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ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'article premier réécrit l'article 121-3 du code pénal. C'est le noyau dur de ce texte. Deux orientations ont inspiré nos travaux : préciser le lien de causalité entre la faute et le dommage et définir la notion de faute caractérisée.

Les juridictions pénales ayant une conception extensive du lien de causalité, il nous a paru nécessaire de distinguer causalité directe et indirecte.

Cette distinction nouvelle devrait conduire les juridictions à apprécier de façon beaucoup plus précise le lien entre la faute et le dommage. La commission a considéré qu'il convenait en outre de préciser la notion d'auteur médiat, qui complète celle d'auteur indirect. Aux termes de la définition du Conseil d'Etat, l'auteur médiat est celui qui aurait pu et dû empêcher la survenance du dommage et qui n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'éviter. Or c'est principalement en qualité d'auteurs médiats que les élus sont mis en cause en matière de délit non intentionnel.

Dans le cas du lien indirect et médiat, la responsabilité n'interviendra qu'en cas de faute caractérisée. Le Sénat a en effet précisé qu'il fallait une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité, reprenant une définition que l'on trouve déjà dans le code pénal à l'article 223-1. Cette obligation de sécurité doit être particulière et non générale, c'est-à-dire qu'elle doit être définie avec précision. Notre Assemblée a tenu à ajouter que cette obligation particulière doit être prévue dans la loi et le règlement. L'absence de cette précision dans le texte du Sénat renvoyait à une règle de bon sens, compréhensible certes par n'importe qui, mais il a été jugé opportun de le préciser. Cette violation doit ensuite être manifestement délibérée et reposer ainsi sur des indices objectifs. L'adverbe « manifestement » impose au juge de faire preuve d'une rigueur particulière quant à l'existence de l'élément moral du délit. Il faut éviter cependant tout risque de pénalisation excessive. C'est pourquoi votre commission a ajouté au texte du Sénat l'exigence conjointe d'une faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger que son auteur ne pouvait ignorer. En retenant cette rédaction, notre Assemblée n'entend pas que la notion d'exceptionnelle gravité soit appréciée au regard des dommages causés mais bien par rapport à la faute elle-même, dont la qualification se rapproche de la faute inexcusable bien connue en matière d'accident du travail. Le qualificatif étant nouveau en droit pénal, l'Assemblée indique clairement le sens qu'elle entend lui conférer en reprenant ses éléments constitutifs essentiels. Cette nouvelle définition des délits non intentionnels limitera les possibilités de mise en cause pénale des personnes dont la responsabilité n'est qu'indirecte et la faute secondaire tout en maintenant les sanctions pour les violations graves et porteuses de risques.

La nouvelle rédaction prévoit enfin que le délit non intentionnel n'existe que s'il est établi que l'auteur n'a pas accompli les diligences normales. Cette formulation confirme l'interprétation de la Cour de cassation qui tend à confier à la partie poursuivante la charge de la preuve.

Cette nouvelle rédaction du code pénal pour ce qui concerne les délits non intentionnels met un terme à l'identité des fautes civile et pénale d'imprudence telle qu'elle résultait d'un arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre 1912, jamais remis en cause.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement. Tout en reprenant les distinctions proposées par le rapport Massot et par le Sénat, cet amendement propose une rédaction de l'article 121-3 du code pénal plus explicite et plus complète. Je me félicite par ailleurs que l'expression « les personnes qui n'ont pas causé elles-mêmes le dommage » ait été remplacée par « les personnes qui n'ont pas causé le dommage » car cette formulation me semble plus rigoureuse.

M. Jean-Antoine Leonetti - Le Sénat s'était fié au bon sens et vous avez considéré qu'il fallait préciser que l'infraction devait être prévue dans un texte. Ce souci louable de précision peut cependant conduire à restreindre le champ de la pénalisation. S'agissant de la faute dite d'une « exceptionnelle gravité », je m'interroge sur l'élément « exceptionnel ». Mais si l'on supprimait le caractère exceptionnel pour ne conserver que celui de gravité de la faute, le système en serait-il réellement affecté ? Je crains en effet que le caractère exceptionnel apparaisse aux yeux de l'opinion comme une protection excessive des décideurs publics.

L'amendement 9 rectifié, mis aux voix, est adopté et l'article premier est ainsi rédigé.

 

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. le Rapporteur - L'amendement 10 prend acte de la dissociation de la faute pénale non intentionnelle et de la faute civile et établit que les victimes d'un dommage ont toujours la possibilité d'obtenir réparation devant les juridictions civiles. Au demeurant, il ne faut pas oublier les difficultés que rencontrent les juridictions civiles. Il conviendra donc que nous nous attachions à améliorer leur fonctionnement.

L'amendement 11 est de coordination.

Mme la Garde des Sceaux - Favorable à l'amendement 10 qui améliore le texte du Sénat en proposant d'expliciter les conséquences du lien de causalité indirecte en insérant dans le code de procédure pénale un article 4-1, qui précise que l'absence de faute pénale d'imprudence n'interdit pas à la victime d'obtenir réparation sur le fondement de la faute civile d'imprudence prévue par l'article 1383 du code civil. Cette conséquence est logique mais il est opportun de l'énoncer, ne serait-ce que pour inciter les victimes à choisir la voie de la réparation civile de leur préjudice.

Cette disposition ne remet évidemment pas en cause la répartition des compétences entre les juridictions administratives et judiciaires et ne signifie pas davantage que la victime d'un dommage causé par la faute de service d'un agent public pourra en demander réparation devant les juridictions civiles, qui ne sont pas compétentes dans une telle hypothèse.

Quant à l'amélioration du fonctionnement des juridictions civiles, je rappellerai simplement que ce Gouvernement a créé en trois ans plus de postes de magistrats que pendant les dix ans qui ont précédé 1997 et que nous avons également simplifié les procédures pénales et civiles, pour faire en sorte que les juridictions puissent _uvrer avec plus de rapidité.

Le Gouvernement est également favorable à l'amendement 11.

L'amendement 10, mis aux voix, est adopté, de même que l'amendement 11.

Les articles 2 et 3, successivement mis aux voix, sont adoptés.

 

ART. 3 bis

M. le Rapporteur - Je présenterai ensemble les amendements 12 et 13 qui ont le même argumentaire. Ils tendent à supprimer des déclinaisons que le Sénat avait prévu en matière de délits. Or, la nouvelle définition proposée à l'article premier s'applique à l'ensemble des délits non intentionnels. Dès lors, il n'est pas utile de décliner ces nouvelles dispositions au niveau des différents délits, en particulier lorsque cette démarche n'est pas exhaustive et qu'elle porte sur des délits matériels moins graves et moins poursuivis que l'homicide ou les blessures involontaires.

Ceci ne signifie pas que nous sommes hostiles à l'esprit qui animait ces deux articles, mais il ne semble pas utile de les maintenir.

Mme la Garde des Sceaux - Je suis favorable à ces deux amendements de suppression. Il n'est pas juridiquement nécessaire de rappeler la définition générale de l'article 121-3 du code pénal. Le fait que les dispositions que la commission nous propose de supprimer sont rappelés dans le code pénal s'explique par des considérations d'opportunité. Il ne faut évidemment pas en faire une interprétation a contrario et considérer que les règles de l'article 121-3 ne s'appliqueraient qu'aux délits d'homicide ou de blessures involontaires. Les amendements de la commission sont l'occasion de le rappeler.

L'amendement 12, mis aux voix, est adopté.

L'article 3 bis est ainsi supprimé.

 

ART. 3 ter

L'amendement 13 mis aux voix, est adopté.

L'article 3 ter est ainsi supprimé.

L'article 4, mis aux voix, est adopté, de même que l'article 5.

 

ART. 6

M. François Guillaume - La mise en cause pénale de plus en plus fréquente des maires provoque une crise des vocations dont les prochaines élections municipales pourraient permettre de mesurer l'ampleur. Selon un sondage récent, 40 % des maires qui renonceraient à se présenter, l'avaient décidé par crainte d'une mise en cause trop systématique de leur responsabilité personnelle. C'est surtout vrai dans les petites communes ou, faute de conseils juridiques et techniques suffisants et faute de connaître le détail de la loi, souvent mal explicitée par l'administration, le maire se fie souvent au bon sens pour agir.

Cette menace est aggravée par le penchant procédurier de nos concitoyens qui ne s'adressent pas seulement aux tribunaux pour obtenir réparation du préjudice subi mais, aussi pour requérir une sanction pénale à l'encontre de l'élu pour des raisons de ressentiment personnel ou d'opposition politique. L'augmentation des incriminations en est la conséquence.

Le recours systématique au juge pénal s'explique aussi par une hésitation sur le choix entre trois juridictions -répressive, administrative ou civile- parmi lesquelles le pénal présente l'avantage, au moins apparent, d'être plus expéditif et d'autoriser la constitution de partie civile qui rend obligatoire la poursuite de la procédure, assure la réparation du préjudice et inflige des sanctions censées prévenir le renouvellement des infractions.

Mais pour un élu, la citation au pénal a un caractère traumatisant qu'aggrave une médiatisation souvent outrancière des procès. Conscient du danger que cette désaffection pour la cause publique représente pour la démocratie locale, le Sénat a pris l'initiative d'un texte tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Distinguer la faute détachable qui continuerait à relever de la procédure judiciaire classique de la faute de service, présente l'avantage d'une justice qui, sans apparaître comme un traitement de faveur des élus garantit leur protection dans l'exercice de leurs responsabilités.

Cela dit, cette proposition prouve que les modifications apportées au code pénal en 1996 se sont révélées insuffisantes. Pourtant, le problème avait pris à l'époque un caractère dramatique après le décès d'un maire de ma circonscription. Poursuivi par une société de pêche pour avoir dérangé une frayère naturelle piscicole en effectuant des travaux urgents destinés à sauvegarder un bâtiment public, il n'avait pu supporter d'être condamné en correctionnelle pour une décision de bon sens conforme aux intérêts de sa commune.

Aujourd'hui encore, on peut redouter que les aménagements législatifs qui nous sont proposés se révèlent insuffisants. C'est pourquoi j'ai déposé deux amendements 20 et 21 qui reprennent, en les complétant, mes propositions de 1996.

Le premier dit que le juge d'instruction, saisi de faits mettant en cause à titre personnel un élu local, doit surseoir à statuer en attendant que le juge administratif se prononce sur sa compétence judiciaire. Sa décision, prise à titre préjudiciel, lierait le juge pénal.

Le second confie au Tribunal des conflits le soin de trancher les différends de compétence entre la juridiction pénale et la juridiction administrative.

Sans porter atteinte à la plénitude de juridiction du juge répressif, ni instituer un régime dérogatoire pour les élus et agents publics qui serait mal perçu par l'opinion, ces propositions ont l'avantage d'orienter les recours vers les juridictions les mieux adaptées à la nature du délit, tout en évitant de banaliser l'action pénale à l'encontre des élus locaux. Elles répondaient à l'attente des hommes et des femmes qui acceptent encore de se dévouer à la cause publique.

M. le Rapporteur - L'amendement 14 de la commission supprime l'extension de la responsabilité pénale des personnes morales proposée par le Sénat, pour quatre raisons : éviter une pénalisation accrue de la vie publique ; maintenir la séparation des pouvoirs entre les autorités administrative et judiciaire ; ne pas ouvrir la voie à une mise en cause pénale de l'Etat, qui ne manquerait pas de se produire si on étendait la responsabilité des collectivités locales ; enfin, les peines prévues par le code pénal à l'encontre des personnes morales -dissolutions, surveillance judiciaire, fermeture de l'établissement- paraissent inadaptées.

Mme la Garde des Sceaux - Avis tout à fait favorable à cet amendement. Je m'en suis expliquée dans mon discours introductif.

L'amendement 14, mis aux voix, est adopté.

L'article 6 est ainsi rédigé.

 

APRÈS L'ART. 6

M. le Président - L'amendement 20 a déjà été défendu.

M. le Rapporteur - La commission a émis un avis défavorable car la saisine du juge administratif risque d'allonger encore la procédure, dont nous cherchons à réduire la durée. Elle créerait, en outre, un système particulier pour les élus, ce que nous voulons précisément éviter. Enfin, cette disposition n'a plus de sens dès lors que, compte tenu de la nouvelle rédaction de l'article 121-3, le juge administratif n'aura jamais à se prononcer sur la violation délibérée d'une obligation de sécurité ni sur la gravité d'une faute.

Mme la Garde des Sceaux - Le Gouvernement est également opposé à cet amendement, parce qu'il institue des règles de procédure pénale propres aux décideurs publics, parce qu'il entraverait l'intervention du juge pénal, enfin parce que le projet de loi sur la présomption d'innocence devrait apaiser les inquiétudes qui ont justifié son dépôt.

M. François Guillaume - Il s'agit simplement que le juge d'instruction sursoie à la mise en examen en attendant que le juge administratif se soit prononcé sur la juridiction compétente. C'est indispensable si l'on veut éviter un recours trop systématique à la juridiction pénale.

L'amendement 20, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Président - M. Guillaume a déjà défendu l'amendement 21.

M. le Rapporteur - Même argumentation que sur l'amendement précédent.

Mme la Garde des Sceaux - Même avis.

L'amendement 21, mis aux voix, n'est pas adopté.

L'article 7, mis aux voix, est adopté.

 

ART. 7 bis

M. le Rapporteur - L'amendement 15 tend à supprimer cet article par lequel le Sénat a introduit des dispositions relatives aux marchés publics, qui n'ont pas leur place dans ce texte.

L'amendement 15, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 7 bis est ainsi supprimé.

 

ART. 7 ter

M. le Rapporteur - Mon intervention vaudra pour les amendements 16, 17 et 18, qui concernent respectivement la commune, le département et la région.

Il s'agit d'obliger la collectivité à accorder sa protection aux élus mis en cause par des faits n'ayant pas le caractère de faute détachable de l'exercice de leurs fonctions. Autrement dit, nous étendons aux élus locaux la protection dont bénéficient les fonctionnaires de la part de leur administration.

La commission a adopté le sous-amendement 27 corrigé du Gouvernement, qui précise utilement que lorsque le maire agit en qualité d'agent de l'Etat, c'est l'Etat qui prend en charge sa protection.

Mme la Garde des Sceaux - Avis favorable à l'amendement. Je remercie le rapporteur de soutenir ce sous-amendement, qui reprend une disposition discutée par le Sénat dans le projet de loi renforçant la présomption d'innocence. Le fait que, lorsque le maire agit en tant qu'agent de l'Etat, sa protection est assurée par l'Etat et non par la commune est conforme à l'article 11 de la loi de 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

Le sous-amendement 27 corrigé, mis aux voix, est adopté.

L'amendement 16 ainsi sous-amendé est adopté et l'article 7 ter est ainsi rédigé.

 

ART. 7 quater

M. le Rapporteur - J'ai déjà présenté l'amendement 17. Je précise qu'il faut lire au dernier alinéa « ayant reçu une délégation ».

L'amendement 17 rectifié, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté et l'article 7 quater est ainsi rédigé.

 

ART. 7 quinquies

M. le Rapporteur - L'amendement 18 concerne les régions.

L'amendement 18, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, et l'article 7 quinquies est ainsi rédigé.

 

APRÈS L'ART. 7 quinquies

M. le Rapporteur - L'amendement 19 est de coordination.

L'amendement 19, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté.

L'article 8, mis aux voix, est adopté.

EXPLICATIONS DE VOTE

M. Jean-Louis Debré - Madame le Garde des Sceaux, vous savez combien nous souhaitons trouver un équilibre entre punition et réparation en cas de délit non intentionnel. Nos collègues Gilbert Meyer, Jean-Antoine Leonetti, Philippe Houillon et François Guillaume ont montré par des exemples concrets la nécessité de modifier la législation en ce domaine. Nos collègues socialistes, notamment Gérard Gouzes, ont eux -mêmes mis en lumière certaines anomalies.

Etant donné que nous sommes en première lecture, et compte tenu des interrogations qui apparaissent sur les conséquences que pourrait avoir cette loi, le groupe RPR a décidé de s'abstenir. Nous demandons au Gouvernement de rassurer publiquement les représentants des associations et les victimes qui ont fait part de leurs légitimes inquiétudes. Notre position répond à un triple souci, d'humanité, de précaution et de clarté. Sur un sujet aussi douloureux et délicat, nous ne pouvons légiférer que dans la sérénité et le consensus (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL).

M. Gérard Gouzes - Le groupe socialiste a travaillé ce texte, qui émanait d'un sénateur de l'opposition, avec beaucoup de scrupules.

Quelques principes élémentaires ont été fort justement rappelés. La loi pénale doit être la même pour tous les citoyens ; ce texte n'amnistie personne, ni pour le passé ni pour l'avenir. Par ailleurs, est conforté le principe inscrit dans le code pénal selon lequel il n'y a pas de crime ou de délit sans intention de le commettre, en même temps qu'est rappelé le fait qu'il peut y avoir délit en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une règle de prudence ou de sécurité, si ceux-ci sont fautifs. M. Guillaume et M. Meyer voulaient aller plus loin ; je m'étonne donc de l'abstention annoncée de M. Debré.

Qu'y a-t-il d'illégitime à préciser qu'une imprudence non fautive ne justifie pas une pénalisation ? Ce texte mettra-t-il fin aux poursuites contre des fonctionnaires, des conseillers de ministres dans l'affaire du sang contaminé ? Pourquoi ces personnes ne seraient-elles pas poursuivies si leur négligence est reconnue comme fautive ? Pourquoi ne seraient-elles pas condamnées si elles ont manifestement violé une loi, un règlement ou une obligation particulière de sécurité ou de prudence ? A cet égard, cette proposition de loi ne change rien.

En revanche, si rien de tout cela ne peut être retenu contre elles, pourquoi seraient-elles condamnées ? Pour participer à un sacrifice ? Il ne s'agirait plus de justice...

La douleur des victimes est toujours respectable. Elle peut aveugler ceux qui l'éprouvent, mais elle ne doit pas nous égarer. Cette proposition de loi n'exonérera pas les coupables, mais évitera qu'aux injustices de la vie s'ajoutent des injustices judiciaires. C'est la raison pour laquelle je souhaiterais que nous ayons tous le courage de la voter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste).

M. Jean-Antoine Leonetti - Nous approuvons l'orientation globale de ce texte. Il n'est pas question ici de clivage entre la droite et la gauche, mais simplement de la recherche d'un équilibre. Il ne faut pas que les boucs émissaires soient remplacés par les lampistes.

Les précisions apportées à ce texte entre le Sénat et l'Assemblée nationale ont aussi une valeur symbolique.

Ce matin, en commission, on a relevé que la loi pourrait avoir, en sus de son caractère normatif, une valeur symbolique. Y a-t-il un seul élu de ce pays, un seul de nous qui puisse souhaiter qu'une fraction de l'opinion, fût-elle aveuglée par la douleur, considère que nous légiférons pour un groupe auquel nous appartenons ? Certains mots ne sont pas indispensables ici. Parler de règles de sécurité « élémentaires » n'ajoute rien. Quant à la gravité, doit-elle être « exceptionnelle » pour justifier une sanction ? Est-ce à dire que les fautes « simplement » graves seraient tolérées ? Enfin, évoquer le caractère « manifestement délibéré » d'une infraction donne à penser qu'une infraction involontaire pourrait avoir quelque chose de... volontaire !

Avec tous ces qualificatifs inutiles, on manie l'ambiguïté au risque de faire apparaître symboliquement cette proposition amendée comme un texte visant à protéger plutôt qu'à régir en équité. J'invite donc le Gouvernement à travailler, avec le rapporteur, la commission et l'ensemble des groupes, à une loi qui non seulement permette à nos institutions de fonctionner, mais qui manifeste un souci de concilier droits des victimes et dépénalisation de notre vie publique. Si tel est le cas, je ne doute pas que l'opposition votera ce texte en deuxième lecture. Dans l'immédiat, le groupe UDF s'abstiendra (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF, du groupe DL et du groupe du RPR).

M. Jean Vila - J'ai dit tout à l'heure que le groupe communiste voterait cette proposition si les amendements de la commission étaient adoptés. Il en a été ainsi et je confirme donc mon propos, souhaitant seulement que la navette permette d'améliorer encore ce texte.

M. Philippe Houillon - Nous en sommes tous convenus, cette proposition répond à une nécessité. Cependant, j'ai le sentiment que, pour être bien sûr d'atteindre l'objectif, on a mis le curseur un peu trop loin. M. Leonetti a évoqué la valeur symbolique des mots mais j'insisterai plutôt, quant à moi, sur leur valeur juridique : lorsqu'on se retrouve devant une juridiction, c'est en effet ce que dit la loi qui permet d'apprécier si la responsabilité pénale est en jeu. A cet égard, on ne peut que regretter les termes « exceptionnelle gravité » et « manifestation délibérée », ou l'incertitude qui subsiste quant au principe de précaution ou au concours des causes.

Comme mes collègues de l'opposition, je souhaite pouvoir voter ce texte en deuxième lecture, au terme d'un travail conduit dans l'esprit qui a prévalu jusqu'ici en commission. Pour rendre cette approbation possible, le groupe DL s'abstiendra dans l'immédiat. (Applaudissements sur les bancs du groupe DL, du groupe du RPR et du groupe UDF)

Mme la Garde des Sceaux - Je n'avais pas l'intention de reprendre la parole mais je le ferai cependant, puisque M. Debré a jugé bon d'interpeller le Gouvernement.

Cette conduite m'a étonnée : si M. Debré avait entendu mon propos introductif, il aurait eu toutes les précisions souhaitables sur la position du Gouvernement. Il aurait su que, pour moi, de nombreuses questions restaient en suspens, la proposition ardemment soutenue par ses amis me semblant atténuer par trop la responsabilité des décideurs.

J'ai été étonnée également parce que la feuille jaune annonçait la discussion de certains amendements présentés par M. Meyer, examinés et repoussés par la commission au motif qu'ils pouvaient avoir pour effet d'exonérer de toute responsabilité des auteurs de violations graves des règles de sécurité médicale ou de sécurité du travail !

M. Gilbert Meyer - Ils ont été retirés !

Mme la Garde des Sceaux - A la dernière minute.

Quant à M. Guillaume, son amendement revenait à instituer un système spécifique en faveur des décideurs. Ce que j'ai refusé depuis le début.

Après ces prises de position de deux membres éminents de son groupe, je ne pouvais donc qu'être surprise de l'interpellation de M. Debré. Pourrait-il expliquer sa propre position aux représentants des victimes ? Pour moi, je ne saurais parler en son nom ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Président - Compte tenu du caractère exceptionnel de l'intervention du Gouvernement, je donne la parole à M. Debré.

M. Jean-Louis Debré - Je regrette le ton un peu polémique de votre propos, Madame la Garde des Sceaux. Il y a les discours et il y a les dispositions que nous avons votées. Mes collègues ont dit leur sentiment que ces dernières ne correspondaient pas totalement à ce que nous souhaitions mais le constituant a voulu qu'un texte de loi puisse être amendé grâce à une pluralité de lectures. Je sais que vous ne souhaitez pas que la procédure se déroule normalement, mais nous, si, car nous souhaitons améliorer cette proposition !

Enfin, je ne vous ai jamais demandé de parler au nom de l'opposition : je sais trop combien il est difficile déjà de le faire au nom de la majorité plurielle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du RPR, du groupe UDF et du groupe DL)

L'ensemble de la proposition de loi, mis aux voix, est adopté.