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Le texte ci-dessous est celui qui avait été donné aux deux rapporteurs du projet de loi bioéthique avant la seconde lecture au Sénat. Un premier texte avait été donné au rapporteur de la loi devant l'Assemblée, il était identique sauf pour les pages 11 et 12 ajoutées après le passage devant le Sénat. Il établit clairement que les dangers d'adopter un texte mettant en difficulté la pratique de l'autopsie médico-scientifique ont été exposés aux rapporteurs, les commissions des deux assemblées n'ont pas cru nécessaire d'entendre les professionnels.

 

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Les prélèvements sur le cadavre

 

Analyse du projet de loi sur la bioéthique

après sa seconde lecture à l’Assemblée Nationale

 

Document établi par les organismes représentatifs des anatomo-pathologistes :

            - Association des enseignants et des chercheurs en anatomie pathologique

            - Société française d’anatomie normale et pathologique

            - Syndicat national des anatomo-pathologistes français

 

            Ce texte comporte une analyse de problèmes particuliers posés par la pratique de prélèvements sur le cadavre. Il est destiné à attirer l’attention des membres du parlement et des responsables gouvernementaux sur l’importance des répercussions possibles de la nouvelle loi sur la pratique des autopsies médicales.

            Les pages 2 à 9 de ce document avaient été établis après la première lecture à l’Assemblée Nationale et communiquées aux commissions parlementaires, aux ministères concernés et à la presse. Elles ont subi quelques corrections de détails.

            La page 10  a été ajoutée après la première lecture au Sénat.

            Le rappel chronologique de la première page et la situation après la seconde lecture à l’Assemblée Nationale décrite page 11 et 12 sont les éléments nouveaux de ce texte;

 

 Rappel chronologique

            - 1976 : loi sur les prélèvements dans un but thérapeutique ou scientifique dite « loi Caillavet ». Régime unique du consentement présumé pour tous les prélèvements

            - mai 1992 : conflit à Amiens à propos de prélèvements de cornées effectuées dans la légalité. Instructions du Ministre de la santé le 5 juin et circulaire du 31 juillet provoquant une diminution brutale des prélèvements de cornées.

            - 1992 : première lecture du projet de loi à l’Assemblée. Maintien du principe du consentement présumé, mais il faut le vérifier auprès des familles ou des proches après la mort. Pour éviter la régression des autopsies destinées à préciser les causes de la mort, l’Assemblée introduit un article supprimant tout obstacle à leur pratique.

            - février 1994 : première lecture du projet de loi au Sénat qui supprime les dispositions particulières concernant l’autopsie destinée à préciser les causes de la mort.

            - avril 1994 : la commission de l’Assemblée propose de reprendre les dispositions adoptées en 1992, le Gouvernement sous-amende le texte en permettant que les oppositions manifestées par une personne de son vivant soient respectées en cas d’autopsie destinée à préciser les causes de la mort. L’Assemblée accepte ce sous-amendement qui correspond en pratique au maintien de la loi Caillavet de 1976.

            Cette position s’accorde avec les demandes des anatomo-pathologistes d’un maintien du consentement présumé, sans recherche active auprès des familles et des proches d’une éventuelle opposition, qui doit s’être manifestée par l’une des méthodes prévues par le législateur.

   

 

Plan

 

Les problèmes                                                                                              2

La loi Caillavet de 1976                                                                              4

Les circulaires ministérielles de 1992 et leurs conséquences                  4

Le projet de loi en première lecture à l’Assemblée Nationale                 5

Les propositions des anatomo-pathologistes de 1993                               8

Le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat                    9

Le débat au Sénat                                                                                       10

Le débat à l’Assemblée nationale en seconde lecture                              11

Conclusions                                                                                                  13

 

Le constat d'une évolution sociale

            La loi sur la bioéthique modifie les dispositions de la loi Caillavet de 1976 sur les prélèvements d'organes ou de tissus humains. Elle tente de prendre en compte un désir de clarification des conditions dans lesquelles sont effectués des prélèvements sur le cadavre et une forme de retour à des tabous contestant le droit de porter atteinte à l'intégrité du corps après la mort,

 Les problèmes

            La recherche d'un compromis entre la volonté des individus, le respect des morts et l’utilité d'effectuer des prélèvements et des examens sur le cadavre pour permettre des transplantations, des greffes, faire évoluer nos connaissances et reconnaître nos erreurs impose une connaissance précise de la nature des prélèvements effectués et des conditions dans lesquelles ils le sont.

 1) Les types de prélèvements

 La loi de 1976 a défini les conditions de deux types de prélèvements pouvant être effectués sur des personnes décédées :

            - les prélèvements dans un but thérapeutique (transplantation d'organes, greffe de tissus) ;

            - les prélèvements dans un but dit "scientifique", expression ambiguë qui correspond en pratique à l'autopsie médicale, faite principalement pour renseigner un médecin sur les causes de la mort d'un malade. L'autopsie n'a pas uniquement ce rôle important de contrôle de la qualité des soins, elle conserve une part dans le progrès des connaissances, dans la formation des médecins et dans  l'information des familles, en particulier quand il convient de rassurer cette dernière sur l'absence de maladie susceptible d'atteindre un autre enfant de la fratrie.

La loi ne concerne pas dans sa forme actuelle trois autres possibilités d'intervention sur le corps d’une personne déclarée décédée :

            - les prélèvements dans le cadre d'une autopsie médico-légale destinée à établir les causes de la mort au cours d'une procédure judiciaire. Ces actes sont réglés par des dispositions spécifiques du code de procédure pénale.

            - le "don du corps pour la science". Souvent confondu avec le don d'organes, il s'agit d'une démarche volontaire d'une personne auprès d'un laboratoire d'anatomie habilité à recevoir de tels dons. Les corps peuvent être utilisés pour des études anatomiques, l'enseignement des étudiants, la mise au point de techniques chirurgicales ou des expérimentations très diverses.

            - les expérimentations sur les corps de personnes dont le cerveau est mort  mais dont certains organes sont maintenus en survie par des méthodes artificielles (ventilation mécanique, éventuellement circulation assistée). Aucun texte de loi ne règle actuellement ce type de pratique qui n'est pas un prélèvement d'organes ou de tissus.

 

2) Les conditions des prélèvements

Les prélèvements dans un but thérapeutique ou scientifique  sont réalisés en salle d'opération ou dans une morgue, beaucoup plus rarement à domicile en cas de legs des globes oculaires.

            - les prélèvements d'organes pour transplantation sont réalisés dans des salles d'opération,  ils ne peuvent être pratiqués que chez des patients dont le cerveau est définitivement détruit, mais dont la ventilation est assurée artificiellement pour assurer l'oxygénation des tissus jusqu'au moment de l'intervention. Les prélèvements pour transplantation effectués sur un corps ventilé imposent une relation très étroite avec la famille car la réanimation va être interrompue et il est indispensable d'expliquer ce qu'est la mort cérébrale et l'inutilité d'une poursuite de la respiration artificielle. Prévenir que des prélèvements pour transplantation seront faits est une épreuve difficilement évitable à la famille dans ce contexte. Il s'agit d'un arrêt programmé de la réanimation, le passage par la salle d'opération où se feront les prélèvements marquant le moment de la mort pour les proches.

            - les prélèvements de cornées ou de tissus dont la survie cellulaire n'est pas nécessaire pour un usage thérapeutique (os, peau...) et les autopsies médicales sont habituellement pratiqués dans les morgues hospitalières. Pour la famille, la maladie est terminée, c'est une autre période qui commence, celle de l'acceptation d'une disparition. Le désir affectif des proches est que la personne décédée "repose en paix", non d'être replongés dans les préoccupations des médecins par une demande de prélèvements d'organes ou d'autopsie pour mieux comprendre les causes de la mort. Il y a un moment pour chaque chose, la réflexion sur la solidarité exprimée par le don d'une cornée, ou la participation à l'amélioration de nos connaissances, doit se situer en dehors des périodes où l'affectif passe avant le rationnel, si l'on veut éviter de provoquer le désarroi et le rejet. Le problème du législateur est de préciser comment rendre compatibles le souci de solidarité et un respect des volontés du défunt qui ne doit pas se transformer en questionnement dépourvu d'humanité pour la famille.

La loi Caillavet de 1976

             Depuis le 22 décembre 1976, la loi dite "loi Caillavet" sur les prélèvements d'organes permet d'effectuer des prélèvements d'organes ou de tissus dans un but thérapeutique ou scientifique. Le principe directeur de cette loi est d'autoriser ces prélèvements chez des personnes décédées majeures quand le défunt n'a pas manifesté son opposition à une telle pratique. Le décret d'application et ses circulaires organisent le recueil de cette opposition qui doit se manifester sous la forme d'une démarche active de la personne hospitalisée avant sa mort ou de ses proches après le décès. Cette conception respecte la volonté du législateur qui avait rédigé ainsi l'article 2 de la loi de 1976 : "Des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d'une personne n'ayant pas fait connaître de son vivant son refus d'un tel prélèvement". La lecture des débats parlementaires indique clairement pourquoi le législateur n'avait pas retenu l'obligation d'obtenir l'accord de la famille. Une telle obligation aurait réduit considérablement la possibilité de prélèvement, aussi bien dans un but scientifique que thérapeutique car la simple demande à la famille dans la période douloureuse qui accompagne la perte d'un proche provoque des refus "affectifs" qui expriment l'avis de la famille et non celui du défunt.

            Il convient de remarquer que le législateur de 1976 n'a pas supprimé la loi du 7 juillet 1949 organisant le legs des globes oculaires. L'article 5 de la loi, permet d'augmenter le nombre de greffons disponibles en maintenant la possibilité de prélèvements au domicile du défunt en cas de legs. Cette modalité d'obtention d'un greffon était impossible dans le cadre de la loi de 1976, les prélèvements devant être réalisés dans un établissement hospitalier inscrit sur une liste arrêtée par le ministre de la santé.

 

Les circulaires ministérielles de 1992 et leurs conséquences.

Les conséquences de "l'affaire d'Amiens"

            A la suite d'un conflit provoqué par un prélèvement de globes oculaires associé à d'autres prélèvements d'organes chez un accidenté majeur en état de mort clinique, le Ministre de la santé et de l'action humanitaire a exigé par une instruction du 5 juin 1992 que l'on s'assure "que dans tous les cas de prélèvement de ce type, un consentement a bien été préalablement obtenu, soit par legs testamentaire du défunt, soit auprès des membres de la famille ou des proches".  Cette instruction a réduit considérablement le nombre de greffes de cornée, ce qui prouvait le bien fondé du choix du législateur de 1976.

            La décision de recueillir par une démarche active "le consentement des membres de la famille ou des proches " devenait incohérente avec l'absence d'instruction identique pour les prélèvements dans un but diagnostique dans le cadre de l'autopsie médicale. Les prélèvements de globes oculaires demeuraient possibles sans sollicitation de l'avis de la famille pour préciser le diagnostic d'une maladie atteignant les yeux et impossibles sans le consentement de la famille quand il s'agissait de rendre l'usage d'un oeil à un vivant  !

 

La circulaire du 31 juillet 1992.

            Elle admet implicitement l'imprécision de l'instruction du 5 juin 1992 et son incompatibilité avec les termes de la loi de 1976 et demande à l'administration de "s'assurer auprès de la famille ou des proches du défunt que celui-ci n'avait pas fait connaître de son vivant son opposition au prélèvement". Ces nouvelles instructions ne modifieront pas la situation et le nombre de prélèvements de cornée demeure très inférieur à celui observé avant le mois de juin.

 

La circulaire du 21 septembre 1992.

            Elle a l'honnêteté de reconnaître "qu'une enquête auprès des ophtalmologistes des CHU confirme un arrêt presque total des greffes de cornée à l'hôpital alors que les cas urgents créent des situations très préoccupantes. 2 000 malvoyants ou aveugles attendent aujourd'hui sans espoir un greffon cornéen". Il est cependant étonnant que la circulaire ne dise pas que cette situation est la conséquence directe de la décision du 5 juin 1992. Le remède proposé est totalement inadapté, il recommande en pratique de prendre de vitesse la famille et de faire les prélèvements si cette dernière n'a pu être jointe dans un délai de 6 heures. Tous les malades hospitalisés indiquent lors de l'admission le téléphone de la personne à prévenir en cas de décès et il est habituellement possible de joindre cette personne dans un délai de 6 heures. En outre ce délai ne constitue pas un impératif absolu, de nombreux prélèvements sont effectués dans les douze heures voire les 18 heures qui suivent le décès. La difficulté n'est pas d'entrer en relation téléphonique avec la famille, mais d'annoncer la mort d'un proche et de demander simultanément s'il s'opposait aux prélèvements de ses yeux. Il y a des limites à la déshumanisation des rapports entre un hôpital et les familles des patients hospitalisés.

 

 Le projet de loi en première lecture à l’Assemblée Nationale.

 

            La première version de l'article 667-7 de la loi relative "au don et à l'utilisation des parties et produits du corps humain" reprenait les dispositions de la loi de 1976. "Le prélèvement ne peut avoir lieu si la personne, de son vivant, y a opposé un refus. Ce refus peut avoir été exprimé par tout moyen. Tout membre de la famille ou proche du défunt peut en témoigner".

 

Modification du projet de loi.

            Le projet est modifié en commission et le texte proposé au vote de l'assemblée a incorporé dans la loi  les positions prises par le Ministre dans ses circulaires de juin à septembre 1992. Le consentement présumé traduit par l’absence d’une démarche de la famille auprès de l’administration hospitalière est remplacé par la recherche active auprès de la famille et des proches d'une opposition au prélèvement.

  

            A la suite des démarches effectués par des anatomo-pathologistes auprès du Ministre de la Santé, un article additionnel traite spécifiquement le problème de "la recherche des causes de la mort" en le mettant en dehors du dispositif législatif, ce qui laisse perplexe, car tous les prélèvements effectués dans ce but semblent alors possibles, sans aucune limitation, ce qui ne correspondait pas à la demande des pathologistes qui souhaitaient simplement le maintien des dispositions de la loi Caillavet et de ses décrets d’application. Ces dispositions sont acceptées par l'Assemblée en première lecture. Trois articles organisent les prélèvements sur le cadavre, ils sont rédigés comme suit :

 

Article 667-7

            Toute personne peut faire connaître , de son vivant, son refus ou son acceptation d'un prélèvement d'organe après sa mort, par tout moyen, notamment en indiquant sa volonté sur un registre national automatisé prévu à cet effet, sur la carte d'assuré social ou sur une carte spécifique. Celle-ci est révocable à tout moment. Les conditions de fonctionnement et de gestion du registre sont déterminées par décret en conseil d'état.

            Si le médecin n'a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s'efforcer de recueillir le témoignage de la famille ou des proches du défunt sur la volonté de celui-ci. Aucun prélèvement ne peut avoir lieu si la volonté du défunt exprimée directement ou par le témoignage de sa famille ou de ses proches s'y oppose".

 

Article 667-8

            "Si la personne décédée était un mineur ou un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection légale, le prélèvement en vue d'un don ne peut avoir lieu qu'à la condition que chacun des titulaires de l'autorité parentale ou le représentant légal y consente expressément par écrit."

 

Article 667-8 bis (nouveau)

            "Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes de la mort ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de la famille."

 

            Cette rédaction a introduit trois modifications importantes par rapport au projet initial.

             - la première est une décision bien adaptée à la volonté du législateur, elle concerne la facilitation de l'expression de la volonté d'un individu d'accepter ou de refuser les prélèvements sur son cadavre. L'utilisation de la carte de sécurité sociale est particulièrement commode, cette carte étant renouvelée fréquemment et permettant de changer d'avis.

             - la seconde est l'ajout de l'article 667-8 bis pour faciliter la réalisation des autopsies médicales. Sous cette forme, le texte pose de nombreux problèmes. Il semble à une première lecture constituer une redite du 667-7 en exprimant à nouveau la nécessité du consentement du défunt pour les prélèvements à des fins scientifiques.

             Une lecture plus attentive fait apparaître ensuite la justification de cet article. Il introduit par l'expression "autres que celles ayant pour but de rechercher les causes de décès" la possibilité de faire des autopsies médicales dans un but diagnostic sans rechercher le consentement du défunt. Il semble même exclure la possibilité pour le défunt d'exprimer de son vivant son opposition à une autopsie dans un but diagnostic, ce qui accroît les possibilités d'action des médecins par rapport à la loi de 1976 et contredit les dispositions générales de l'article 666-2 du projet de loi.

             - la troisième est l'extension à tous les prélèvements thérapeutiques de la décision prise en 1992 par le ministre de la santé. Elle aura pour conséquence une réduction des prélèvements dans un but thérapeutique. Il est en outre évident que le législateur va provoquer une augmentation du contentieux en imposant des exigences peu réalistes. Quand c'était à la famille et aux proches de déclarer l'opposition du défunt à tout prélèvement, personne ne pouvait reprocher à l'administration hospitalière de ne pas avoir recherché cette opposition. Comment le médecin peut-il être sûr d'avoir recueilli l'avis du membre de la famille ou du proche qui avait connaissance de la position du défunt ? Que signifie le terme de "proche" qui n'est pas défini dans le texte de la loi ni dans aucune réglementation ? Sa définition n'avait pas une grande importance dans la loi Caillavet, toute personne pouvait se présenter comme un proche du défunt et déclarer son opposition à un prélèvement. L'administration a toujours accepté ce témoignage sans contester le droit de se définir comme un "proche". La situation est toute différente si c'est elle ou le médecin qui doit définir qui est concerné. Qu'adviendra-t-il quand des querelles de famille et de proches se manifesteront par un "je n'ai pas été consulté" ?

            Au delà de ces problèmes pratiques et juridiques c'est toute la philosophie de cette procédure qui est bouleversée. Une  minorité de personnes étant opposée à des prélèvements, la loi Caillavet facilitait la solidarité et une meilleure connaissance des causes delà mort. La recherche de l'avis du défunt au pire moment pour le faire, au moment où l'affectif prend le pas sur le rationnel, provoquera des réactions de refus et surtout un renoncement du médecin à entreprendre la démarche auprès des familles.

            Il est enfin regrettable que les conséquences pratiques de l'instruction ministérielle du 5 juin 1992 n'aient pas été exposées aux parlementaires avec des exemples chiffrés illustrant les différents domaines concernés. Une législation sur l'éthique médicale doit être le produit de la confrontation de principes et d'une réalité pratique. Trouver le bon compromis exige une information complète du législateur. La lecture des débats parlementaires concernant ce problème démontre que les députés n'ont pas été informés des conséquences de la circulaire du 6 juin 1992. Il est indispensable que des dénombrements précis indiquent aux parlementaires les conséquences pratiques des décisions de 1992. En l'absence d'une telle information, le débat se réduirait à un juridisme déconnecté des réalités. Dans le centre parisien de l'Hôtel Dieu, 28 greffes de cornée ont été réalisées au cours des 4 derniers mois de 1992, c'est-à-dire après les dernières "améliorations" des instructions ministérielles. Au cours des 4 derniers mois de l'année 1991 ce nombre était de 105. La réduction du nombre de greffes a donc été de 73%. Nous sommes dans des conditions assez exceptionnelles qui font que le législateur peut connaître par anticipation les effets du texte voté en première lecture à l'Assemblée, encore faudrait-il que ces conséquences soient portées à la connaissance des parlementaires.

 

Les propositions des anatomo-pathologistes de 1993 :

 1) Les principes :

            Une éthique de l'atteinte à l'intégrité d'un cadavre ne peut pas reposer sur une distinction entre la recherche d'une connaissance et l'utilisation de parties du corps humain dans un but thérapeutique. Il est également inapproprié de vouloir séparer l'autopsie faite dans un but médical de l'autopsie scientifique. Préciser un diagnostic peut contribuer à une connaissance épidémiologique dont le caractère scientifique ne peut être discuté.

            Le projet de loi après sa première lecture devant l’Assemblée permettrait de prélever un oeil ou l'encéphale pour préciser les causes de la mort sans avoir à tenir compte de l'avis du défunt (article 668 bis nouveau) et l'interdirait si la recherche de cet avis auprès des proches indique une opposition.

            L'éthique que nous défendons est uniciste. Comme l'avait fait le législateur en 1976, elle ne distingue pas les prélèvements effectués dans un but de connaissance de ceux qui sont destinés à un traitement. Nous considérons qu'il y a deux attitudes possibles face aux actes médicaux pratiqués après la mort :

            - si l'opposition à toute atteinte à sa propre intégrité corporelle domine, on doit pouvoir s'opposer à une autopsie ou à des prélèvements dans un but thérapeutique.

            - si l'on accorde plus de prix au service rendu à la collectivité à laquelle on appartient qu'au devenir de son cadavre, une autopsie destinée à améliorer les connaissances ou des prélèvements dans un but thérapeutique peuvent être réalisés.

 2) Les méthodes

            Mieux organiser le recueil de l'avis du défunt exprimé de son vivant. Cette exigence est assurée par la première rédaction de l'Assemblée (alinéa commençant par "toute personne peut faire connaître..."). L'utilisation de la carte d'assuré social est la méthode la plus adaptée, il est facile d'y placer une case où l'assuré et les éventuels ayants-droit peuvent exprimer leur choix. Le recours à une carte spécifique ou à un fichier national sont également des méthodes appropriées, elles permettent en particulier de sauvegarder la confidentialité d'un choix individuel. Il conviendra également de mieux faire connaître les dispositions de la loi. Ce n'est pas la loi Caillavet qui était mauvaise, c'était l'absence de connaissance de ses principes par le public qui créait parfois des conflits, les familles considérant qu'elles devaient être consultées alors que la loi n'en faisait pas une obligation aux médecins et à l'administration hospitalière.

            Ne pas exiger la recherche d'une opposition par une démarche active auprès des familles. Cette démarche est une agression inutile faite au pire moment de la relation d'un groupe familial avec la mort. Elle provoque des refus qui n'expriment pas réellement l'avis du défunt, mais la relation affective des proches avec celui qui a disparu. Il faut tenir compte des faits : la proportion d'opposition à des prélèvements pour transplantation a atteint 50% en région parisienne au cours des 9 premiers mois de 1992. Les sondages n'indiquent jamais des proportions aussi élevées. Il y donc une discordance entre l'avis du défunt que le législateur veut prendre en compte et ce qu'exprime la famille.

 3) Le respect de ces principes et de ces modalités seraient assurés par la rédaction suivante du projet de loi :

            Toute personne peut faire connaître son refus de toute atteinte à l'intégrité de son corps après sa mort par tout moyen, notamment en indiquant sa volonté sur un registre national automatisé prévu à cet effet, sur la carte d'assuré social ou sur une carte spécifique. Ce refus est révocable à tout moment. Les conditions de fonctionnement et de gestion du registre sont déterminées par décret en conseil d'état.

            Cette volonté peut être exprimée dans des formes identiques par les titulaires de l'autorité parentale ou le représentant légal, pour interdire toute atteinte à l'intégrité du corps d'un mineur ou d'un incapable majeur.

   

Le rapport de la commission des affaires sociales du Sénat

             Le rapport fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat par Monsieur Jean Chérioux n’a pas retenu ces propositions. Il indique à propos de l’article 667-8 bis (page 49) : « Le véritable objet de ce texte est de soustraire les autopsies médicales à l’application du principe de consentement. Nous avons à la fois souligné plus haut l’intérêt que peuvent revêtir, à la fois pour les familles et pour les progrès des connaissances scientifiques, les autopsies médicales. Votre commission estime toutefois qu’il n’est pas opportun  que de tels prélèvements puissent être effectués, en l’absence de connaissance des volontés du défunt sans que soit recherché le consentement de la famille ».

            La commission propose un amendement qui modifie le texte de l’article 667-8 bis et soumet les prélèvements ayant pour but de rechercher les causes du décès au consentement écrit d’un membre de la famille. Cette modification introduit donc une différence entre le prélèvement pour transplantation fondée sur le consentement présumé et le prélèvement dans un but scientifique qui exigerait l’accord explicite d’un membre de la famille. Il convient de remarquer que le rapport de la commission, dans la partie concernant les prélèvements pour transplantation, souligne l’importance de l’ « obligation d’action pour le médecin ». Ce dernier doit rechercher par une démarche active auprès de la famille après la mort, l’absence d’opposition exprimée du vivant, par écrit ou sous toute autre forme ( rapport page 48). Cependant après avoir critiqué la rédaction imprécise du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale, le rapport ne relève pas l’importance des conséquences pratiques qui distinguent les deux formes d’application de la règle du consentement présumé, l’une avec démarche active auprès des familles après la mort, l’autre sans cette démarche comme dans la situation actuelle. C’est pourtant le choix entre les deux possibilités qui va déterminer le nombre de greffes de cornées et d’autopsies médicales. Si l’obligation d’action auprès des familles après la mort est retenue, il y aura 50% de refus des familles présentées comme des refus de la personne décédées pour les greffes de cornées et une proportion encore plus réduite d’autopsies visant à établir les causes de la mort parce que les médecins ne les demanderont plus, pour ne pas avoir à effectuer cette démarche en même temps que l’annonce du décès.

Le débat au Sénat ( pages 191 à 197 du compte rendu de la séance du 17.01.1994)

             L’amendement  n° 47 de la commission prévoyant de rechercher le consentement d’un membre de la famille pour effectuer des prélèvements ayant pour but de rechercher les causes du décès est retiré au profit de l’amendement n°127 de M. Laffitte qui supprime en totalité l’article L 667-8 bis. L’autopsie pour déterminer les causes de la mort revient donc dans le cadre général des prélèvements dans un but scientifique ou thérapeutique, ce qui est une unification souhaitable des principes éthiques sur lesquels reposent ces actes. Mais en replaçant l’autopsie médico-scientifique dans le cadre de l’article 667-7 qui a maintenu l’ajout de l’Assemblée exigeant une démarche active auprès de la famille après la mort, la suppression de l’article 667-8 bis aura comme conséquence pratique la suppression de la plupart des autopsies destinées à établir les causes de la mort.

            Le plus surprenant est que les explications qui ont accompagné ce vote indiquent que les principaux acteurs de la décision, Rapporteurs, Président de la commission des affaires sociales, Ministre délégué, ont considéré cet amendement comme favorable à la pratique des autopsies médico-scientifiques. Cette affirmation est de nature théorique. En droit, l’abandon de l’amendement de la commission semble important, la demande d’autorisation d’un membre de la famille est remplacée par une recherche auprès de la famille de l’avis du défunt. En réalité les deux démarches produiraient des résultats identiques, c’est la famille qui s’exprimera, et son avis devra être sollicité dans une démarche tellement peu respectueuse de sa douleur, que les médecins ne l’effectueront que pour un enjeu vital (la transplantation), ils y renonceront pour établir un diagnostic, reconnaître une erreur ou une complication thérapeutique.

            Le défaut de prise en considération des conséquences de la recherche auprès des familles d’une opposition exprimée avant la mort apparaît clairement quand l’auteur de l’amendement supprimant l’article 667-8 bis indique (JO page 197) : « Cela permettra d’en revenir au texte primitif, puisque cet article a été ajouté par l’Assemblée nationale ». Il fallait ajouter que l’article très critiquable de l’Assemblée avait été ajouté pour éviter que les modifications de  l’article 667 provoque la réduction lourde de conséquence de l’autopsie médico-scientifique. Si le Sénat désirait retourner au texte primitif, il fallait également supprimer d’autres ajouts de l’Assemblée nationale dans l’article 667.

            La méconnaissance de la portée de l’article 667-8 bis apparaît également quand l’auteur de l’amendement indique que « la recherche biologique et médicale française est fortement menacée par cette adjonction de l’Assemblée nationale. J’en veux pour preuve une lettre du bureau de l’Académie des Sciences récemment adressée à M. le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche... le bureau de l’Académie craint qu’un certain nombre de recherches fort importantes - par exemple les études menées sur la maladie d’Alzheimer, qui demandent des prélèvements cérébraux rapides - ne soient affectés voire rendues impossibles ». Ce commentaire montre à quel point l’ajout de l’Assemblée nationale était mal compris puisqu’en réalité il permettait de satisfaire les besoins de connaissances scientifiques, un prélèvement pouvant toujours être considéré comme destiné à rechercher les causes de la mort.

            Pour résumer les conséquences de ce débat, nous pouvons dire que le Sénat a très bien analysé les inconvénients de l’article 667-8 bis, mais sans apprécier les conséquences des modifications apportées par l’Assemblée nationale à l’article précédent. La notion de consentement présumé n’a de sens que si on présume quelque chose. Si une démarche active du médecin ou de l’administration sollicite un avis explicite de la famille après la mort sur une éventuelle opposition de la personne décédée à des prélèvements sur son cadavre, il ne s’agit plus de présomption, mais de recherche d’une certitude. Nous savons qu’en l’absence de documents écrits, c’est uniquement l’accord ou l’opposition de la famille qui s’exprimera.

   

La seconde lecture à l’Assemblée

            Dans le domaine qui nous concerne, traité dans l’article 4 du projet de loi (articles 671-7, 671-8 et 671-9 du code de la santé publique), l’Assemblée a rétabli les dispositions adoptées en première lecture sur les conditions de réalisation des autopsies destinées à préciser un diagnostic. Le texte de l’amendement n°6 présenté par le rapporteur était le suivant : « Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt, exprimé directement ou par le témoignage de sa famille ».

            Cette rédaction est identique à celle de l’article 667-8bis adopté en première lecture à une différence près : causes de la mort est remplacé par causes du décès.

            Un sous amendement du Gouvernement propose que : « Le deuxième alinéa de l’article 671-7 est applicable aux prélèvements ayant pour but de préciser les causes du décès ». L’article a été adopté avec le sous amendement gouvernemental.

            Il faut avoir une connaissance approfondie de ce texte pour comprendre les implications de l’amendement et du sous amendement. Le premier a pour objet principal de fixer des conditions particulières aux prélèvements effectués dans un but scientifique et par une incidente, (« autres que celles ayant pour but de rechercher les causes de décès ») il place en dehors du cadre de l’article 671-9 les autopsies destinées à préciser un diagnostic.

            Le Gouvernement a voulu fixer des limites au régime particulier créé pour ce type de prélèvement en donnant la possibilité à une personne de s’opposer à cette pratique. Ce but est atteint en précisant que : « Le deuxième alinéa de l’article 671-7 est applicable aux prélèvements ayant pour but de préciser les causes du décès ».  Cet alinéa indique que : « ce prélèvement peut être effectué dès lors que la personne concernée n’a pas fait connaître, de son vivant, son refus d’un tel prélèvement ».

            En faisant référence à l’alinéa 2 et non à l’ensemble de l’article 671-7, le sous amendement gouvernemental indique que certaines dispositions de l’article 671-7 ne s’appliqueront pas aux autopsies destinées à déterminer les causes de la mort, en particulier celles du dernier alinéa précisant que « Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir le témoignage de la famille du défunt ou, à défaut, celui de ses proches ». En effet s’il avait voulu appliquer toutes les dispositions de l’article 671-7 aux prélèvements destinés à préciser les causes du décès, il aurait fait référence à l’ensemble de cet article et pas seulement à son alinéa 2.

            Cette rédaction pose le problème des moyens utilisables par une personne de son vivant pour faire connaître sa volonté de s’opposer à tout  prélèvement, y compris ceux destinés à préciser les causes de sa mort. Ces moyens ne peuvent être que ceux visés par l’alinéa 3 de l’article 671-7 qui couvre la totalité des moyens envisageables. Il serait donc souhaitable de le préciser dans l’article 671-9 en indiquant que : « les deuxième et troisième alinéa de l’article 671-7 sont applicables aux prélèvements ayant pour but de préciser les causes du décès». Cette rédaction lèverait toute ambiguïté en indiquant que l’on peut s’opposer par une démarche active effectuée de son vivant à ces prélèvements, mais que le médecin n’est pas tenu de demander à la famille ou aux proches quelle était la volonté du défunt.

Commentaires après la seconde lecture à l’Assemblée Nationale

             L’Assemblée et le Gouvernement ont montré leur volonté de sauvegarder un instrument important du contrôle de la qualité des soins à l’hôpital : la possibilité de faire des prélèvements pour préciser les causes de la mort. Ils ont atteint cet objectif au prix d’une certaine complication du texte. Il existe après la seconde lecture à l’Assemblée trois régimes différents de prélèvements d’organes ou de tissus :

            · celui fixé par l’article 671-7 pour les prélèvements effectués à des fins thérapeutiques. C’est le régime du refus exprimé du vivant, par tout moyen, avec l’obligation pour le médecin de rechercher l’avis du défunt auprès de la famille ou des proches. Un registre informatique permettra, parmi d’autres moyens, l’expression de ce refus.

            · celui fixé par l’article 671-9 pour les prélèvements à des fins scientifiques. C’est le régime du consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille. Il faut remarquer que cet article ne contient pas l’équivalent des dispositions  adoptées par l’Assemblée pour préciser comment la personne manifeste son opposition à des prélèvements dans un but thérapeutique. Il faut également noter que le témoignage de la famille n’est pas obligatoirement obtenu par le médecin, l’administration semble pouvoir agir dans ce cas, à l’inverse du précédent. Remarquons enfin que le témoignage des proches n’est pas envisagé.

            ·  celui applicable aux prélèvements destinés à préciser les causes du décès, isolé par une exclusion du champ d’application de l’article 671-9 et une référence à l’alinéa 2 de l’article 671-7. C’est le régime du refus exprimé du vivant, sans que le texte précise comment ce refus s’exprime.

 

            Ces dispositions sauvegardent la pratique de l’autopsie visant à établir les causes de la mort, qui est un élément important du contrôle de la qualité des soins. Elle a l’inconvénient de multiplier les modes d’expression du consentement, ce qui est difficilement évitable si l’on veut maintenir la consultation de la famille en cas de prélèvement destiné à un but thérapeutique et l’éviter en cas d’autopsie.


 Conclusions

 

            Nous sommes conscients de la nécessité d’envisager non seulement les aspects théoriques, mais également les conséquences pratiques des textes qui seront établis. Le risque de discordance entre ce que le législateur a voulu et ce qu’il obtiendra peut être réduit en écoutant des praticiens qui n’ont pas la responsabilité d’établir la loi mais qui sont confrontés à la réalité. Les anatomo-pathologistes attirent l’attention du Parlement et du Gouvernement sur les points suivants :

 

1.  Le consentement présumé du défunt et l’avis de la famille sur ce consentement sont deux notions qui ne peuvent être confondues. Appliquer la règle du consentement présumé en exigeant une démarche active auprès de la famille après la mort signifie non seulement la réduction des prélèvements dans un but thérapeutique, mais également la quasi-disparition de l’autopsie médico-scientifique.

 

2. La majorité des autopsies sont destinées à renseigner les médecins qui n’ont pu sauver un malade sur les éventuelles erreurs de diagnostic ou de traitement, les complications, les évolutions imprévues. Il s’agit d’abord de l’autocontrôle des médecins sur la qualité de leurs actes. Ceux qui s’y soumettent ont la volonté d’accroître leurs compétences et donc les services qu’ils peuvent rendre aux malades qui se confient à eux.

 

3. Si des exigences relevant du formalisme juridique et de l'agression affective d'une famille après la mort d'un proche réduisent le nombre des prélèvements destinés à rendre la vue ou à sauver des vies et le nombre des autopsies, notre société indiquera  un choix : celui de la réduction de la solidarité et d'un affaiblissement du contrôle de la qualité de l'acte médical au moment où l'on devient particulièrement exigeant à son égard.

 

4. Les pathologistes sont favorables à un maintien de la loi Caillavet sous sa forme actuelle, en facilitant l’expression des oppositions individuelles aux prélèvements dans un but thérapeutique ou à l’autopsie médico-scientifique par des démarches effectués au cours de la vie.