BULLETIN EPIDEMIOLOGIQUE HEBDOMADAIRE
N° 45 9 novembre 1999
L'EVOLUTION DE LEXPOSITION PROFESSIONNELLE A LAMIANTE CHEZ LES HOMMES EN FRANCE
Stephen GOLDBERG, Alireza BANAEI, Marcel GOLDBERG
INSERM Unité 88
Hôpital National de Saint-Maurice
14, rue du Val dOsne
94415 Saint-Maurice Cedex, France
INTRODUCTION - OBJECTIFS
Lamiante est un cancérogène humain avéré, les cancers concernés étant au premier chef le mésothéliome, notamment de la plèvre, et le cancer du poumon [1]. Hormis les cancers, diverses pathologies respiratoires non tumorales (asbestose, plaques pleurales) sont également occasionnées par lamiante[2].
Les expositions dorigine professionnelle sont actuellement responsables de limmense majorité des cancers induits par lamiante dans les pays industrialisés. On admet quau moins 80% de tous les mésothéliomes survenant dans les pays industrialisés sont dus à une exposition professionnelle à lamiante, ainsi quenviron 5 à 10% de tous les cancers du poumon [2].
Le développement massif de lusage de lamiante dans les pays industrialisés sest accompagné dune augmentation importante et régulière de lincidence des mésothéliomes à partir des années 50 dans tous les pays industrialisés. Bien que de nombreux pays aient pris des mesures pour réduire la fréquence et les niveaux dexposition à lamiante, la tendance à laugmentation de la mortalité par mésothéliome va se poursuivre pendant au moins deux ou trois décennies, en raison du temps de latence de 30 à 40 ans [3].
Il est donc important de connaître la distribution des expositions professionnelles à lamiante dans la population dun pays, et son évolution durant les dernières décennies. En effet, elles peuvent permettre détablir des prévisions réalistes de lévolution de lincidence des cancers provoqués, faciliter la mise en place et lévaluation des programmes de surveillance des risques liés à lamiante. Cependant, très peu de données concernant la distribution des expositions à lamiante parmi la population dun pays ont été publiées.
Lobjectif de ce travail est de décrire pour la population masculine française lévolution de la prévalence et du niveau de lexposition professionnelle à lamiante depuis le début du siècle.
POPULATION ET MÉTHODES
Léchantillon
Un échantillon a été constitué à partir de onze études cas-témoins en population comportant une histoire professionnelle complète (références en annexe). La période du recueil des données concerne essentiellement la deuxième partie des années 80 et la première partie des années 90. Les sujets proviennent de pratiquement toutes les régions de France. Lâge moyen des sujets au moment du recueil des données était de 59,2 ans. Les sujets inclus dans léchantillon étaient les témoins de toutes les études, et les cas lorsquil sagissait dune pathologie pour laquelle aucune association avec lamiante nest connue. Les données réunies étaient pour chaque sujet les historiques professionnels. Chaque épisode professionnel comporte la date de début et de fin ; le métier est codé selon la Classification Internationale des Professions (ISCO), et le secteur dactivité selon la Classification Internationale des Industries (Isic). Létude a été restreinte aux hommes, car très peu de données avec un historique de carrière sont disponibles pour des femmes. Léchantillon analysé est composé de 4 287 sujets, totalisant 12 953 épisodes professionnels différents
Évaluation de lexposition a lamiante
Elle a été réalisée par lintermédiaire dune " matrice emplois-expositions " (MEE), cest-à-dire une base de données qui associe à des métiers pour différentes périodes des valeurs moyennes dexposition à des nuisances professionnelles. Une MEE spécifique de lamiante applicable à la population française a été développée par Orlowski et al. [4] ; les métiers sont des combinaisons de codes ISCO ET ISIC, et pour chaque combinaison ISCO/ISIC, on trouve trois indices : probabilité, fréquence, et intensité, le niveau dexposition calculé étant le produit de ces trois indices. Les histoires professionnelles des sujets ont été croisés avec la MEE afin dévaluer leurs expositions.
Validation de léchantillon
On a comparé les distributions des professions dans léchantillon et dans la population masculine française grâce aux cinq recensements réalisés de 1954 à 1982.
Analyse statistique
Les principales variables dexposition analysées sont la proportion dhommes exposés et un indice composite dexposition dans la population : produit de la moyenne de lintensité dexposition, de la proportion dexposés et de la durée dexposition. Dans les données présentées, on sest limité à lexposition entre les âges de 20 et 59 ans (excepté pour les indices cumulés pour lesquels lexposition depuis le premier emploi a été prise en compte), car lâge dentrée dans la vie professionnelle et lâge de la retraite ont beaucoup évolué au cours du siècle, rendant difficiles les comparaisons pour les âges extrêmes. Lestimation des paramètres de la distribution a été faite par génération et par classe dâge de 10 ans, ce qui permet détudier leffet période. Léchantillon initial a été rééchantilloné 200 fois en utilisant la méthode du bootstrap [5].
RÉSULTATS
Létude de la représentativité de léchantillon a montré que léchantillon est composé de façon proche de la population générale masculine française pour ce qui concerne la distribution des professions susceptibles dentraîner une exposition professionnelle à lamiante pendant la période couverte par cette étude.
La proportion dhommes exposés à lamiante dans chaque génération par classe dâge de 10 ans est présentée dans le Tableau 1. La classe la plus exposée est celle des 20-29 ans, et la période où la proportion de la population masculine exposée est la plus élevée, dépassant 15%, est celle des années 1960-1970, qui correspond à la fois à une période dexpansion de léconomie française et de lutilisation de lamiante. Le Tableau 1 présente également la proportion cumulative dexposés jusquà différents âges : la génération née entre 1930 et 1939 a été dans lensemble la plus exposée, et la proportion dhommes exposés au moins une fois dans leur vie professionnelle est de 24,5 % dans cette génération. Ce sont les générations qui ont commencé leur vie professionnelle autour de 1950 qui présentent la proportion cumulative dexposés jusquà lâge de 40 ans la plus élevée.
Tableau 1 - Proportion d'hommes exposés professionnellement à
l'amiante
par génération en France par décennie et cumulée
Le Tableau 2 présente les valeurs de lindice dexposition I par génération et par classe dâge, et les valeurs cumulées de cet indice par génération jusquà certains âges. A nouveau on constate que la période autour des années 1960-1970 a été celle de lexposition à lamiante globalement la plus forte avec un maximum pour la génération 1940-49 à lâge de 20-29 ans ; pour faciliter la lecture des résultats, on a fixé à la valeur I=1 ce maximum décennal, les variations de lindice I étant exprimées de façon relative par rapport à cette valeur. Quand on considère lindice dexposition cumulé jusquà lâge de 60 ans, on observe que cest la génération 1920-29 qui a été le plus exposé : I = 2.,2 ; seules les générations dhommes nés après 1950 bénéficient dune réduction importante de leur exposition à lamiante. Ce sont donc les hommes âgés de 45 ans ou plus aujourdhui qui ont été le plus massivement exposés en France.
Tableau 2 - Indice d'exposition professionnelle à l'amiante
chez les hommes
en France par génération, par décennie et cumulée
DISCUSSION-CONCLUSION
Ce travail a permis de reconstituer lexposition professionnelle à lamiante chez les hommes et son évolution en France depuis le début du siècle. Il apporte des informations sur les principaux paramètres caractérisant lexposition dans la population qui sont associés au risque de cancer : fréquence, durée et niveau. Différents problèmes concernant la validité des estimations présentées dans ce travail doivent cependant être discutés.
Malgré la taille importante de léchantillon, qui a montré une bonne représentativité, le nombre de sujets représentant les générations les plus anciennes et les plus récentes est faible, ce qui diminue la précision des estimations ; lutilisation de la méthode du bootstrap a permis de minimiser ce problème, et les intervalles de confiance des paramètres estimés (non montrés ici) sont assez étroits, montrant que les estimations obtenues sont relativement précises.
Les paramètres dévaluation de lexposition à lamiante estimés proviennent dune MEE, qui est un outil imparfait, susceptible de fournir des évaluations dexposition imprécises et qui génère des erreurs de classement. Cependant la MEE utilisée a fait lobjet dune évaluation de ses "performances épidémiologiques ", cest-à-dire de son aptitude à fournir des résultats épidémiologiques déjà connus, qui a montré une bonne validité globale. Il nexiste donc vraisemblablement pas de distorsion majeure de lestimation de lexposition à lamiante dans la population.
On dispose de très peu de données concernant la distribution des expositions à lamiante parmi la population dun pays. Dans les pays scandinaves, on estime que la proportion des hommes ayant été exposés professionnellement à lamiante varie entre 10 et 36%, en Suède et en Norvège, et que 18% des hommes âgés de 35 ans et plus ont une exposition significative en Finlande [6]. Ces données sont cohérentes avec qui sont présentées ici. On peut donc considérer que malgré les imprécisions inhérentes aux limites des données disponibles et des outils utilisés, notre étude apporte des informations ayant une validité raisonnable concernant lexposition professionnelle à lamiante et son évolution dans la population française. Elles mettent en évidence le nombre extraordinairement élevé dhommes ayant été exposés à lamiante durant leur carrière professionnelle. Les secteurs exposés à lamiante sont nombreux, et ils sont loin de correspondre aux industries traditionnelles de lextraction et de la transformation de lamiante. Ainsi, 45 % des métiers du bâtiment et travaux publics sont exposés à lamiante ; au sein du secteur de la production industrielle, où plus de 40 % des emplois sont exposés à lamiante, la métallurgie et le secteur des machines et engins sont particulièrement concernés.
REMERCIEMENTS
Les auteurs remercient S. Benhamou, J. Clavel, S. Cordier, M. Hours, Y. Iwatsubo, S. Richardson, B. Stengel, and I. Stucker, qui ont fournis les données des études cas-témoins, ainsi qui E. Orlowski qui a autorisé lutilisation de la matrice emplois-expositions quelle a développé. Ce travail a bénéficié de subventions du Ministère du Travail et de la Ligue Nationale contre le Cancer.
ANNEXE
Référence des études cas-témoins à partir desquelles léchantillon a été constitué.
Boffetta P, Agudo A, Ahrens W, Benhamou E, Benhamou S, Darby S et al. Multicenter case-control study of exposure to environmental tobacco smoke and lung cancer in Europe. J Natl Cancer Inst 1998;90:1440-1450.
Clavel J, Mandereau L, Cordier S, Le Goaster C, Hemon D, Conso F et al. Hairy cell leukaemia, occupation and smoking. Br J Haematology 1995;91:154-161.
Cordier S, Clavel J, Limasset JC, Boccon-Gibod L, Le Moual N, Mandereau L et al. Occupational risks of bladder cancer in France: a multicentre case-control study. Int J Epidemiol 1993;22:403-411.
Hours M, Dananche B, Caillat-Vallet E, Fevotte J, Philippe J, Boiron O et al. Glycol ethers and myeloid acute leukaemia: a multicenter case-control study. Occup Hygiene 1996;2:405-410.
Hours M, Dananche B, Fevotte J, Bergeret A, Ayzac L, Cardis E et al. Bladder cancer and occupational exposures. Scand J Work Environ Health 1994;20:322-330.
Hours M, Fevotte J, Dananche B. Lung cancer and occupational risk : results of a case-control study conducted in Lyon (1984-1990).8th International Symposium in Epidemiology in Occupational Health,Paris,10-12 September 1991.
Iwatsubo Y, Pairon JC, Boutin C, Martinet Y, Caillaud D, Bignon J et al. Pleural mesothelioma: dose-response relationship at low level of asbestos exposure in a population-based case-control study. Am J Epid 1998;148:133-142.
Luce D, Gerin M, Leclerc A, Morcet JF, Brugere J, Goldberg M. Sinonasal cancer and occupational exposure to formaldehyde and other substances. Int J Cancer 1993;53:224-231.
Richardson S, Zittoun R, Bastuji-Garin S, Lasserre V, Guihenneuc C, Cadiou M et al. Occupational risk factors for acute leukaemia: a case-control study. Int J Epidemiol 1992;21:1063-1073.
Stengel I, Cénée S, Limasset JC, Protois JC, Marcelli A, Brochard P et al. Organic solvent exposure may increase the risk of glomerular nephropathies with chronic renal failure. Int J Epidemiol 1995;24:427-434.
Stucker I, Cosme J, Laurent P, Cenee S, Beaune P, Bignon J et al. CYP2D6 genotype and lung cancer risk according to histologic type and tobacco exposure. Carcinogenesis 1995;16:2759-2764.
LES INÉGALITÉS RÉGIONALES DE LA PRISE EN CHARGE
DES MALADIES PROFESSIONNELLES :
L'EXEMPLE DU MESOTHELIOME
Stephen Goldberg1, Marcel Goldberg1, Danièle Luce1
1 INSERM Unité 88
Hôpital National de Saint Maurice
14 rue du Val dOsne
94415 Saint Maurice CEDEX
INTRODUCTION
Lamiante est un cancérogène humain avéré, les cancers concernés étant le mésothéliome, notamment de la plèvre, et le cancer du poumon. On admet quau moins 80% de tous les mésothéliomes survenant dans les pays industrialisés sont dus à une exposition professionnelle à lamiante, ainsi quenviron 5 à 10% de tous les cancers du poumon. Le mésothéliome est pratiquement inexistant en labsence dexposition à lamiante, et aucun autre facteur de risque présent dans les pays industrialisés nest établi. En France, lincidence du mésothéliome de la plèvre chez lhomme augmente de 25 % tous les trois ans[1]. La tendance à laugmentation de la mortalité par mésothéliome va se poursuivre pendant au moins deux ou trois décennies, et une étude récente estime à environ 250 000 le nombre décès par mésothéliome parmi les hommes eu Europe de lOuest dici 2030 [2].
Le système français de réparation des maladies dorigine professionnelle repose sur lexistence de " tableaux " fixant des critères de prise en charge au titre des maladies professionnelles selon les pathologies, les conditions dexposition à des facteurs pathogènes et le délai de prise en charge. Bien que récemment assoupli par une procédure de " rattrapage " pour les cas rejetés à lissue de la procédure normale, ce système est régulièrement mis en cause en raison dune sous reconnaissance globale des maladies professionnelles et de disparités, notamment régionales, susceptibles dintroduire une iniquité dans la prise en charge de ces pathologies, comme la souligné un rapport officiel [3].
Cependant, on peut sinterroger pour savoir si ces différences régionales sexpliquent par un dysfonctionnement du système de réparation des maladies professionnelles, ou par une véritable différence de risque selon les régions, lexposition dorigine professionnelle à lamiante étant très liée à la nature des activités industrielles. Plusieurs études ont en effet mis en évidence des niveaux de mortalité par mésothéliome variant considérablement selon les régions dun même pays [1].
Lobjectif de ce travail se situe dans le cadre de lanalyse des différences géographiques en matière de prise en charge des cancers dorigine professionnelle. Le choix du mésothéliome comme modèle sexplique par le caractère pratiquement spécifique de lassociation entre cette tumeur et lexposition professionnelle à lamiante en France métropolitaine. Plus précisément, il sagit de faire la part, dans les différences observées dune région à lautre, de ce qui revient à une différence de risque dans les populations concernées, et ce qui pourrait être expliqué par une éventuelle composante régionale indiquant un dysfonctionnement du système global de prise en charge des maladies professionnelles, cest-à-dire de lensemble des procédures allant depuis le certificat médical établi par le médecin traitant jusquà la prise en compte par la CPAM.
DONNÉES ET MÉTHODES
Létude repose sur le constat que le taux de mortalité par mésothéliome est un bon reflet de lexposition passée à lamiante dans une zone géographique, et que lanalyse de la répartition géographique de la mortalité par mésothéliome est un indicateur fiable du niveau de risque lié à lamiante [1]. Dans ces conditions, la comparaison de deux types de données regroupées par zones géographiques : données de mortalité par mésothéliome dans la population générale et données concernant les mésothéliomes pris en charge comme maladie professionnelle, permet dévaluer dans quelle mesure la prise en charge des mésothéliomes au titre des maladies professionnelles est en relation avec le niveau de risque véritable. Lanalyse a concerné le niveau régional du fait de la non disponibilité actuelle de la totalité des données nécessaires à une analyse au niveau départemental.
Données
Les données actuellement accessibles sont : (i) les données de mortalité par mésothéliome dans la population générale, regroupées par sexe, classe dâge et département, qui ont été réunies pour la période 1986-1993 [4], de même que les données démographiques correspondantes. De fait, ce sont les décès par cancer primitif de la plèvre (code CIM 163) qui sont codés, mais ils correspondent pour lessentiel aux décès par mésothéliome ; (ii) les données concernant le nombre de mésothéliomes pris en charge comme maladies professionnelles par la Sécurité Sociale, établies à partir des statistiques publiées par la Caisse Nationale dAssurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) du régime général pour les années 1984-1995, ainsi que le nombre de salariés dépendant du régime général par année et par CRAM [5] ; ces données ne sont actuellement disponibles que par CRAM, et ne sont pas différenciées par sexe, ni par classe dâge. Le territoire métropolitain (y compris la Corse) est divisé en 16 CRAM.
Analyse
Les données de mortalité par mésothéliome ont été regroupées pour la période 1986-1993 par CRAM. En se rapportant à la population générale de 1990 (année médiane de la période), on a calculé dans le territoire de chaque CRAM, un taux annuel moyen de décès par mésothéliome par million dhabitants, hommes et femmes ensemble, et un taux annuel moyen de mésothéliomes reconnus comme maladie professionnelle par million de salariés.
Afin de quantifier les écarts entre régions, on a également estimé pour chaque CRAM la proportion de mésothéliomes pris en charge comme maladie professionnelle par le rapport du taux de mésothéliomes reconnus au taux de décès, et calculé lécart de chaque région à la moyenne nationale. Le mode de calcul utilisé fait lhypothèse que le nombre de décès par mésothéliome est égal à 80 % du nombre de décès codés CIM 163, et 80 % des mésothéliomes sont dorigine professionnelle ; ces deux pourcentages correspondent à des valeurs admises comme probables pour la France [1]. On a enfin calculé la probabilité quun mésothéliome soit pris en charge comme maladie professionnelle dans une CRAM par rapport à la CRAM présentant le plus fort taux de reconnaissance.
RÉSULTATS
Le Tableau 1 donne pour chaque CRAM et pour la France entière les taux annuel moyens de décès par mésothéliome par million dhabitants pour la période 1986-1993, et les taux annuels moyens de mésothéliome pris en charge comme maladies professionnelles pour les deux sexes confondus dans chaque CRAM pour lensemble de la période dobservation.
Tableau 1 - Taux régionaux annuels moyens de mortalité par mésothéliome et de mésothéliomes pris en charge au titre des maladies professionnelles par million dhabitants ; Quantification des disparités régionales des taux de prise en charge du mésothéliome comme maladie professionnelle par rapport à la moyenne nationale et à la région la plus élevée (période 1986-1993)La moyenne nationale du taux de mortalité par mésothéliome se situe à 14,8 par million dhabitants ; les écarts de mortalité par mésothéliome sont importants, allant denviron 8,8 pour la zone de la CRAM de Toulouse à 21,1 pour celle de Marseille (soit un rapport de 2,4), reflétant de fortes différences régionales de risque. Ces écarts sont encore plus considérables pour les nombres de mésothéliomes pris en charge comme maladies professionnelles par million de salariés, qui varient de 0,7 et 0,9 pour les CRAM de Montpellier et Clermont-Ferrand, à 7,6 et 8,9 pour les CRAM de Rouen et Nantes.
Le pourcentage des mésothéliomes pris en charge comme maladie professionnelle par rapport aux décès par mésothéliome est de 40 % en moyenne, avec de très fortes disparités régionales, la CRAM de Nantes présentant le taux de reconnaissance le plus élevé, et celle de Montpellier le plus basse : la probabilité quun mésothéliome soit pris en charge comme maladie professionnelle y est 11,5 fois plus faible. En dehors de ces cas extrêmes, la plupart des régions ont un comportement voisin, cest-à-dire proche du déficit national.
DISCUSSION
Cette étude a permis de confirmer lexistence dimportantes inégalités régionales en matière de pris en charge du mésothéliome comme maladie professionnelle. Les limites de ce travail sont essentiellement dordre méthodologique ; elles portent également sur linterprétation quon peut faire de ses résultats.
Ainsi, lanalyse présentée sappuie sur les données de mortalité codées comme cancer primitif de la plèvre (CIM 163), alors que cet enregistrement ne reflète quimparfaitement la mortalité par mésothéliome. Cependant, ceci ne représente pas un biais dans notre étude, dans la mesure où les imprécisions qui en résultent ne sont pas dépendantes de la région.
Une autre limite de ce travail tient au fait que les données concernant les mésothéliomes reconnus comme maladie professionnelle ne permettent pas de distinguer les cas masculins et féminins. Il en résulte une certaine imprécision, mais qui est vraisemblablement faible, et qui ne saurait expliquer des variations régionales aussi importantes que celles qui sont observées.
Il faut aussi rappeler que les cas pris en charge comme maladie professionnelle ne concernent que les salariés affiliés au régime général de la Sécurité Sociale. Cette restriction ne peut avoir quune influence très mineure sur cette étude, qui montre des écarts très importants des taux de reconnaissance entre des régions dont la structure démographique professionnelle est très voisine.
Au total, il semble donc que les inégalités régionales importantes observées en termes de prise en charge dun mésothéliome comme maladie professionnelle soient réelles, et correspondent à un dysfonctionnement global du système de réparation des mésothéliomes. Il reste à en comprendre les causes, qui sont à lévidence complexes. Lignorance de lorigine professionnelle potentielle de ces cancers parmi les médecins traitants et les patients constitue à lévidence un obstacle important à la prise en charge comme maladie professionnelle. On a aussi évoqué le caractère trop rigide de lévaluation des critères de prise en charge des maladies professionnelles et la possibilité dune différence dappréciation selon les CPAM. On ne dispose cependant, à notre connaissance, daucune étude permettant de comparer des régions entre elles de ce point de vue
CONCLUSIONS
Le système français de prise en charge des maladies professionnelles fait lobjet de vives controverses, notamment en raison du nombre souvent jugé trop faible de cas indemnisés par rapport à la réalité. Ainsi, les taux cumulés pour la période 1984-1993 par million dhabitants de maladies professionnelles provoquées par lamiante reconnues sont respectivement de 7.6, 28.1 et 39.1 en France, Belgique et Allemagne pour le mésothéliome [6], alors que les taux français de mortalité par cancer de la plèvre sont du même ordre de grandeur [1].
Les résultats présentés justifieraient sans doute la réalisation détudes destinées à comprendre les causes des différences observées, qui permettraient de donner les moyens daméliorer la prise en charge des maladies professionnelles, ce qui correspond aux souhaits exprimés par lensemble des partenaires sociaux. Lexemple des CRAM de Nantes et de Rouen, qui prennent en charge un pourcentage élevé de mésothéliomes au titre des maladies professionnelles, montre que des progrès sont certainement possibles.
Une amélioration du système statistique de la CNAMTS serait particulièrement souhaitable. Alors que les dépenses de la branche " Accidents du travail - Maladies professionnelles " de la CNAMTS se sont élevées à plus de 43 milliards de francs en 1996 [3], les statistiques actuellement publiées ne permettent pas, en effet, aux partenaires sociaux et à ladministration dévaluer facilement la pertinence du système de réparation mis en place.
Correspondance :
Marcel Goldberg
INSERM Unité 88
Hôpital National de Saint Maurice
14 rue du Val dOsne
94415 Saint Maurice CEDEXTel : 01 45 18 38 59
Fax : 01 45 18 38 89
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