amiante (retour à la page d'accueil de la partie amiante du site)
Cette synthèse a pour objectif de mettre à la disposition de celui qui découvre le problème un document actualisé résumant les faits dominants de ce dossier.
Au cours des dernières années du 19ème siècle, l'industrie commence à exploiter les propriétés exceptionnelles d'un produit naturel présent en grandes quantités dans de nombreux pays. Il suffit de concasser une roche et de la tamiser pour obtenir des fibres douces comme du coton. L'amiante est un minéral résistant au feu, à l'abrasion et à la rupture. Il permet de produire des isolants et des tissus ininflammables, des plaquettes de frein et surtout du fibro-ciment qui est un véritable ciment armé réduisant le poids des conduites en ciment (égouts) et des couvertures de grandes surfaces (bâtiments industriels, hangars agricoles).
La première alerte sanitaire suit de près le début de l'usage industriel. Dès 1898 les premières atteintes pulmonaires sont décrites et en 1906, en France, un inspecteur du travail, M.Auribault décrit la surmortalité des travailleurs de l'amiante dans la région de Caen (Bulletin de l’inspection du travail, 1906, p.120-132). Le mécanisme de la maladie n'est pas le cancer mais le développement d'une sclérose du tissu des poumons produit par l'inhalation de poussières (pneumoconiose), comparable à ce que la silice produit chez les mineurs (silicose). Le terme actuel pour désigner cette maladie est celui d'asbestose.
La période allant du début du 20ème siècle à 1935 est marquée par la seule préoccupation de la prévention de l'asbestose, donc par la réduction de l'inhalation de poussières d'amiante par les travailleurs employés dans les usines utilisant l'amiante comme matière première. Cette préoccupation existera jusqu'à la fin de l'usage industriel de l'amiante, l'objectif étant de poursuivre, décennie après décennie l'abaissement des seuils d'empoussièrement, les études épidémiologiques prouvant que des faibles concentrations respirées pendant des décennies étaient capables de provoquer des atteintes de la fonction respiratoire. Le parallélisme avec la prévention de la silicose est manifeste, la protection a des principes simples, moins on respire de poussières d'amiante et plus courte est la durée d'exposition, plus faible est la probabilité de développer des lésions. Les retards concernent la lenteur de l'abaissement des seuils d'exposition alors qu'il était techniquement possible de mieux protéger les travailleurs au contact de l'amiante.
Parallèlement à la connaissance du risque de fibrose pulmonaire va se développer progressivement une connaissance des risques de cancers. Le passage de la connaissance qualitative (l'amiante produit des cancers) à la connaissance quantitative (facteur de multiplication du risque par rapport à la personne non exposée en fonction de la durée d'exposition et de l'intensité de l'exposition aux fibres) a été progressive, cependant il ne faut pas sous estimer la qualité des connaissances acquises avant la seconde guerre mondiale, notamment en Grande Bretagne. Dans un premier temps le cancer identifié comme pouvant être provoqué par l'amiante a été le cancer du poumon, puis, au cours des années cinquante le cancer de l'enveloppe des poumons (plèvre). Un revêtement de cellules jointives d'origine conjonctive étant qualifié de mésothélium par les histologistes, ce cancer a été dénommé mésothéliome.
Le problème de santé publique posé par l'amiante a été longtemps considéré comme d'importance secondaire dans notre pays. La maladie était cependant connue et bien décrite dans des revues médicales de grande diffusion ou dans des revues spécialisées dans les maladies pulmonaires ou la santé au travail. Une mise au point sur cette nouvelle « pneumoconiose », terme désignant les fibroses pulmonaires produites par l’inhalation de particules de corps étrangers, a été publiée dans la Revue « la Presse Médicale » sous le titre « La pneumoconiose des travailleurs de l’amiante » (19 décembre 1931). La même année, une description détaillée de la maladie, suivie d’une bibliographie très complète a été publiée dans la revue « La médecine du travail » sous le titre « Amiante et asbestose pulmonaire » par V. Dhers. Ce document résume parfaitement les données reconnues à l’époque, il précise en particulier l’évolutivité de la maladie après la cessation de l’exposition
Le passage du domaine médical au domaine public se situe à la fin des années soixante dix et il se situe à deux niveaux.
La présentation dans les médias des conclusions d'une réunion organisée à Lyon par le Centre International de Recherches sur le Cancer qui s'est tenue à Lyon du 13 au 17 décembre 1976. Les documents fondateurs du conflit entre les chercheurs et la chambre syndicale de l'industrie de l'amiante sont :
- la lettre de Jean Bignon au Premier ministre Raymond Barre
- un document de la chambre syndicale de l'industrie de l'amiante
L'émergence du problème spécifique posé par les bâtiments universitaires de Jussieu. Des universitaires et des syndicalistes vont travailler ensemble, mettre en évidence la mauvaise gestion du risque amiante à Jussieu et publier au éditions Maspero le livre "danger ! amiante" 1977 du collectif intersyndical sécurité des universités-jussieu CFDT CGT FEN. Il s'agit d'une présentation de grande qualité des problèmes graves posés par l'usage et la présence d'amiante, non seulement à Jussieu, mais également dans les industries du fibro-ciment, des matériaux de friction et les tissus résistants à la chaleur.
Trois extraits de ce livre sont accessibles sur ce site :
- introduction
- jussieu pages 141 à 160
- jussieu pages 161 à 186
Une protection quantitative vis-à-vis du risque amiante existe dans la réglementation en France depuis le décret du 17 août 1977. Ce dernier indique dans son article 2 que : La concentration moyenne en fibres d'amiante de l'atmosphère inhalée par un salarié pendant sa journée de travail ne doit pas dépasser deux fibres par centimètre cube, seules étant considérées les fibres de plus de cinq microns de longueur, de trois microns au plus de largeur et dont le rapport longueur / largeur excède trois.
Ce texte se révélera insuffisant pour deux raisons.
- les niveaux tolérés sont relativement élevés, les vérifications ne sont pas faites dans des conditions satisfaisantes aux heures et aux jours où les concentrations sont maximales, et la notion de concentration moyenne n'est pas satisfaisante. Il aurait fallu définir d'emblée des seuils à ne jamais dépasser. Pour l'ouvrier d'une usine de fibro-ciment qui ouvrait d'un coup de couteau un sac d'amiante et le déversait dans une trémie, le pic d'empoussièrement pouvait passer par une valeur maxmale puis se réduire brutalement. La quantité de fibres inhalées dépendait étroitement de ce pic.
- au moment de la parution de ce premier texte réglementaire, les connaissances scientifiques disponibles permettaient d'affirmer que les seuils retenus pouvaient réduire dans des proportions importantes les fibroses pulmonaires (asbestoses) mais n'assuraient pas la prévention des cancers.
La période suivante est caractérisée par une tentative de co-gestion du risque amiante réunissant des représentants de l'industrie, des ministères concernés, des scientifiques, l'INRS, des syndicalistes au sein d'une structure dénommée "Comité permanent amiante". Nous connaissons assez bien les circonstances de sa création, les échanges de lettres et comptes rendus ont été conservés, et lors de ma mission sur l’amiante de 1998, j’ai pu les faire scanner et les placer sur le site internet du ministère de la santé. Ils sont accessibles également sur ce site (comité permanent amiante). Une société de services (communications économiques et sociales - CES) dirigée par Marcel Valtat et qui recevait des financements de l’industrie de l’amiante a organisé une journée d’études qui s’est tenue le 9 novembre 1982. L’objectif était de faire le point sur la situation en France après le symposium sur l’amiante qui s’était tenu à Montréal. Le groupe qui a organisé cette journée réunissait des représentants de l’industrie de l’amiante et des ministères concernés, des chercheurs et des syndicalistes.
Par sa composition, associant les industriels de l’amiante aux autres partenaires concernés, ce comité ne pouvait être qu’un outil de « cogestion » de la poursuite de l’usage de l’amiante et non l’outil dont le ministère de la santé avait besoin pour disposer d’une information indépendante. Confronté au problème du contrôle d’un risque majeur, l’Etat n’a pas été capable de se doter des moyens dont il avait besoin, notamment pour analyser l’évolution des produits de remplacement et programmer l’arrêt de tout usage de l’amiante. Le CPA n’avait pas de spécialistes de la substitution, et les cogestionnaires du risque amiante n’ont jamais pu chercher au sein de cet organisme, avec des spécialistes indépendants et compétents, les réponses à la seule véritable question : quand pourrons-nous nous séparer de ce minéral dangereux dans chaque branche où il est utilisée ? Au début des années 80 la réponse était simple : dès maintenant pour pratiquement tous les usages.
La gestion de fait par le CPA d’un risque sanitaire majeur est une illustration de la délégation d’une responsabilité de l’Etat à un organisme qui n’a pas de légitimité pour assurer cette mission. Affirmer qu’une structure « informelle » n’a par définition aucune responsabilité et qu’elle ne fait qu’instruire les décisions possibles est un abus de langage, car la faiblesse des moyens propres des ministères, et spécifiquement du ministère de la santé, ne permet pas d’avoir une vision critique des recommandations faites par une telle structure. Elle semble lui apporter toutes les garanties, du fait de la participation de spécialistes reconnus, alors qu’elle est capable de fonctionner pendant plusieurs années, sans poser les questions les plus pertinentes. Le Comité permanent amiante a cessé de se réunir à partir de septembre 1995.
La fin de la décennie quatre-vingt-dix marque la fin de l'industrie de l'amiante dans les pays européens. Deux textes importants publiés en 1996 vont déterminer cette évolution décisive. Le rapport de l'OMS et en France l'expertise collective des risques pour la santé lié à l'amiante réalisée par l'INSERM. Cette dernière provoque la décision d'interrompre l'usage de l'amiante à partir de janvier 1997.
Malgré cette longue période d'analyse et de réduction du risque produit par l'amiante, nous n'avons toujours pas réussi à identifier la totalité des structures qui contiennent de l'amiante.