes les professions que le sujet a exercées au cours de sa vie civile et militaire;

- la possibilité d'exposition spécifique à l'amiante (profession exposante, bricolage, environnement, contamination domestique) ;

- l'exposition éventuelle à d'autres substances que l'amiante ;

c) des fragments tissulaires respiratoires pour la métrologie des particules minérales en rétention. Ces tissus sont prélevés soit lors d'interventions chirurgicales, soit à l'autopsie, qui constitue le cas le plus favorable, puisque les prélèvements peuvent alors être orientés et effectués selon un protocole unique que connaissent les laboratoires d'anatomo-pathologie, correspondants du laboratoire de métrologie (Laboratoire d'Étude des Particules Inhalées de la D.A.S.S. de Paris, 37, bd Saint-Marcel, 75013 Paris). Les points importants de ce protocole concernent le mode de fixation des échantillons et leur repérage topographique dans le parenchyme pulmonaire, la plèvre pariétale, le péritoine et les ganglions médiastinaux.

2. VÉRIFICATION DIAGNOSTIQUE

Les cas recensés ne peuvent entrer dans le fichier central F121 des mésothéliomes qu'après examen du matériel histologique quand celui-ci est disponible (fichier F12). Dans ce but, un collège permanent de 11 experts a été formé.

Chaque préparation histologique est vue en double aveugle par deux experts tirés au sort. En cas de désaccord, elle est revue et discutée par l'ensemble du groupe des experts. Les diagnostics histologiques sont exprimés en : A : Certain, B : Probable, C : Possible, D : Improbable, E : Exclu, F : Insuffisance du matériel, G : Autre tumeur primitive.

Les cas sont classés mésothéliome définitif (F121)/exclu (F122) quand la majorité des diagnostics portés par le collège est de la forme A ou B / D ou E. Les cas diagnostiqués C ou F sont des cas en discussion pour lesquels il est demandé d'autre matériel histologique ou/et éventuellement une étude histologique en microscopie électronique.

En plus du classement pratique pour le Registre, ces examens conduisent à des discussions sur les formes histologiques des mésothéliomes et l'établissement de critères de reconnaissance.

3. EXPLOITATION DESCRIPTIVE ET ÉTIOLOGIQUE

L'exploitation descriptive utilise certaines informations du questionnaire (Fichier F1212) dont le sexe, l'âge, l'année de diagnostic, le site de la tumeur et la provenance géographique.

 

La recherche étiologique s'opère suivant deux méthodologies différentes :

a) Exploitation des données du questionnaire. Le questionnaire est principalement orienté vers la recherche des expositions à l'amiante. Celles-ci se déduisent soit de la profession par référence à des professions reconnues ou suspectées exposantes [16], soit par la mention d'une exposition spécifique. Compte tenu de ces informations, le classement suivant est utilisé :

- Exposition professionnelle définie et forte :l

Textile, amiante ciment, matériel de friction, isolation, projection (bâtiment., travaux publics et chantiers navals).

- Exposition professionnelle définie et modérée :

Fumisterie, chantiers navals (sauf calorifugeurs), port de vêtements ignifugés, plombiers, chauffagistes.

- Exposition définie non professionnelle :l

Au voisinage d'usines d'amiante, domestique, de bricolage.

- Exposition possible :

Bâtiments, travaux publics (démolition, maçonneries, peintures), mécanique, appareillage électrique, métallurgie, industrie chimique.

b) Biométrologie des contaminants en rétention dans les tissus respiratoires. Pour les cas confirmés, les échantillons tissulaires disponibles sont appariés avec des échantillons du même type (parenchyme pulmonaire non envahi, plèvre pariétale saine, ganglion médiastinal) prélevés à l'autopsie d'un cas témoin apparié avec le cas de mésothéliome dans les conditions suivantes :

- provenance du même centre d'anatomo-pathologie que le cas de mésothéliome,

- même race,

- même sexe

- même tranche d'âge de cinq ans,

- décédé d'une broncho-pneumopathie obstructive et indemne de tumeur.

Les échantillons fixés, par l'aldéhyde formique à 10 % filtré, sont stockés dans des flacons dépoussiérés en polyéthylène. La métrologie porte sur l'analyse qualitative et quantitative des fibres minérales au microscope optique et au microscope électronique à transmission analytique [17, 18, 19]. Les conditions de stockage sont compatibles avec une métrologie ultérieure d'autres contaminants.

ÉTAT ACTUEL DU REGISTRE

Les nombres des cas entrés dans les différents fichiers de la figure 1 au 31 janvier 1979 sont reportés dans le Tableau II.

TABLEAU II - État actuel du registre.

 Références du fichier et Nombre de cas

F 1 699
F11 211
F12 488
F121 296
F122 79
F123 113
F1211 75
F1212 221
F12121 35
F12122 186
F1213 262
F1214 34
F12141 2

1. DÉPISTAGE DES CAS ET RECUEIL DU MATÉRIEL INFORMATIF

Quatre vingt deux pathologistes (82) ont participé au Registre, reportant 699 cas diagnostiqués depuis 1965. Pour 211 cas, soit 30%, le diagnostic n'a pu être vérifié faute de pouvoir obtenir des documents histologiques.

Parmi les cas acceptés comme mésothéliome par le collège, le pourcentage de questionnaires exploitables était de 74 % ; le pourcentage de cas avec fragments tissulaires respiratoires disponibles pour la métrologie était de 11 %, deux cas seulement (0,6 %) ayant pu être appariés avec des cas témoins.

2. VÉRIFICATION DIAGNOSTIQUE

Deux cent quatre vingt seize cas (296) ont été acceptés comme mésothéliome et 79 cas définitivement exclus après vérification histologique. Dans la suite du texte, le mot mésothéliome sera réservé au cas définitivement accepté par le Registre.

Le diagnostic histopathologique a été fait par biopsie pleurale dans 25 % des cas (dont 4 % sous pleuroscopie), par thoracotomie exploratrice ou pleurectomie dans 53 % des cas et par vérification nécropsique dans 22 % des cas.

Cent treize (113) cas reportés étaient encore en attente de diagnostic. Pour la plupart d'entre eux (73 %), le matériel histologique était insuffisant, correspondant le plus souvent à des biopsies pleurales à l'aiguille. Les autres cas (27 %) de la liste d'attente posaient des problèmes diagnostiques. Les incertitudes éprouvées par les pathologistes, dont les opinions divergeaient totalement dans certains cas, étaient de trois ordres :

- diagnostic différentiel avec une métastase d'une autre tumeur épithéliale,

- authentification de certaines formes particulières de mésothéliome,

- problèmes d'interprétation posés par les tumeurs fusiformes.

3. EXPLOITATION DESCRIPTIVE

La population des mésothéliomes ne comprenait que 20 % de femmes.

L'examen du tableau III montre que la localisation de la tumeur était rarement péricardique (2 cas) ou péritonéale (10 cas). Dans la majorité des cas, la localisation était pleurale, plus souvent droite (61 % ) que gauche (39 %).

 

TABLEAU III. - Distribution des cas de mésothéliomes suivant le site de la tumeur et le sexe.

Site de la tumeur Hommes Femmes Hommes et Femmes
Péricarde 2 0 2
Péritoine 8 2 10
Plèvre côté droit 99 25  
Plèvre côté gauche 62 18 284 (96%)
Plèvre non précisé 67 13  
Tous sites 238 (80%) 58 296

La durée moyenne de survie était de 14 mois.

Les données concernant la distribution des âges des cas de mésothéliome sont reportées dans le tableau IV et schématisées sur la figure 2 (non reproduite) Les cas de mésothéliome décédaient entre 25 et 90 ans. Pour les hommes, à partir de 41 ans (37 ans pour les femmes), le taux annuel de décès était plus élevé dans le groupe mésothéliome que dans le groupe de référence, cette différence augmentant avec l'âge. Par contre, dans la partie basse de la courbe, avant 41 ans pour les hommes (37 ans pour les femmes), le taux de décès était plus faible dans le groupe mésothéliome.

 

TABLEAU IV. - Données statistiques sur la distribution des âges des cas de mésothéliomes.

  Hommes Femmes Hommes et Femmes
Etendue 27-88 35-85 27-88
Moyenne 60,2 61,5 61,3
Ecart-type 10,2 12,6 11
< 40 ans 4% 8% 4%
40-60 ans 39% 24% 36%
> 60 ans 57% 70% 60%

La figure 3 montre l'évolution du nombre de mésothéliomes diagnostiqués chaque année depuis 1965. L'approximation au sens des moindres carrés des données par une fonction analytique a montré que cette évolution (NA) était linéaire, répondant à l'équation mentionnée sur la figure 3. Il a été également montré que le nombre total (NT) de mésothéliomes reportés au Registre évoluait en fonction de l'année de diagnostic en suivant une fonction analytique parabolique (fig. 3). Dans ce deuxième cas, la précision de l'approximation était remarquable, puisqu'elle prédisait 234,5 mésothéliomes enregistrés pour la période 1965-1976, alors que 234 cas ont été effectivement enregistrés.

Il a été constaté également que l'augmentation du nombre de mésothéliomes avec le temps était plus importante pour les hommes que pour les femmes, l'écart entre le nombre de cas masculins et féminins augmentant avec le temps comme le montre la figure 4.

Le tableau IV bis (il remplace une carte peu lisible correspondant à la figure 5 de l'article original) montre la provenance géographique des cas. La composante portuaire de la répartition était importante. Il a été noté le caractère discret de cette répartition : certaines régions comme l'est et le sud-ouest de la France apparaissant vides de mésothéliomes.

Figure 3 : Evolution en fonction de l'année du diagnostic du nombre total et annuel de mésothéliomes depuis 1965.

Nombre annuel = 3,02 (année - 1965) + 2,89

Nombre total = 1,825 (année - 1965) = 13,879

Fig. 4. - Evolution en fonction de l'année de diagnostic, de l'excès de cas de mésothéliomes masculins par rapport aux cas féminins.

Régions Exposition professionnelle définie et forte Exposition professionnelle définie et modérée Exposition définie mais non professionnelle Exposition professionnelle possible Exposition ni retrouvée ni suspectée
PACA 5 14 1 2 2
Rhone-Alpes 1 19   25 21
Bourgogne 1 3 1 2 2
Auvergne   1     1
Limousin   1 1    
Poitou-Charente       1  
Centre   6 1 3  
Ile de France 11 47   12 6
Hte Normandie 10 15 1    
Lorraine   1   1  
Nord-P.de C.   6   6  
Bretagne   3 1    
Pays de Loire 3 44   10 2

Tableau 4 bis - Répartition géographique des cas de mésothéliomes en fonction de l'exposition à l'amiante.

4. EXPLOITATION ÉTIOLOGIQUE SUR QUESTIONNAIRES

Comme il a été précisé précédemment, les informations étiologiques fournies par le questionnaire concernent essentiellement l'exposition à l'amiante. La répartition des 221 cas comportant un questionnaire exploitable suivant le type d'exposition est reportée dans le tableau V. L'exposition était définie dans 53 % des cas, suspectée dans 31 % des cas et non retrouvée dans 16 % des cas. La provenance géographique des cas sans notion d'exposition à l'amiante est indiquée sur la figure 6, montrant une répartition discrète et focalisée, notamment dans la région Lyon-Saint-Etienne (L'enquête épidémiologique détaillée de la majorité de ces cas a été publiée séparément par EMONOT et coll. [32].)

TABLEAU V. - Répartition des cas de inésothéliomesselon les diflérentes catégories d'exposition à l'amiante.

Type d'exposition, Nombre de cas

Professionnelle définie et forte 29 (13 %)

Professionnelle définie et modérée 82 (37 %)

Définie non professionnelle 7 ( 3 %)

Possible du fait de la profession 68 (31 % )

Ni retrouvée ni suspectée 35 (16%)

 

Fig. 6. - Localisation géographique des mésothéliomes sans notion d'exposition à l'amiante

 

 

Pour les expositions professionnelles, il a été possible de connaître la durée de l'exposition et la période de latence depuis le début de l'exposition jusqu'au diagnostic. Le tableau VI montre la répartition des cas en fonction du type d'exposition profesionnelle et de sa durée : pour les expositions modérées ou suspectées, le nombre de cas augmentait avec la durée de l'exposition, tandis que, pour les expositions fortes, il était d'abord stationnaire, puis en diminution. La validité statistique de ces observations n'a pas été calculée. La latence médiane des cas était de 36 années.

TABLEAU VI. - Répartition des cas en fonction de la catégorie d'exposition professionnelle et de sa durée.

Années d'exposition

Exposition professionnelle < 5 5-25 > 25

Définie forte 10 10 6

Définie modérée 9 21 33

Suspectée 4 9 13

La figure 7 montre la distribution des cas dans les différents groupes d'exposition professionnelle en fonction de la période de latence. Cette distribution est apparue bimodale quelque soit le groupe d'exposition.

 

Fig. 7. - Distribution des cas dans les différents groupes d'exposition professionnelle en fonction de la période de latence depuis le début de l'exposition jusqu'au diagnostic. Trois groupes ont été distinguées suivant que l'exposition professionnelle était définie et forte, définie et modérée ou possible.

 

5. EXPLOITATION ÉTIOLOGIQUE PAR LA BIOMÉTROLOGIE

L'examen de la figure 1 et du tableau II montre que, bien que des fragments de tissus soient disponibles chez 34 cas, deux paires "cas témoin" seulement ont pu être constituées. Les résultats des analyses métrologiques réalisées sur les échantillons des cas de mésothéliome ne seront pas présentés ici.

 

DISCUSSION

1. DEPISTAGE DES CAS

Il est possible de définir deux fonctions essentielles à un registre des tumeurs :

Une fonction descriptive et une fonction étiologique

La fonction descriptive doit donner accès à l'incidence des cas de mésothéliomes et à son évolution dans le temps. Elle est compliquée par les difficultés diagnostiques du mésothéliome ce qui impose l'obtention de matériel histologique pour vérification diagnostique.

Compte tenu de cet impératif, le Registre Français a étudié les possibilités offertes par trois stratégies de dépistage des cas de mésothéliome

a) Utilisation des certificats de décès. Cette méthode présente l'avantage d'assurer un recensement centralisé et systématique. Malheureusement, les certificats de décès sont souvent imprécis dans la rédaction du diagnostic et l'ordre des faits pathologiques. La classification internationale des maladies et causes de décès de l'OMS, qui contient plus de 1 000 rubriques, réunit sous le n° 163 toutes les " tumeurs malignes des voies respiratoires autres que celles du larynx, de la trachée, des bronches ou des poumons " (n° 163), sans distinction entre tumeurs primitives et secondaires. Il en est de même pour les tumeurs péritonéales.

Ainsi Greenberg et Lloyd Davies [3] constatent que 35 cas sur 76 exclus par les experts histologistes avaient cependant fait l'objet d'une déclaration de décès par mésothéliome. A l'inverse, Newhouse et Wagner [20] considèrent que l'usage des certificats de décès conduit à une sous-estimation du nombre de mésothéliomes.

L'utilisation des certificats de décès semble donc conduire à la fois à une surestimation et à une sous-estimation des cas. Bien que McDonald [16] ait pu observer que la résultante de ces deux phénomènes pouvait être peu différente de zéro, cette méthodologie de dépistage présente des dangers évidents d'autant qu'en France, les certificats de décès accessibles aux épidémiologistes sont anonymes, interdisant ainsi la recherche du dossier médical, l'obtention de matériel histologique pour vérification diagnostique et la possibilité d'une enquête professionnelle.

b) Utilisation des déclarations de maladies professionnelles. Cette méthode a été écartée pour deux raisons :

- la reconnaissance du mésothéliome comme maladie professionnelle est très récente en France,

- la reconnaissance ne s'effectue que dans un contexte d'exposition professionnelle à l'amiante, excluant ainsi les mésothéliomes survenant dans d'autres circonstances (incidence naturelle, exposition d'environnement ou para-professionnelle).

c) Report par les pathologistes. Cette méthode qui permet l'accès au matériel histologique et à l'exploitation étiologique a été retenue pour la constitution du Registre Français. Néanmoins, cette méthode ne permet pas un recensement systématique des cas, elle assure simplement un enregistrement des cas signalés par les pathologistes.

Dès lors se pose le problème de savoir quel est le rendement de dépistage en relation directe avec le taux de participation des pathologistes au fonctionnement du Registre. Faute de connaître ce rendement, il paraît impossible de déduire l'incidence vraie de l'incidence reportée au Registre. La carte de la figure 5 montre des zones muettes. Sont-elles exemptes de cas de mésothéliome ou dépourvues de pathologiste participant au fonctionnement du Registre ? La comparaison des reports du Registre Français avec ceux des Registres étrangers, notamment du Registre de la Grande-Bretagne qui fait état actuellement de 300 cas nouveaux chaque année [21], semble indiquer que le fonctionnement du Registre Français conduit à une sous-estimation de l'incidence vraie. Cette sous-estimation doit certainement être attribuée à une participation non systématique des pathologistes. Dès lors, le Registre perd son caractère national et doit plutôt être considéré comme un Registre multi-régional, enregistrant les cas reportés par un certain nombre de centres d'anatomo-pathologie participant en permanence au Registre.

Cette restriction étant faite, les résultats des différentes études descriptives et étiologiques réalisées à partir des cas du Registre pourraient être considérés comme représentatifs à condition que la participation d'un centre au Registre et les caractéristiques des mésothéliomes qu'il reporte soient deux variables indépendantes. Or, il est possible de citer au moins deux situations d'interdépendance de ces variables :

- Une participation plus effective des centres de pneumologie que des centres de gastroentérologie, conduit forcément à l'observation d'une incidence plus élevée de mésothéliomes pleuraux que de mésothéliomes péritonéaux,

- La participation peut être plus élevée dans les régions à forte incidence où les pathologistes sont plus avertis de l'existence du problème. Si cette forte incidence est en rapport avec une exposition spécifique à l'amiante reconnue (chantiers navals), la proportion dans le Registre des cas ayant été exposés à l'amiante s'en trouvera artificiellement augmentée.

2. VERIFICATION DIAGNOSTIQUE ET CRITERES HISTOLOGIQUES

L'examen du tableau II et de la figure 1 montre que 23 % des cas avec matériel histologique demeurent encore en attente de classement, soit que le matériel soit insuffisant, soit que les experts ne puissent se prononcer.

Les cas refusés pour défaut de matériel correspondent le plus souvent à des biopsies transpariétales à l'aiguille. La plupart des pathologistes refusent de porter un diagnostic ferme sur des prélèvements trop exigus, même s'ils sont de bonne qualité technique : attitude de prudence... parfois pétition de principe ! En pratique, à ces ponctions à l'aveugle peu rentables, on devrait préférer à l'heure actuelle des biopsies orientées sous thoracoscopie, fournissant un matériel suffisant et de bonne qualité [22], les documents provenant d'interventions chirurgicales ou de vérifications anatomiques étant de plus en plus rares.

Les cas en discussion traduisent les incertitudes éprouvées par les pathologistes dont les opinions divergent totalement dans certains cas. Les principales difficultés dans l'identification histologique des mésothéliomes sont connues [23, 24] et sont liées :

1) A l'ambiguïté qui subsiste au niveau de la définition du mésothéliome, de sa conception histogénétique, de la classification des différentes formes histologiques et des terminologies utilisées.

2) A l'insuffisance de la microscopie conventionnelle dont les limites sont responsables de certaines confusions d'interprétation.

3) Au polymorphisme des mésothéliomes qui limite l'utilisation de critères morphologiques absolus pour le diagnostic positif ou différentiel.

Après trois années d'expérience et de réflexion collectives, les conceptions des anatomo-pathologistes du Registre Français des mésothéliomes peuvent s'énoncer de la façon suivante : sont considérées comme mésothéliomes malins diffus les tumeurs issues de l'assise des cellules mésothéliales qui bordent les feuillets des cavités coelomiques ; sont donc exclues de ce cadre les tumeurs d'origine conjonctive issues des couches sous-mésothéliales. Cependant, dans le contexte de cette enquête, on rencontre un pourcentage, important de tumeurs primitives pleuropariétales ne répondant pas à cette définition. Récemment, le terme de mésodermome a été proposé par Donna et Provana [25] pour désigner l'ensemble des diverses tumeurs d'origine mésenchymateuse de la plèvre (sarcomes fibroblastiques) et extrapleurales (rhabdomyosarcome, liposarcome, fibrosarcome, angiosarcome, etc.).

Les mésothéliomes ainsi définis peuvent présenter de nombreux types histologiques d'un cas à l'autre et au sein d'une même prolifération (Cf. les articles du même volume de : ABELANET et coll. et STOEBNER et coll. REV. FR. MAL. RESP., T. 7, N° 3, 1979.) On décrit :

1) Les formes épithéliales pures sont soit papillaires tubulopapillaires ou adénoïdes, soit infiltrantes à cellules indépendantes, en liseré ou en prolifération dense. Elles ne suscitent généralement pas ou peu de discussion. Cependant, la distinction avec la métastase d'un adéno-carcinome demeure un problème très difficile à résoudre. Le recours à l'histochimie est utile, mais connaît aussi ses limites, de même que la microscopie électronique (ME).

A côté de ces types histologiques classiques, il existe des formes moins communes, particulièrement à cellules géantes ou à différenciation muco-kystique. Cette dernière variété est parfois d'interprétation délicate surtout lorsqu'elle prédomine dans la préparation. Il faut alors chercher avec attention d'autres aspects plus typiques dont la présence au sein de la même tumeur permet d'emporter la conviction. Dans tous les cas, le stroma mésenchymateux est présent dans des proportions variables.

2) Les formes mixtes sont caractérisées par la coexistence d'une double inflexion cellulaire. On reconnaît dans ces formations des éléments épithéliaux bien différenciés et qui subissent en certains points une transformation fusiforme. Ces cellules deviennent alors très difficiles à distinguer de celles du stroma dans lequel elles s'infiltrent. Cette tendance à l'inflexion fusiforme est considérée comme spécifique des mésothéliomes et lève toute hésitation lorsqu'elle est retrouvée. L'étude en ME a bien confirmé l'inflexion fusiforme des éléments épithéliaux.

3) Les mésothéliomes fusiformes purs dont la conception a été longtemps discutée. L'examen de tumeurs fusiformes en microscopie optique (MO) ne permet pas de poser d'autre diagnostic que celui de sarcome, ce qui, par définition, exclut le mésothéliome. C'est l'introduction de la ME qui a permis de distinguer deux variétés cellulaires, d'une part les fibroblastes et d'autre part les cellules mésothéliales de transition [26, 27, 28, 29]. Ces dernières possèdent une morphologie d'ensemble proche des fibroblastes (ce qui explique la confusion en MO), mais aussi des détails de structure qui permettent de les rattacher sans doute possible aux lignées épithéliales. Il existe donc réellement d'authentiques mésothéliomes qui présentent en microscopie conventionnelle l'allure d'une tumeur mésenchymateuse. Dans ce cas, seule la ME permet de trancher. Ce contingent de tumeurs fusiformes constitue une grosse proportion des cas en discussion. Pour certains, un complément d'étude en ME sera réalisé, mais pour les plus anciens, aucun recours n'est possible et leur perte fausse l'enquête. Il faut encore souligner que ces mésothéliomes fusiformes comportent assez souvent des minuscules zones de différenciation épithéliale identifiables en MO et qui permettent de lever le doute lorsqu'on a la chance de les retrouver. Il faut pour cela les rechercher avec obstination et posséder un matériel abondant. Ce fait d'expérience suggère que les mésothéliomes fusiformes d'apparence pure pourraient être assimilés à des formes mixtes dans lesquelles la composante fusiforme est prédominante, voire quasi exclusive.

3. EXPLOITATION DES QUESTIONNAIRES

Les renseignements étiologiques que l'on peut obtenir à partir des questionnaires doivent être interprétés avec prudence en tenant compte des sources et du mode de recrutement pour l'enregistrement des cas (cf. plus haut). En effet, les cas enregistrés ne sont pas épidémiologiquement représentatifs de la population française.

Ainsi, la forte proportion de mésothéliomes pleuraux (96 %) comparée à d'autres séries, notamment Nord-Américaines [5], est peut-être due à un artéfact méthodologique en rapport avec la faible participation des centres de gastroentérologie au Registre.

Néanmoins, l'utilisation de la méthode d'enregistrement employée révèle une augmentation linéaire avec le temps de l'incidence annuelle du mésothéliome depuis 1965. L'approximation de cette évolution par des fonctions analytiques permet de prévoir, si la tendance actuelle était maintenue, la survenue de 108 cas nouveaux reportés dans le Registre en l'an 2000 ; cependant, pour les raisons invoquées ci-dessus, cette vision n'a pas de valeur à l'échelle nationale. Par ailleurs l'étude de l'évolution temporelle des mésothéliomes a montré l'augmentation de l'écart entre le nombre de cas masculins et féminins (fig. 4), traduisant l'intervention de facteurs professionnels dans l'étiologie du mésothéliome.

Un autre point dont l'acquisition semble moins sensible aux aléas de la méthodologie de recrutement concerne la distribution des âges. La figure 2 montre que les cas de mésothéliome ont une espérance de vie diminuée. La distribution des âges est telle que cette diminution n'est sensible qu'au-dessus de 40 ans (96 % des cas décèdent après 40 ans), ce qui constitue une démonstration supplémentaire de l'existence d'une longue période de latence pour le mésothéliome, les cas devant généralement dépasser 40 ans pour pouvoir extérioriser la tumeur.

Au plan étiologique, il faut insister sur les difficultés de définir avec précision "l'exposition à l'amiante ", tant l'usage de ce matériau est répandu, entraînant de nombreuses possibilités d'exposition. Certaines expositions sont évidentes et apparaissent clairement dans les informations du questionnaire. Néanmoins, 31 % des cas du Registre ont été classés dans un groupe correspondant à des expositions possibles. Il s'agit de sujets ayant pu manipuler des matériaux en amiante du fait de leur profession, mais d'une façon occasionnelle, ces situations correspondent en général à des doses difficilement quantifiables. L'importance d'un tel groupe (1/3 des cas) souligne que l'absence d'une notion précise de dose pour définir l'exposition à l'amiante peut conduire à des interprétations imprécises des données du questionnaire. Ce phénomène semble accentué quand la recherche des expositions utilise l'interview : quel ouvrier n'a-t-il jamais manipulé une plaque d'amiante dans sa vie professionnelle ? L'extériorisation de ces expositions non évidentes a conduit, dans certaines séries publiées, à des taux importants d'exposition à l'amiante dans des groupes pathologiques du mésothéliome [4, 12] ou de cancers bronchiques [30].

Les remarques précédentes illustrent l'importance de la méthodologie de recueil de l'information pour les exploitations étiologiques dans ce type d'enquête ; les données sur l'exposition à l'amiante des cas de mésothéliome n'ont de signification que si elles sont comparées à des données du même type obtenues en utilisant une méthodologie rigoureusement analogue dans un groupe de cas témoins. L'observation du taux d'exposition dans le groupe témoin est un reflet de l'exposition de la population générale ; de plus, il corrige les biais méthodologiques intervenant lors du recueil de l'information. Ce type d'étude permet de calculer un risque relatif [31]. Ainsi MacDonald [16] a montré que la majorité des études étiologiques concernant les mésothéliomes rencontrés dans les pays industrialisés par la recherche rétrospective de l'exposition dans un contexte épidémiologique cas-témoins fournissait un risque relatif presque toujours du même ordre (environ X 4 fois), bien que les pourcentages de cas exposés dans les groupes pathologiques variaient de 6 à 93 % suivant les études.

Actuellement, il n'existe pas de groupe témoin parallèle au groupe des mésothéliomes du Registre Français. ce qui limite la signification des informations sur les taux d'exposition à l'amiante. La constitution d'un groupe témoin semble indispensable pour la crédibilité de la fonction étiologique du Registre. Or. ceci nécessite un investissement méthodologique considérable pour pouvoir accéder au risque relatif d'exposition à l'amiante pour les mésothéliomes français. La question est de savoir si la communauté scientifique française a besoin de cette information déjà établie par les études épidémiologiques anglo-saxonnes ! Peut-être serait-il plus judicieux de porter l'effort de recherche étiologique à un niveau plus fondamental, en essayant dans un premier temps d'identifier par d'autres méthodes que celles du questionnaire standard, tous les facteurs d'environnement qui pourraient avoir une signification vis-à-vis de l'induction de cette tumeur. L'exemple des observations de Turquie et à un moindre degré la découverte par le Registre Français d'une répartition géographique localisée des mésothéliomes sans notion d'exposition à l'amiante (fig. 6) montre que la recherche des facteurs d'environnement responsables ne devrait pas se limiter à l'amiante [32].

La métrologie des polluants en rétention dans les tissus doit également jouer un rôle important dans cette recherche. Quant à la responsabilité des diverses variétés d'amiante, les études biométrologiques ont déjà apporté des données nouvelles [19], contradictoires de celles issues d'observations épidémiologiques antérieures [33] ou expérimentales [34]. En effet, dans la plèvre pariétale, on ne retrouve que de très fines et très courtes fibres (diamètre moyen de 0,06 micromètre et longueur moyenne de 2,3 micromètre) de type essentiellement chrysotile [19]. De telles études métrologiques pourraient être poursuivies dans un protocole épidémiologique sélectionnant rigoureusement un nombre limité de cas de mésothéliome du Registre et de cas témoins.

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