débat 28.06
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Délits non intentionnels (Deuxième lecture) (Suite)

M. LE PRÉSIDENT. – L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. La commission des Lois n’a pas terminé ses travaux. Nous lui accordons un délai de grâce. La séance est suspendue à 9 h 40. * ** Elle est reprise à 9 h 45.

M. LE PRÉSIDENT. – Je rappelle que la discussion de ce texte a commencé le jeudi 15 juin. Après avoir clos la discussion générale et repoussé une motion tendant au renvoi en commission, le Sénat a abordé l’examen des articles. Le gouvernement lui a alors demandé, conformément à l’article 44 de la Constitution, de se prononcer par un seul vote sur le texte assorti de trois amendements qu’il avait déposé. J’interroge donc le gouvernement pour savoir s’il maintient sa demande.

Mme GUIGOU, garde des Sceaux, ministre de la Justice. – La proposition de loi de M. Fauchon est un texte important. Le 15 juin, j’ai rappelé ma position : je suis favorable au principe de cette réforme. Mais j’ai fermement indiqué dès le départ qu’il fallait éviter l’effet inverse, c’est-à-dire une dépénalisation injustifiée de comportements dangereux dans quatre domaines : droit du travail, droit de l’environnement, santé publique, sécurité routière. Dans ses grandes lignes, la proposition de loi allait dans la bonne direction et l’Assemblée nationale l’a grandement améliorée. Malgré ce travail, de nouvelles améliorations restaient possibles et souhaitables pour garantir le nécessaire équilibre entre les droits des victimes et le risque de condamnations non équitables. J’ai donc poursuivi la concertation avec des magistrats, des universitaires, des associations de victimes et des confédérations syndicales. Ces consultations m’ont permis de présenter trois amendements. Ils permettent, la procédure se poursuivant, d’améliorer le texte pour que celui-ci recueille un véritable consensus et soit accepté. Je suis toujours sur cette position ; les amendements n’ont rien perdu de leur pertinence. Je peux même accepter un sous-amendement qui, sans dénaturer le deuxième amendement, remplacerait l’expression « en ce qu’elle exposait autrui à un risque d’une particulière gravité » par les mots « qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité ». De la sorte, on ne se borne pas à caractériser la faute par le risque qu’elle entraîne et on parvient à un équilibre satisfaisant. C’est dans cet état d’esprit que le gouvernement a procédé à la réinscription du texte à l’ordre du jour de votre Assemblée pour que le débat se poursuive. Nous sommes d’accord sur le fond et nous allons voir ce que la discussion nous réserve.

* ** PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE, VICE-PRÉSIDENT

M. LE PRÉSIDENT. – Acte vous est donné de cette déclaration, compte tenu du sous-amendement de la commission des Lois.

Article premier Le troisième alinéa de l’article 1213 du Code pénal est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés : Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute, d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le Règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l’origine ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, ne sont pas responsables pénalement que s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le Règlement, soit commis une faute d’une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu’elles ne pouvaient ignorer.

M. LE PRÉSIDENT. – Amendement n° 1, présenté par le gouvernement. Au début du second alinéa du texte proposé par cet article pour remplacer par deux alinéas le troisième alinéa de l’article 1213 du Code pénal remplacer les mots : « Toutefois, dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui en est à l’origine ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, ne sont responsables pénalement que s’il est établi », par les mots : « Dans le cas prévu par l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi ».

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. – J’ai déposé deux amendements qui modifient la rédaction des nouvelles dispositions de l’article 1213 du Code pénal, tant en ce qui concerne la définition du lien de causalité qu’en ce qui concerne la définition de la faute qualifiée. Il m’a semblé en effet nécessaire de prendre en compte les légitimes interrogations exprimées par certaines associations de victimes. Par le premier amendement, il s’agit de montrer clairement que la responsabilité pénale des auteurs indirects des dommages n’est pas « subsidiaire », qu’elle n’est en aucun cas une « responsabilité par défaut ». Comme je l’ai indiqué, il n’y a pas une hiérarchie des causes, la cause déterminante d’un dommage pouvant dans certains cas être la cause indirecte et non la cause directe de celui-ci. Je vous propose donc de supprimer l’adverbe « toutefois » et rédiger la phrase sous une forme affirmative, comme l’alinéa précédent, et non sous une forme négative. Le second objet de l’amendement est de lever toute ambiguïté quant à l’hypothèse de l’auteur indirect qui a créé la situation à l’origine du dommage. Le texte actuel pourrait donner l’impression d’exiger une faute unique, ce qui empêcherait de retenir plusieurs auteurs indirects ayant chacun contribué à créer cette situation, ou de se limiter aux seules personnes qui ont créé la situation originelle d’où est ensuite résulté le dommage, ce qui interdirait de sanctionner ceux qui ont permis le maintien, voire l’amplification de cette situation à risque.

M. FAUCHON, rapporteur de la commission des Lois. – Je remercie le gouvernement d’avoir bien voulu prendre les dispositions pour que nous puissions reprendre le débat dans une sérénité retrouvée. Au fond la commission et la garde des Sceaux ont les mêmes préoccupations. Nous n’avons pas voulu faire un texte particulier pour les élus – voilà longtemps que cette étape est dépassée. Ce texte a une portée générale, en dépit des interprétations inexactes de la presse et, d’ailleurs, les démarches dont nous avons été l’objet ces dernières semaines émanent des directeurs d’hôpitaux, des préfets, qui ne sont pas encore élus, d’organisateur d’activités sportives voire de simples particuliers. Il est tout à fait inexact de croire que l’adoption de ce texte entraverait les investigations sur tel ou tel sinistre. La juridiction pénale restera saisie et les juges ordonneront des expertises. Ce n’est qu’à l’issue de l’instruction que l’on considérera la situation de la personne concernée. Les victimes ne seront donc nullement privées des réparations financières ouvertes par la procédure pénale et l’on tirera parti du statut de témoin assisté que nous venons de voter. C’est dire que nous aurons amélioré la situation des personnes concernées sans diminuer en rien la capacité d’information des victimes ; les rumeurs ne correspondent pas à la réalité. Nous avons buté un peu vite sur ces amendements : en poursuivant la discussion, nous aurions déjà pu trouver des solutions. Le premier d’entre eux ne présente pas d’inconvénient, la précision est éclairante mais ne modifie pas le droit puisqu’il faut un lien de causalité entre le fait et le dommage. Il n’y a donc pas d’équivoque et la commission peut donner un avis favorable.

M. CHARASSE. – Je veux comprendre la portée exacte de ce qu’on nous demande de voter. Car après, il sera trop tard. S’agissant de dispositions qui tangentent la justice, voire la vengeance, pour satisfaire la vox populi (Mme la garde des Sceaux s’offusque.) Je sais de quoi je parle ! Un maire décide de construire un pont, défi à la règle naturelle selon laquelle tout objet placé en l’air s’effondre sous l’effet de l’attraction terrestre – loi que ne contestent que les ivrognes, rassurés à l’idée que les mouches marchent au plafond… À la suite d’élections, c’est une nouvelle équipe municipale qui met en oeuvre le projet : le premier maire, celui qui a pris la décision, y a-t-il « contribué » ? La secrétaire qui a tapé à la machine la décision y a t elle contribué ? Et le porteur du pli fatal ? Je ne suis pas défavorable par principe aux amendements du gouvernement mais j’aimerais être éclairé autrement que par les sourires entendus des collaborateurs de Mme la garde des Sceaux !

M. VASSELLE. – Je fais miennes ces pertinentes remarques et j’ajoute que le membre de phrase introduit par l’Assemblée nationale, « ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter » atténue considérablement la rédaction initiale directe et sans ambiguïté de M. Fauchon. Je crains que la jurisprudence à venir ne marque aucune rupture par rapport au passé. Nous verrons, lorsque les magistrats appliqueront le texte…

M. CHARASSE. – Ils ne l’appliqueront pas !

M. VASSELLE. – Je crains qu’il n’y ait là aucune véritable avancée.

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. – J’ai déjà dit pourquoi l’expression « contribue à créer » est indispensable. Mais comment laisser dire que les associations de victimes ou les syndicats sont guidés par la vengeance ! J’ai mené une concertation approfondie avec des parlementaires, des magistrats, des universitaires, les confédérations syndicales… Tous ont eu la volonté de parvenir à un texte équilibré corrigeant la loi actuelle, source de certaines injustices, mais ne dépénalisant pas à l’excès dans des domaines où des conduites inconsidérées, peuvent produire des conséquences fort dommageables. L’équilibre était délicat à atteindre. Et tous ceux avec lesquels j’ai travaillé ont démontré un esprit très modéré. (Applaudissements sur la plupart des bancs socialistes.)

M. CHARASSE. – Cela n’est pas mon avis.

M. FAUCHON, rapporteur. – La pluralité des causes est connue en droit. L’intervention de la dactylo ne constitue pas une cause. Il ne suffit pas d’avoir contribué : ne sont visées que les personnes qui n’ont pas pris les mesures que s’il est établi qu’elles ont soit violé de façon délibérée une obligation prévue par la loi ou le Règlement, soit commis une faute…

M. CHARASSE. – Les deux parties du texte marchent ensemble !

M. FAUCHON, rapporteur. – Et il faut que la faute en question soit caractérisée et qu’on ait établi un lien de causalité. Nous n’avions pas cru nécessaire de faire allusion à la pluralité des causes mais si le gouvernement le souhaite, nous n’y voyons pas d’inconvénient. L’amendement n° 1 est adopté.

M. LE PRÉSIDENT. – Amendement n° 2, présenté par le gouvernement. À la fin du second alinéa du texte proposé par cet article pour remplacer par deux alinéas le troisième de l’article 1213 du Code pénal, remplacer les mots : « soit commis une faute d’une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu’elles ne pouvaient ignorer. », par les mots : « soit commis une faute caractérisée en ce qu’elle exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que ces personnes ne pouvaient ignorer ».

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. – Il s’agissait de lever une ambiguïté. Car il ne faudrait pas laisser croire que la responsabilité pénale en cas de causalité indirecte ne sera engagée que dans des hypothèses exceptionnelles. La rédaction de l’Assemblée nationale précise que la responsabilité pénale suppose que l’auteur de la faute ne pouvait ignorer le danger auquel il exposait autrui. Même si la jurisprudence retient, pour définir une faute inexcusable, l’expression de « faute d’une exceptionnelle gravité », mieux vaut lui substituer une autre formulation, afin que personne ne croie que la faute ne sera, en pratique, retenue que dans des cas rarissimes. Notre définition met également en évidence que la responsabilité pénale est liée à la gravité particulière d’un risque dont l’existence était connue par l’auteur de la faute. La jurisprudence assimile souvent la gravité de la faute à la gravité du risque. Pourtant, la faute peut avoir un caractère évident et grossier sans qu’existe un risque grave mais, par exemple, une multiplicité de petits risques. En d’autres termes, la caractérisation de la gravité de la faute ne dépend pas exclusivement de la gravité du risque. J’accepte par avance le sous-amendement de la commission, qui ne dénature pas le texte.

M. LE PRÉSIDENT. – Sous-amendement n° 5 à l’amendement n° 2 du gouvernement, présenté par M. Fauchon au nom de la commission des Lois. Dans le dernier alinéa de l’amendement n° 2, remplacer les mots : « en ce qu’elle exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que ces personnes », par les mots : « et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ».

M. FAUCHON, rapporteur. – La rédaction du gouvernement comporte une équivoque : il semble en effet que la faute soit caractérisée par le fait qu’elle expose autrui à un risque d’une particulière gravité. Comme si le seul fait d’exposer autrui à un danger fondait le délit. La définition de la faute d’imprudence et de négligence deviendrait plus large encore qu’actuellement ! Or, dans notre esprit, il y a délit si deux conditions sont réunies. Car on peut exposer autrui à un grave danger sans qu’il y ait faute ; on peut aussi avoir commis une faute grave mais qui n’expose pas autrui à un risque que l’on connaissait. Nous avions une divergence de vue au sujet de l’expression « faute d’une exceptionnelle gravité ». On a pu craindre qu’à ce compte plus aucune condamnation ne soit prononcée. La jurisprudence ne l’entend pas ainsi mais je concède que la formule pourrait avoir cet effet regrettable. Donc, nous acceptons de retirer « exceptionnelle », mais nous conservons « gravité ». Il ne faut pas oublier que le Sénat n’est pas seul ; il y a aussi le gouvernement et l’Assemblée nationale. Nous sommes trois.

M. CHARASSE. – Quatre, avec les associations.

M. FAUCHON, rapporteur. – Il faut donc avancer et le résultat actuel est positif. Ne le comparons pas à ce que nous avons pu espérer de mieux mais à ce que nous avions au point de départ. En vertu d’une jurisprudence datant de 1912, les fautes civiles et pénales sont assimilées : n’importe quelle faute ou négligence constitue le délit. Il est essentiel de sortir de là, de nous libérer de la jurisprudence. Si notre texte n’était pas voté, la jurisprudence serait confortée. Je ne sais pas exactement ce qu’est une faute « caractérisée » mais le mot a un sens en français. Une bêtise « caractérisée », ce n’est pas n’importe quelle bêtise. C’est une bêtise qui présente un réel degré de gravité. En disant faute « caractérisée », on sort de la jurisprudence actuelle, où c’est n’importe quelle faute. C’est cela qui compte. Voilà pourquoi je vous propose d’adopter notre sous-amendement ainsi que l’amendement ainsi modifié.

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. – Le juge devra donc se poser deux questions : sur la nature de la faute et sa caractérisation, sur la nature et la connaissance du risque. Le caractère cumulatif des conditions permet de lever une ambiguïté : une faute fugace peut exposer à un risque important sans que les tribunaux estiment qu’il s’agit d’une faute caractérisée… Parant à cette éventualité le sous-amendement ne soulève pas de difficulté. Le sous-amendement n° 5 est adopté à l’unanimité.

M. CHARASSE. – Je voudrais comprendre l’amendement n° 2. (Sourires.) Je vois bien pourquoi le garde des Sceaux ne souhaite pas que l’on parle d'« exceptionnelle » gravité : cela exempterait trop de gens. Mais faut-il s’en tenir à cette faute « caractérisée » dont le rapporteur nous dit lui-même qu’il ne sait pas ce que cela veut dire au juste ! Pour moi, cela désigne un acte présentant toutes les caractéristiques de la faute – rien de plus. Mieux vaudrait ajouter « sciemment » pour atténuer le flou de cette formulation. Avec la première, on n’attrape pas assez ; avec la seconde, on attrape trop.

M. VASSELLE. – L’inquiétude de M. Charasse devrait nous faire réfléchir. Même si je comprends la préoccupation du gouvernement, je crains que la jurisprudence n’évolue guère. Cela me rappelle la loi sur la parité : on avait soutenu que le mot « favorise » n’avait aucune valeur juridique et on voit où cela nous conduit… Je sais bien que nous subissons la forte pression d’associations qui prétendent défendre les victimes mais nous devons légiférer en toute indépendance – sans tenir compte de lobbies.

M. GÉLARD. – Si l’on en était resté à l’amendement n° 2 de la Chancellerie, nous n’aurions pas voté ce texte parce qu’il n’aurait rien changé. L’adoption du sous-amendement améliore les choses mais je partage l’inquiétude de MM. Charasse et Vasselle : on laisse aux juges une trop grande liberté d’appréciation. Faisons le pari que le texte ainsi modifié fera avancer les choses dans le bon sens !

M. Jacques LARCHÉ, président de la commission. – Nous sommes tous conscients de faire en ce moment quelque chose qui n’est pas complètement satisfaisant. Il y a le rôle des lobbies et son effet sur les choix opérés par la Chancellerie. Si nous n’avions pas pris nos initiatives, c’est-à-dire si nous n’avions pas inscrit ce texte à la séance mensuelle qui nous est réservée, il ne serait pas venu en discussion avant la fin de la session. Le gouvernement l’avait retiré de l’ordre du jour ; on nous avait annoncé une concertation approfondie, un groupe de travail, etc. Nous avons obtenu l’essentiel : un engagement écrit du ministre des relations avec le Parlement d’inscrire ce texte à notre ordre du jour de ce matin, et à celui de l’Assemblée nationale le 30 juin. Je pense, madame le Garde des Sceaux, que telle est aussi votre intention. Nous avons progressé sur un point essentiel grâce au Sénat. On ne nous a certes pas expliqué clairement ce qu’était une faute « caractérisée ». Ou bien nous acceptons cet amendement, ce qui ouvre la perspective d’une avancée sérieuse d’ici la fin de la session, ou bien nous le refusons – et l’adoption du texte devient incertaine.

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. – La faute caractérisée est celle qui présente toutes les caractéristiques de la faute et pour laquelle tous les éléments la constituant sont bien établis. Cela dit, il ne faudrait pas oublier les progrès contenus dans ce texte, notamment la distinction entre causalité directe et indirecte et la séparation plus nette entre faute pénale et faute civile. Depuis le début, mon souci a été de parvenir au texte le plus équilibré possible, qui remédie aux injustices constatées mais sans en créer de nouvelles. Un texte qui réponde au légitime souci des victimes – et à cet égard, je récuse le terme de lobby qui pourrait s’appliquer à beaucoup de monde…

M. Jacques LARCHÉ, président de la commission et M. CHARASSE. – Oui !

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. –…et qui réponde aussi aux préoccupations des élus. Et un tel texte n’est pas facile à élaborer. Si le gouvernement a demandé le retrait du texte de l’ordre du jour, c’est parce que le président du groupe R.P.R. de l’Assemblée nationale est arrivé, à la surprise générale, aux environs de minuit, pour exprimer son désaccord. C’est aussi parce que j’ai été sensible aux doutes exprimés sur certains bancs de la majorité comme de l’opposition, sur plusieurs points. J’ai donc préféré poursuivre la concertation pour ne pas risquer de remplacer certaines injustices par d’autres. Si la Haute Assemblée a adopté aujourd’hui l’amendement n° 2 avec le sous-amendement que j’ai accepté, rien ne s’opposera plus à ce que le texte soit présenté à l’Assemblée nationale avant la fin de la session.

M. FAUCHON, rapporteur. – Juste un mot à propos de la faute caractérisée. Il est vrai qu’on ne sait pas exactement ce qu’elle est…

M. CHARASSE. – Nous venons d’entendre une définition !

M. FAUCHON, rapporteur. – … mais on sait ce qu’elle n’est pas. Selon le Robert le mot « caractérisé » désigne, depuis 1653, ce qui a un caractère bien marqué. Par exemple, un délit caractérisé, une injure caractérisée. Au XVIII e siècle, s’est ajoutée une autre signification : « qui a un caractère affirmé ». Et je ne résiste pas au plaisir de vous lire la citation de Diderot : « Ce sont deux physionomies d’amants fort tendres, mais qui n’ont rien de caractérisé ni d’original. » Pour en revenir à votre texte, il ne peut s’agir de n’importe quelle faute. Et c’est déjà un grand progrès par rapport à la situation actuelle. L’amendement n° 2, modifié, est adopté. L’article premier, modifié, est adopté.

Article premier bis Après l’article 4 du Code de procédure pénale, il est inséré un article 41 ainsi rédigé : L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 1213 du Code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1383 du Code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie.

M. LE PRÉSIDENT. – Amendement n° 3, présenté par le gouvernement. Compléter le texte proposé par cet article pour l’article 41 du Code de procédure pénale par les mots : « ou en application de l’article L. 4521 du Code de la sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie. »

Mme GUIGOU, garde des Sceaux. – Afin de prendre en compte les légitimes interrogations de certaines associations de victimes, il est opportun de compléter la rédaction du nouvel article 41 du Code de procédure pénale, afin de préciser les conséquences de l’abandon de la théorie des fautes civiles et pénales. Sont désormais distinctes de la faute pénale d’imprudence exigée par le nouvel article 1213 du Code pénal en cas de lien de causalité indirect, non seulement la faute civile de l’article 1383 du Code civil, mais également la faute inexcusable de l’employeur prévue par l’article L. 4521 du Code de la sécurité sociale, qui permet une indemnisation complémentaire de la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Le tribunal de la sécurité sociale peut estimer qu’une faute inexcusable est caractérisée, là où le juge répressif estime qu’aucune faute pénale n’a été commise. L’article 41 du Code de procédure pénale doit donc mentionner cette hypothèse, afin de ne pas affaiblir l’indemnisation des victimes d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.

M. FAUCHON, rapporteur. – La commission est très favorable si l’article L. 4521 n'était pas expressément visé, on aurait pu croire que c’était à dessein. L’amendement n° 3 est adopté. L’article premier bis, modifié est adopté. L’article premier ter est adopté. Les articles 3 bis et 3 ter demeurent supprimés. L’article 6 est adopté. L’article 7 bis demeure supprimé. Les articles 7 ter, 7 quater, 7 quinquies et 7 sexies sont successivement adoptés.

Explication de vote M. LE PRÉSIDENT. – Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.

M. VASSELLE. – Je me félicite du consensus qui prévaut alors que nous achevons d’examiner ce texte, destiné à conforter notre démocratie en rassurant les élus locaux, sans créer de législation spécifique en leur faveur, et sans rouvrir le douloureux contentieux des contaminations transfusionnelles. La pénalisation excessive de la vie politique m’a conduit à déposer plusieurs propositions destinées à modifier notre législation. Certaines ont été écartées, d’autres ont été retenues, comme cet amendement ouvrant aux collectivités locales la faculté de protéger leurs élus poursuivis en raison de fautes pénales non détachables de leur fonction. L’Assemblée nationale a transformé la faculté en obligation, et je m’en félicite car tel était le sens initial de mon amendement, rectifié ici à la demande du gouvernement. La proposition de loi va plus loin que le texte de 1996, lequel était également d’origine sénatoriale. Toutes les difficultés sont-elles levées pour autant ? Je crains que non. Même si nous n’avons pas adopté de dispositions spécifiques pour les élus, d’aucuns ne manqueront pas de suggérer que les élus échappent systématiquement aux poursuites. Quant aux élus qui doutent et s’interroge sur leur avenir, seront-ils suffisamment confortés ? Il appartiendra au Sénat, grand représentant des communes de France, de se montrer vigilant quant à l’application de ce texte et surtout, de le compléter au plus tôt par un statut de l’élu local. La relance de la décentralisation passe, selon le voeu du Président Poncelet, par l’exploration de nouveaux territoires pour l’intervention des collectivités locales. Si nous avions commencé par élaborer le statut de l’élu, bien des difficultés auraient été évitées. J’y travaille. J’espère que nous pourrons en discuter lors de la prochaine session.

M. BRET. – De nos débats sur la définition des délits non intentionnels, nous tirons au moins deux enseignements : à vouloir aller trop vite…on finit par aller plus lentement ; à faire la sourde oreille…on finit par entendre des cris ! On peut être persuadés d’avoir raison, on peut penser avoir examiné toutes les conséquences d’une modification législative, il reste que notre travail de législateur doit faire l’objet d’une action pédagogique en direction des citoyens. On ne peut pas faire l’économie de l’explication : c’est une attente réelle de nos concitoyens, dont on ne peut que se féliciter. Cet effort est particulièrement nécessaire dans le domaine essentiel qui nous intéresse ce matin. Il faut réunir le plus large consensus pour favoriser la bonne compréhension et la bonne application de la loi future. Nos débats ont montré que l’écoute réciproque permettrait d’arriver à un accord. Ainsi, la distinction entre causalité directe et causalité indirecte ne conduit pas à une hiérarchie des responsabilités. Les causes indirectes peuvent être les plus graves. De même, il est équitable de retenir la faute caractérisée, tout en rendant l’appréciation de la faute indépendante de la gravité du risque. Le texte ainsi amendé préserve les droits des victimes d’accidents collectifs tout en permettant d’éviter les situations injustes rendues possibles par la législation actuelle : c’est pourquoi le groupe C.R.C. le votera, en comptant que son application lève les réserves exprimées ici : comme l’a très bien dit M. Gélard, c'est un défi à relever.

Mme DERYCKE. – Nous sommes tous conscients des difficultés soulevées par l’application des dispositions du Code pénal relatives aux délits non intentionnels. Les socialistes ont dès le départ soutenu la proposition de notre collège M. Fauchon. Toutefois, comme vous l’avez rappelé, madame la Ministre, une telle réforme ne doit pas conduire à dépénaliser des comportements dangereux dans des domaines aussi importants que le droit du travail, la santé publique, la sécurité routière ou l’environnement. C’est d’ailleurs pourquoi vous avez retiré ce texte de l’ordre du jour début juin, afin d’approfondir la réflexion. Le groupe socialiste se félicite de votre persévérance et de la volonté gouvernementale de faire aboutir la réforme avant la fin de la session. Telle qu’elle a été modifiée, cette proposition de loi recueille un large consensus et répond aux attentes légitimes des acteurs de la vie publique et de la vie sociale : le groupe socialiste le votera car elle va dans le bon sens et s’inscrit dans la réflexion à poursuivre sur les mécanismes de garantie des dommages subis par les victimes.

M. HYEST. – Nombre de nos collègues ont exprimé leur insatisfaction sur le plan juridique : si le texte marque des progrès, son interprétation jurisprudentielle pourrait ne rien changer dans les faits, comme cela s’est passé avec la loi de 1996 que nous avons dû remettre sur le métier. Je rappelle que cette loi ne vise pas seulement les élus, mais tous les décideurs ; si les élus sont le plus souvent poursuivis, ce qui ne signifie pas qu’ils soient le plus souvent condamnés, c’est bien tous les décideurs qui sont concernés. On parle beaucoup d’une excessive pénalisation de la société, mais nous en sommes responsables, pour avoir laissé aux associations – qu’on ne veut pas appeler des lobbies – le soin de se porter parties civiles au nom des citoyens. Peut-on encore parler d’action publique ? Je souhaite en tout cas que ce texte contribue à la dépénalisation de la vie sociale, que nous appelons tous de nos voeux. Si nos concitoyens recourent trop souvent à la voie pénale plutôt qu’à la voie civile, c’est pour des raisons de délai, la première étant réputée plus rapide. Ce texte représente un progrès : le groupe de l’Union centriste le votera et je félicite en son nom notre rapporteur pour son remarquable travail et sa grande connaissance du droit.

M. GÉLARD. – Une fois encore, le Sénat a montré son utilité, en comblant des lacunes de notre droit, en remédiant à des errements de la jurisprudence : il fallait à nouveau modifier l’article 1213 du Code pénal, qui est une anomalie parmi les pays européens ; il fallait mettre un terme aux dérives constatées et je rends hommage à la persévérance de notre collègue Fauchon. Pour autant nous ne sommes pas allés au bout du chemin. Nous en sommes restés à une politique de petits pas et je crains que nous ne devions réformer à nouveau cet article dans peu de temps. Je m’inquiète aussi de ce que certains responsables – des élus, mais aussi des décideurs relevant du droit privé – ne soient tentés, au vu de ce texte apparemment plus favorable, de se dégager de leurs obligations de surveillance et de sécurité et qu’ils ne se montrent moins soucieux de prudence et de précautions : ce texte ne doit pas faire baisser la garde ! Ce texte marque une étape dans la bonne voie, et l’on peut souhaiter que la jurisprudence en tienne compte. C’est pourquoi le groupe du R.P.R. le votera, en espérant, madame la Ministre, que l’application de l’article 44-3 de la Constitution ne restera ici qu’un mauvais souvenir passager… (Applaudissements à droite.) La proposition de loi, modifiée, est adoptée à l’unanimité. (Applaudissements.)