L'EVOLUTION DE  L’EXPOSITION PROFESSIONNELLE A L’AMIANTE CHEZ LES HOMMES EN FRANCE

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BULLETIN EPIDEMIOLOGIQUE HEBDOMADAIRE

N° 45– 9 novembre 1999

L'EVOLUTION DE  L’EXPOSITION PROFESSIONNELLE A L’AMIANTE CHEZ LES HOMMES EN FRANCE

Stephen GOLDBERG, Alireza BANAEI, Marcel GOLDBERG

INSERM Unité 88
Hôpital National de Saint-Maurice
14, rue du Val d’Osne
94415 Saint-Maurice Cedex, France

INTRODUCTION - OBJECTIFS

L’amiante est un cancérogène humain avéré, les cancers concernés étant au premier chef le mésothéliome, notamment de la plèvre, et le cancer du poumon [1]. Hormis les cancers, diverses pathologies respiratoires non tumorales (asbestose, plaques pleurales) sont également occasionnées par l’amiante[2].

Les expositions d’origine professionnelle sont actuellement responsables de l’immense majorité des cancers induits par l’amiante dans les pays industrialisés. On admet qu’au moins 80% de tous les mésothéliomes survenant dans les pays industrialisés sont dus à une exposition professionnelle à l’amiante, ainsi qu’environ 5 à 10% de tous les cancers du poumon [2].

Le développement massif de l’usage de l’amiante dans les pays industrialisés s’est accompagné d’une augmentation importante et régulière de l’incidence des mésothéliomes à partir des années 50 dans tous les pays industrialisés. Bien que de nombreux pays aient pris des mesures pour réduire la fréquence et les niveaux d’exposition à l’amiante, la tendance à l’augmentation de la mortalité par mésothéliome va se poursuivre pendant au moins deux ou trois décennies, en raison du temps de latence de 30 à 40 ans [3].

Il est donc important de connaître la distribution des expositions professionnelles à l’amiante dans la population d’un pays, et son évolution durant les dernières décennies. En effet, elles peuvent permettre d’établir des prévisions réalistes de l’évolution de l’incidence des cancers provoqués, faciliter la mise en place et l’évaluation des programmes de surveillance des risques liés à l’amiante. Cependant, très peu de données concernant la distribution des expositions à l’amiante parmi la population d’un pays ont été publiées.

L’objectif de ce travail est de décrire pour la population masculine française l’évolution de la prévalence et du niveau de l’exposition professionnelle à l’amiante depuis le début du siècle.

POPULATION ET MÉTHODES

L’échantillon

Un échantillon a été constitué à partir de onze études cas-témoins en population comportant une histoire professionnelle complète (références en annexe). La période du recueil des données concerne essentiellement la deuxième partie des années 80 et la première partie des années 90. Les sujets proviennent de pratiquement toutes les régions de France. L’âge moyen des sujets au moment du recueil des données était de 59,2 ans. Les sujets inclus dans l’échantillon étaient les témoins de toutes les études, et les cas lorsqu’il s’agissait d’une pathologie pour laquelle aucune association avec l’amiante n’est connue. Les données réunies étaient pour chaque sujet les historiques professionnels. Chaque épisode professionnel comporte la date de début et de fin ; le métier est codé selon la Classification Internationale des Professions (ISCO), et le secteur d’activité selon la Classification Internationale des Industries (Isic). L’étude a été restreinte aux hommes, car très peu de données avec un historique de carrière sont disponibles pour des femmes. L’échantillon analysé est composé de 4 287 sujets, totalisant 12 953 épisodes professionnels différents

Évaluation de l’exposition a l’amiante

Elle a été réalisée par l’intermédiaire d’une " matrice emplois-expositions " (MEE), c’est-à-dire une base de données qui associe à des métiers pour différentes périodes des valeurs moyennes d’exposition à des nuisances professionnelles. Une MEE spécifique de l’amiante applicable à la population française a été développée par Orlowski et al. [4] ; les métiers sont des combinaisons de codes ISCO ET ISIC, et pour chaque combinaison ISCO/ISIC, on trouve trois indices : probabilité, fréquence, et intensité, le niveau d’exposition calculé étant le produit de ces trois indices. Les histoires professionnelles des sujets ont été croisés avec la MEE afin d’évaluer leurs expositions.

Validation de l’échantillon

On a comparé les distributions des professions dans l’échantillon et dans la population masculine française grâce aux cinq recensements réalisés de 1954 à 1982.

Analyse statistique

Les principales variables d’exposition analysées sont la proportion d’hommes exposés et un indice composite d’exposition dans la population : produit de la moyenne de l’intensité d’exposition, de la proportion d’exposés et de la durée d’exposition. Dans les données présentées, on s’est limité à l’exposition entre les âges de 20 et 59 ans (excepté pour les indices cumulés pour lesquels l’exposition depuis le premier emploi a été prise en compte), car l’âge d’entrée dans la vie professionnelle et l’âge de la retraite ont beaucoup évolué au cours du siècle, rendant difficiles les comparaisons pour les âges extrêmes. L’estimation des paramètres de la distribution a été faite par génération et par classe d’âge de 10 ans, ce qui permet d’étudier l’effet période. L’échantillon initial a été rééchantilloné 200 fois en utilisant la méthode du bootstrap [5].

RÉSULTATS

L’étude de la représentativité de l’échantillon a montré que l’échantillon est composé de façon proche de la population générale masculine française pour ce qui concerne la distribution des professions susceptibles d’entraîner une exposition professionnelle à l’amiante pendant la période couverte par cette étude.

La proportion d’hommes exposés à l’amiante dans chaque génération par classe d’âge de 10 ans est présentée dans le Tableau 1. La classe la plus exposée est celle des 20-29 ans, et la période où la proportion de la population masculine exposée est la plus élevée, dépassant 15%, est celle des années 1960-1970, qui correspond à la fois à une période d’expansion de l’économie française et de l’utilisation de l’amiante. Le Tableau 1 présente également la proportion cumulative d’exposés jusqu’à différents âges : la génération née entre 1930 et 1939 a été dans l’ensemble la plus exposée, et la proportion d’hommes exposés au moins une fois dans leur vie professionnelle est de 24,5 % dans cette génération. Ce sont les générations qui ont commencé leur vie professionnelle autour de 1950 qui présentent la proportion cumulative d’exposés jusqu’à l’âge de 40 ans la plus élevée.

Tableau 1 - Proportion d'hommes exposés professionnellement à l'amiante
par génération en France par décennie et cumulée

Le Tableau 2 présente les valeurs de l’indice d’exposition I par génération et par classe d’âge, et les valeurs cumulées de cet indice par génération jusqu’à certains âges. A nouveau on constate que la période autour des années 1960-1970 a été celle de l’exposition à l’amiante globalement la plus forte avec un maximum pour la génération 1940-49 à l’âge de 20-29 ans ; pour faciliter la lecture des résultats, on a fixé à la valeur I=1 ce maximum décennal, les variations de l’indice I étant exprimées de façon relative par rapport à cette valeur. Quand on considère l’indice d’exposition cumulé jusqu’à l’âge de 60 ans, on observe que c’est la génération 1920-29 qui a été le plus exposé : I = 2.,2 ; seules les générations d’hommes nés après 1950 bénéficient d’une réduction importante de leur exposition à l’amiante. Ce sont donc les hommes âgés de 45 ans ou plus aujourd’hui qui ont été le plus massivement exposés en France.

Tableau 2 - Indice d'exposition professionnelle à l'amiante chez les hommes
en France par génération, par décennie et cumulée

DISCUSSION-CONCLUSION

Ce travail a permis de reconstituer l’exposition professionnelle à l’amiante chez les hommes et son évolution en France depuis le début du siècle. Il apporte des informations sur les principaux paramètres caractérisant l’exposition dans la population qui sont associés au risque de cancer : fréquence, durée et niveau. Différents problèmes concernant la validité des estimations présentées dans ce travail doivent cependant être discutés.

Malgré la taille importante de l’échantillon, qui a montré une bonne représentativité, le nombre de sujets représentant les générations les plus anciennes et les plus récentes est faible, ce qui diminue la précision des estimations ; l’utilisation de la méthode du bootstrap a permis de minimiser ce problème, et les intervalles de confiance des paramètres estimés (non montrés ici) sont assez étroits, montrant que les estimations obtenues sont relativement précises.

Les paramètres d’évaluation de l’exposition à l’amiante estimés proviennent d’une MEE, qui est un outil imparfait, susceptible de fournir des évaluations d’exposition imprécises et qui génère des erreurs de classement. Cependant la MEE utilisée a fait l’objet d’une évaluation de ses "performances épidémiologiques ", c’est-à-dire de son aptitude à fournir des résultats épidémiologiques déjà connus, qui a montré une bonne validité globale. Il n’existe donc vraisemblablement pas de distorsion majeure de l’estimation de l’exposition à l’amiante dans la population.

On dispose de très peu de données concernant la distribution des expositions à l’amiante parmi la population d’un pays. Dans les pays scandinaves, on estime que la proportion des hommes ayant été exposés professionnellement à l’amiante varie entre 10 et 36%, en Suède et en Norvège, et que 18% des hommes âgés de 35 ans et plus ont une exposition significative en Finlande [6]. Ces données sont cohérentes avec qui sont présentées ici. On peut donc considérer que malgré les imprécisions inhérentes aux limites des données disponibles et des outils utilisés, notre étude apporte des informations ayant une validité raisonnable concernant l’exposition professionnelle à l’amiante et son évolution dans la population française. Elles mettent en évidence le nombre extraordinairement élevé d’hommes ayant été exposés à l’amiante durant leur carrière professionnelle. Les secteurs exposés à l’amiante sont nombreux, et ils sont loin de correspondre aux industries traditionnelles de l’extraction et de la transformation de l’amiante. Ainsi, 45 % des métiers du bâtiment et travaux publics sont exposés à l’amiante ; au sein du secteur de la production industrielle, où plus de 40 % des emplois sont exposés à l’amiante, la métallurgie et le secteur des machines et engins sont particulièrement concernés.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient S. Benhamou, J. Clavel, S. Cordier, M. Hours, Y. Iwatsubo, S. Richardson, B. Stengel, and I. Stucker, qui ont fournis les données des études cas-témoins, ainsi qui E. Orlowski qui a autorisé l’utilisation de la matrice emplois-expositions qu’elle a développé. Ce travail a bénéficié de subventions du Ministère du Travail et de la Ligue Nationale contre le Cancer.

RÉFÉRENCES

  1. IARC. Monographs on the evaluation of carcinogenic risks to humans. Overall evaluation of carcinogenicity: an updating of IARC Monographs Vol 1 to 42. IARC, Lyon, 1987,Suppl.7.
  2. INSERM. Effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante. Éditions INSERM, Expertises Collectives, Paris, 1997.
  3. Peto J, Decarli A, La Vecchia C et al. The European mesothelioma epidemic. Br J Cancer,1999,79(3/4):666-672
  4. Orlowski, E., Pohlabeln, H., Berrino, F. et al. Retrospective assessment of asbestos exposure at the job level: complementarity of job-specific questionnaires and job-exposure matrices. Int J Epidemiol 1993;22:S96-S105.
  5. Effron B. Better bootstrap confidence intervals. Journal of the American Statistical Association 1987;82:171-200.
  6. Albin M, Shefer I, Magnani C, Krstev S. Asbestos and cancer. Med Lav 1994;86(Suppl.):259-262

ANNEXE 

Référence des études cas-témoins à partir desquelles l’échantillon a été constitué.

Boffetta P, Agudo A, Ahrens W, Benhamou E, Benhamou S, Darby S et al. Multicenter case-control study of exposure to environmental tobacco smoke and lung cancer in Europe. J Natl Cancer Inst 1998;90:1440-1450.

Clavel J, Mandereau L, Cordier S, Le Goaster C, Hemon D, Conso F et al. Hairy cell leukaemia, occupation and smoking. Br J Haematology 1995;91:154-161.

Cordier S, Clavel J, Limasset JC, Boccon-Gibod L, Le Moual N, Mandereau L et al. Occupational risks of bladder cancer in France: a multicentre case-control study. Int J Epidemiol 1993;22:403-411.

Hours M, Dananche B, Caillat-Vallet E, Fevotte J, Philippe J, Boiron O et al. Glycol ethers and myeloid acute leukaemia: a multicenter case-control study. Occup Hygiene 1996;2:405-410.

Hours M, Dananche B, Fevotte J, Bergeret A, Ayzac L, Cardis E et al. Bladder cancer and occupational exposures. Scand J Work Environ Health 1994;20:322-330.

Hours M, Fevotte J, Dananche B. Lung cancer and occupational risk : results of a case-control study conducted in Lyon (1984-1990).8th International Symposium in Epidemiology in Occupational Health,Paris,10-12 September 1991.

Iwatsubo Y, Pairon JC, Boutin C, Martinet Y, Caillaud D, Bignon J et al. Pleural mesothelioma: dose-response relationship at low level of asbestos exposure in a population-based case-control study. Am J Epid 1998;148:133-142.

Luce D, Gerin M, Leclerc A, Morcet JF, Brugere J, Goldberg M. Sinonasal cancer and occupational exposure to formaldehyde and other substances. Int J Cancer 1993;53:224-231.

Richardson S, Zittoun R, Bastuji-Garin S, Lasserre V, Guihenneuc C, Cadiou M et al. Occupational risk factors for acute leukaemia: a case-control study. Int J Epidemiol 1992;21:1063-1073.

Stengel I, Cénée S, Limasset JC, Protois JC, Marcelli A, Brochard P et al. Organic solvent exposure may increase the risk of glomerular nephropathies with chronic renal failure. Int J Epidemiol 1995;24:427-434.

Stucker I, Cosme J, Laurent P, Cenee S, Beaune P, Bignon J et al. CYP2D6 genotype and lung cancer risk according to histologic type and tobacco exposure. Carcinogenesis 1995;16:2759-2764.


LES INÉGALITÉS RÉGIONALES DE LA PRISE EN CHARGE
DES MALADIES PROFESSIONNELLES :
L'EXEMPLE DU MESOTHELIOME

Stephen Goldberg1, Marcel Goldberg1, Danièle Luce1

1 INSERM Unité 88
  Hôpital National de Saint Maurice
  14 rue du Val d’Osne
  94415 Saint Maurice CEDEX

INTRODUCTION

L’amiante est un cancérogène humain avéré, les cancers concernés étant le mésothéliome, notamment de la plèvre, et le cancer du poumon. On admet qu’au moins 80% de tous les mésothéliomes survenant dans les pays industrialisés sont dus à une exposition professionnelle à l’amiante, ainsi qu’environ 5 à 10% de tous les cancers du poumon. Le mésothéliome est pratiquement inexistant en l’absence d’exposition à l’amiante, et aucun autre facteur de risque présent dans les pays industrialisés n’est établi. En France, l’incidence du mésothéliome de la plèvre chez l’homme augmente de 25 % tous les trois ans[1]. La tendance à l’augmentation de la mortalité par mésothéliome va se poursuivre pendant au moins deux ou trois décennies, et une étude récente estime à environ 250 000 le nombre décès par mésothéliome parmi les hommes eu Europe de l’Ouest d’ici 2030 [2].

Le système français de réparation des maladies d’origine professionnelle repose sur l’existence de " tableaux " fixant des critères de prise en charge au titre des maladies professionnelles selon les pathologies, les conditions d’exposition à des facteurs pathogènes et le délai de prise en charge. Bien que récemment assoupli par une procédure de " rattrapage " pour les cas rejetés à l’issue de la procédure normale, ce système est régulièrement mis en cause en raison d’une sous reconnaissance globale des maladies professionnelles et de disparités, notamment régionales, susceptibles d’introduire une iniquité dans la prise en charge de ces pathologies, comme l’a souligné un rapport officiel [3].

Cependant, on peut s’interroger pour savoir si ces différences régionales s’expliquent par un dysfonctionnement du système de réparation des maladies professionnelles, ou par une véritable différence de risque selon les régions, l’exposition d’origine professionnelle à l’amiante étant très liée à la nature des activités industrielles. Plusieurs études ont en effet mis en évidence des niveaux de mortalité par mésothéliome variant considérablement selon les régions d’un même pays [1].

L’objectif de ce travail se situe dans le cadre de l’analyse des différences géographiques en matière de prise en charge des cancers d’origine professionnelle. Le choix du mésothéliome comme modèle s’explique par le caractère pratiquement spécifique de l’association entre cette tumeur et l’exposition professionnelle à l’amiante en France métropolitaine. Plus précisément, il s’agit de faire la part, dans les différences observées d’une région à l’autre, de ce qui revient à une différence de risque dans les populations concernées, et ce qui pourrait être expliqué par une éventuelle composante régionale indiquant un dysfonctionnement du système global de prise en charge des maladies professionnelles, c’est-à-dire de l’ensemble des procédures allant depuis le certificat médical établi par le médecin traitant jusqu’à la prise en compte par la CPAM.

DONNÉES ET MÉTHODES

L’étude repose sur le constat que le taux de mortalité par mésothéliome est un bon reflet de l’exposition passée à l’amiante dans une zone géographique, et que l’analyse de la répartition géographique de la mortalité par mésothéliome est un indicateur fiable du niveau de risque lié à l’amiante [1]. Dans ces conditions, la comparaison de deux types de données regroupées par zones géographiques : données de mortalité par mésothéliome dans la population générale et données concernant les mésothéliomes pris en charge comme maladie professionnelle, permet d’évaluer dans quelle mesure la prise en charge des mésothéliomes au titre des maladies professionnelles est en relation avec le niveau de risque véritable. L’analyse a concerné le niveau régional du fait de la non disponibilité actuelle de la totalité des données nécessaires à une analyse au niveau départemental.

Données

Les données actuellement accessibles sont : (i) les données de mortalité par mésothéliome dans la population générale, regroupées par sexe, classe d’âge et département, qui ont été réunies pour la période 1986-1993 [4], de même que les données démographiques correspondantes. De fait, ce sont les décès par cancer primitif de la plèvre (code CIM 163) qui sont codés, mais ils correspondent pour l’essentiel aux décès par mésothéliome ; (ii) les données concernant le nombre de mésothéliomes pris en charge comme maladies professionnelles par la Sécurité Sociale, établies à partir des statistiques publiées par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (CNAMTS) du régime général pour les années 1984-1995, ainsi que le nombre de salariés dépendant du régime général par année et par CRAM [5] ; ces données ne sont actuellement disponibles que par CRAM, et ne sont pas différenciées par sexe, ni par classe d’âge. Le territoire métropolitain (y compris la Corse) est divisé en 16 CRAM.

Analyse

Les données de mortalité par mésothéliome ont été regroupées pour la période 1986-1993 par CRAM. En se rapportant à la population générale de 1990 (année médiane de la période), on a calculé dans le territoire de chaque CRAM, un taux annuel moyen de décès par mésothéliome par million d’habitants, hommes et femmes ensemble, et un taux annuel moyen de mésothéliomes reconnus comme maladie professionnelle par million de salariés.

Afin de quantifier les écarts entre régions, on a également estimé pour chaque CRAM la proportion de mésothéliomes pris en charge comme maladie professionnelle par le rapport du taux de mésothéliomes reconnus au taux de décès, et calculé l’écart de chaque région à la moyenne nationale. Le mode de calcul utilisé fait l’hypothèse que le nombre de décès par mésothéliome est égal à 80 % du nombre de décès codés CIM 163, et 80 % des mésothéliomes sont d’origine professionnelle ; ces deux pourcentages correspondent à des valeurs admises comme probables pour la France [1]. On a enfin calculé la probabilité qu’un mésothéliome soit pris en charge comme maladie professionnelle dans une CRAM par rapport à la CRAM présentant le plus fort taux de reconnaissance.

RÉSULTATS

Le Tableau 1 donne pour chaque CRAM et pour la France entière les taux annuel moyens de décès par mésothéliome par million d’habitants pour la période 1986-1993, et les taux annuels moyens de mésothéliome pris en charge comme maladies professionnelles pour les deux sexes confondus dans chaque CRAM pour l’ensemble de la période d’observation.

Tableau 1 - Taux régionaux annuels moyens de mortalité par mésothéliome et de mésothéliomes pris en charge au titre des maladies professionnelles par million d’habitants ; Quantification des disparités régionales des taux de prise en charge du mésothéliome comme maladie professionnelle par rapport à la moyenne nationale et à la région la plus élevée (période 1986-1993)

La moyenne nationale du taux de mortalité par mésothéliome se situe à 14,8 par million d’habitants ; les écarts de mortalité par mésothéliome sont importants, allant d’environ 8,8 pour la zone de la CRAM de Toulouse à 21,1 pour celle de Marseille (soit un rapport de 2,4), reflétant de fortes différences régionales de risque. Ces écarts sont encore plus considérables pour les nombres de mésothéliomes pris en charge comme maladies professionnelles par million de salariés, qui varient de 0,7 et 0,9 pour les CRAM de Montpellier et Clermont-Ferrand, à 7,6 et 8,9 pour les CRAM de Rouen et Nantes.

Le pourcentage des mésothéliomes pris en charge comme maladie professionnelle par rapport aux décès par mésothéliome est de 40 % en moyenne, avec de très fortes disparités régionales, la CRAM de Nantes présentant le taux de reconnaissance le plus élevé, et celle de Montpellier le plus basse : la probabilité qu’un mésothéliome soit pris en charge comme maladie professionnelle y est 11,5 fois plus faible. En dehors de ces cas extrêmes, la plupart des régions ont un comportement voisin, c’est-à-dire proche du déficit national.

DISCUSSION

Cette étude a permis de confirmer l’existence d’importantes inégalités régionales en matière de pris en charge du mésothéliome comme maladie professionnelle. Les limites de ce travail sont essentiellement d’ordre méthodologique ; elles portent également sur l’interprétation qu’on peut faire de ses résultats.

Ainsi, l’analyse présentée s’appuie sur les données de mortalité codées comme cancer primitif de la plèvre (CIM 163), alors que cet enregistrement ne reflète qu’imparfaitement la mortalité par mésothéliome. Cependant, ceci ne représente pas un biais dans notre étude, dans la mesure où les imprécisions qui en résultent ne sont pas dépendantes de la région.

Une autre limite de ce travail tient au fait que les données concernant les mésothéliomes reconnus comme maladie professionnelle ne permettent pas de distinguer les cas masculins et féminins. Il en résulte une certaine imprécision, mais qui est vraisemblablement faible, et qui ne saurait expliquer des variations régionales aussi importantes que celles qui sont observées.

Il faut aussi rappeler que les cas pris en charge comme maladie professionnelle ne concernent que les salariés affiliés au régime général de la Sécurité Sociale. Cette restriction ne peut avoir qu’une influence très mineure sur cette étude, qui montre des écarts très importants des taux de reconnaissance entre des régions dont la structure démographique professionnelle est très voisine.

Au total, il semble donc que les inégalités régionales importantes observées en termes de prise en charge d’un mésothéliome comme maladie professionnelle soient réelles, et correspondent à un dysfonctionnement global du système de réparation des mésothéliomes. Il reste à en comprendre les causes, qui sont à l’évidence complexes. L’ignorance de l’origine professionnelle potentielle de ces cancers parmi les médecins traitants et les patients constitue à l’évidence un obstacle important à la prise en charge comme maladie professionnelle. On a aussi évoqué le caractère trop rigide de l’évaluation des critères de prise en charge des maladies professionnelles et la possibilité d’une différence d’appréciation selon les CPAM. On ne dispose cependant, à notre connaissance, d’aucune étude permettant de comparer des régions entre elles de ce point de vue

CONCLUSIONS

Le système français de prise en charge des maladies professionnelles fait l’objet de vives controverses, notamment en raison du nombre souvent jugé trop faible de cas indemnisés par rapport à la réalité. Ainsi, les taux cumulés pour la période 1984-1993 par million d’habitants de maladies professionnelles provoquées par l’amiante reconnues sont respectivement de 7.6, 28.1 et 39.1 en France, Belgique et Allemagne pour le mésothéliome [6], alors que les taux français de mortalité par cancer de la plèvre sont du même ordre de grandeur [1].

Les résultats présentés justifieraient sans doute la réalisation d’études destinées à comprendre les causes des différences observées, qui permettraient de donner les moyens d’améliorer la prise en charge des maladies professionnelles, ce qui correspond aux souhaits exprimés par l’ensemble des partenaires sociaux. L’exemple des CRAM de Nantes et de Rouen, qui prennent en charge un pourcentage élevé de mésothéliomes au titre des maladies professionnelles, montre que des progrès sont certainement possibles.

Une amélioration du système statistique de la CNAMTS serait particulièrement souhaitable. Alors que les dépenses de la branche " Accidents du travail - Maladies professionnelles " de la CNAMTS se sont élevées à plus de 43 milliards de francs en 1996 [3], les statistiques actuellement publiées ne permettent pas, en effet, aux partenaires sociaux et à l’administration d’évaluer facilement la pertinence du système de réparation mis en place.

REFERENCES

  1. Goldberg M, Hémon D (rapporteurs). Effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante. Éditions INSERM, Expertises Collectives, Paris, 1997.
  2. Peto J, Decarli A, La Vecchia C, Levi F, Negri E. The European mesothelioma epidemic. Br J Cancer 1999;79(3/4):666-672.
  3. Déniel, A. Institution et modalité de calcul d'un versement annuel de la branche Maladies Professionnelles - Accidents du travail à la branche Maladie du Régime Général de Sécurité Sociale. Rapport au Ministère de l’Emploi et de la Solidarité,1997.
  4. Rezvani A, Mollié A, Doyon F, Sancho-Garnier H. Atlas de la mortalité par cancer en France. Période 1986-1993. Éditions INSERM, Statistiques de santé, Paris, 1998.
  5. CNAMTS. Statistiques nationales de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (publication annuelle).
  6. Haut Comité de la Santé Publique. La santé en France, 1994-1998. Paris, La Documentation Française, 1998.

Correspondance :

Marcel Goldberg
INSERM Unité 88
Hôpital National de Saint Maurice
14 rue du Val d’Osne
94415 Saint Maurice CEDEX

Tel : 01 45 18 38 59
Fax : 01 45 18 38 89
e-mail : m.goldberg@st-maurice.inserm.fr