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MESDAMES, MESSIEURS,

La pénalisation croissante de la société française, liée au développement de la médiatisation, crée une situation préoccupante qui, par son caractère excessif, peut mettre en cause le fonctionnement de la démocratie. Les causes de cette pénalisation sont diverses et multiples : refus par l'opinion publique de la fatalité, recherche déterminée d'un responsable, qui dans certains cas s'apparente à la désignation d'un bouc émissaire (attitude qui, dans notre société judéo-chrétienne, repose sur un fonds culturel ancien). On ne saurait exonérer le législateur et le pouvoir réglementaire : entre 1984 et septembre 1999, 278 lois et 665 décrets ont prévu de nouvelles sanctions pénales (1). Enfin, le fonctionnement de la justice elle-même incite à privilégier la voie pénale, quand bien même la réparation serait à rechercher auprès de la justice civile ou administrative. Mais la lenteur de cette dernière et le coût de la voie civile constituent autant de motifs conduisant les avocats à orienter leurs clients vers la justice pénale. On peut se demander si ce mouvement, que votre rapporteur ne considère pas irréversible, ne conduit pas à faire perdre au droit pénal, comme le rappelait notre collègue Fauchon dans son rapport au Sénat, « sa signification profonde qui est la protection de la société dans son ensemble et non la réparation de tous les dommages causés aux personnes ».

Il est un domaine où cette évolution devient préoccupante : il s'agit des délits non intentionnels, autrement dit des fautes souvent légères et parfaitement involontaires, qui n'ont qu'un lien éloigné avec le dommage physique ou matériel et dont les auteurs font l'objet de sanctions considérées comme infamantes.

Dans ce contexte, les décideurs publics - mais pas uniquement eux - sont particulièrement exposés du fait de leurs attributions : une tribune s'effondre, une rivière déborde, un panneau de basket tombe, l'ornement d'un monument aux morts se descelle, une falaise s'avère dangereuse, un lampadaire électrique est défectueux et voilà le maire, le préfet, le proviseur, l'instituteur, le fonctionnaire territorial poursuivis devant les tribunaux répressifs et, parfois, condamnés pour homicide ou blessures involontaires.

Sans doute, ces mises en cause, et surtout les condamnations, sont-elles peu nombreuses : en quatre ans (mai 1995 à avril 1999) 48 élus locaux mis en cause pour des infractions non intentionnelles (dont 14 condamnations) sur un effectif potentiel de 50 000 (pour s'en tenir aux exécutifs) ; en dix ans (de 1985 à 1995) 45 fonctionnaires de l'éducation nationale mis en cause (dont 16 condamnations) alors qu'il existe plus de 7 000 établissements du second degré. S'agissant des préfets, si le nombre des mises en cause est également faible (21 selon un bilan du ministère de l'intérieur), la proportion est beaucoup plus élevée, puisque l'effectif potentiel des postes en situation s'élève à 150 environ. Mais, on relèvera qu'aucune condamnation n'a été prononcée.

Le décalage entre la réalité des chiffres (encore que l'on puisse regretter leur insuffisance) et le sentiment d'insécurité qui existe chez les décideurs publics ne manque pas d'être inquiétant. Il est le signe d'un malaise profond que le législateur se doit de traiter. La médiatisation accordée à la mise en examen d'un décideur public - préfet, maire, proviseur - est plus redoutable que l'instruction et le jugement, comme le rappelle notre collègue Albertini. On peut souhaiter, comme le prévoit le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, dont la discussion se poursuit devant le Parlement, que la mise en examen sera, demain, moins systématique.

Cette insécurité juridique connaît, parmi les élus locaux, une ampleur telle qu'apparaissent le découragement et la démobilisation de nombreux maires. Il est vrai que l'accroissement des responsabilités locales consécutives aux lois de décentralisation et la liberté accrue de décision (par la suppression de la « tutelle préfectorale ») ainsi que la multiplication des normes, quelle qu'en soit l'origine (Paris ou Bruxelles), contribuent à rendre plus complexe et plus lourde la fonction de maire. Notre démocratie locale repose sur les 36 500 maires qui, jusque dans le village le plus petit, représentent l'Etat républicain. L'opinion publique ne s'y trompe pas, qui leur accorde la cote de sympathie la plus élevée de tous les responsables politiques. Elle sous-estime cependant le poids des responsabilités et l'ampleur du dévouement qui constituent le lot quotidien des maires. Dans ces conditions, les rendre responsables de tout événement qui se produit sur le territoire communal est absurde et injuste.

Pour autant, il n'est pas question de leur réserver un sort particulier. Le Gouvernement ne l'a pas voulu, et il a eu raison. Progressivement, ainsi que votre rapporteur le développe plus loin, la loi pénale est devenue la même pour tous. C'est également le cas pour les fonctionnaires en général, et pour les enseignants en particulier, même si subsistent, pour ces derniers, les dispositions protectrices de la loi du 5 avril 1937 sur la responsabilité des instituteurs publics, « qui apparaît de plus en plus comme une protection catégorielle exorbitante ». La banalisation du régime de responsabilité des décideurs publics et l'élargissement du champ de la sanction pénale constituent des progrès de l'Etat de droit. L'opinion publique ne juge pas autrement, puisqu'un récent sondage fait apparaître les réserves des Français, en particulier des plus modestes, à l'égard de procédures particulières pour les fonctionnaires et les élus. Mais les dérives que l'on constate dans l'application de la loi pénale en matière de délits non intentionnels ou plutôt les interprétations étonnantes qui en sont faites, conduisent aujourd'hui le législateur à exposer sa volonté de manière claire et précise. Dans ce contexte, les orientations de la proposition de loi présentée par M. Pierre Fauchon (n° 2121) et adoptée par le Sénat le 27 janvier 2000 sont salutaires.

Il s'agit de mieux définir les contours des infractions d'homicide et de blessures involontaires en intervenant à la fois sur la définition de la faute et sur le lien de causalité. Toutefois, dans la mesure où le code pénal s'adresse à tous, il convient d'éviter que toute réduction du champ des délits non intentionnels ne se traduise par une atténuation de la répression dans des domaines aussi sensibles que le droit du travail, de l'environnement, de la santé publique ou de la sécurité routière. Il convient d'être particulièrement attentifs à l'avertissement de la garde des sceaux : « il ne faut toucher à la loi pénale que d'une main tremblante ».

C'est dans cet esprit que votre rapporteur a souhaité préciser le texte de l'article premier qui modifie la rédaction de l'article 121-3 du code pénal.

Par contre, la proposition du Sénat d'étendre la responsabilité pénale des collectivités locales paraît à votre rapporteur contestable. Les motifs en sont développés plus loin.

Enfin, il nous semble tout à fait légitime que les collectivités accordent à leurs élus, dès lors qu'ils agissent en leur nom, une protection équivalente à celles dont bénéficient les fonctionnaires. Il vous est donc proposé de compléter la rédaction du Sénat.

Ce faisant, votre rapporteur demeure soucieux de ne pas abaisser le niveau de protection dû aux victimes. Celles-ci doivent pouvoir s'adresser, en toute hypothèse, aux juges civil ou administratif. Dès lors que la volonté du législateur sera appliquée dans sa lettre, et s'il y a lieu, dans son esprit tel qu'il est développé dans les rapports et les débats parlementaires, la présente proposition de loi devrait permettre de trouver un équilibre plus satisfaisant entre les champs respectifs de la répression et de la réparation. Votre rapporteur n'entend pas non plus diminuer le degré de vigilance qui incombe à ceux qui sont en charge de la sécurité des citoyens.

Le succès de cette démarche constituerait un progrès en direction d'une société responsable et apaisée.

I. - POUR RENFORCER L'ÉTAT DE DROIT, LE LÉGISLATEUR ET LE JUGE ONT ÉTENDU LA RESPONSABILITÉ DES DÉCIDEURS PUBLICS ET LE CHAMP DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

La banalisation progressive des règles de la responsabilité et de la procédure pénale, ainsi que l'extension des missions du juge répressif, traduisent un approfondissement de l'Etat de droit dans notre pays. La recherche d'un nouvel équilibre ne saurait faire oublier le caractère progressiste de cette évolution historique.

A. AU NOM DU PRINCIPE D'ÉGALITÉ : LA BANALISATION DU RÉGIME DE LA RESPONSABILITÉ DES DÉCIDEURS PUBLICS

1. L'abolition des régimes de protection

« Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions » : ainsi rédigé, l'article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 assurait une assez large impunité aux agents de l'Etat.

Cette interdiction, considérée comme une condition de l'autorité de la puissance publique, a rapidement laissé la place à un régime plus « raisonnable », sans mettre fin pour autant au principe d'une protection particulière pour certaines catégories de justiciables. En effet, si l'article 75 de la constitution du 22 frimaire de l'an VIII a admis que des poursuites puissent être engagées contre l'ensemble des agents du Gouvernement, à l'exception des ministres, devant les tribunaux ordinaires, pour des faits relatifs à leurs fonctions, cette faculté était subordonnée à un avis conforme du Conseil d'Etat, autorisation qui ne fut donnée qu'exceptionnellement.

Ce système, dit de « garantie personnelle des fonctionnaires », qui privait les particuliers de toute réparation, compte tenu du principe de l'irresponsabilité de la puissance publique, est resté en vigueur durant près d'un siècle, jusqu'à son abrogation par un décret républicain du 19 septembre 1870, qui a ouvert la possibilité au ministère public d'intenter une action contre un fonctionnaire coupable d'une infraction, que celle-ci ait été commise dans l'exercice ou en dehors de ses fonctions.

La soumission des fonctionnaires au droit commun et aux tribunaux ordinaires ne pouvait que donner lieu à des conflits de compétences entre les tribunaux des ordres administratif et judiciaire : c'est la raison pour laquelle le juge a été conduit à fixer, dès 1873, les règles générales de répartition des contentieux qui demeurent aujourd'hui en vigueur dans ce domaine.

2. La généralisation des règles de droit commun en matière de responsabilité pénale

Le Tribunal des conflits, à peine créé, est intervenu, en effet, pour préciser la portée de l'abrogation, par le décret précité du 19 septembre 1870, de l'article 75 de la constitution de l'an VIII instituant « la garantie des fonctionnaires ». Le 30 juillet 1873, dans un arrêt « Pelletier », il établissait la célèbre distinction entre la « faute personnelle » (« celle qui se détache assez complètement du service pour que le juge judiciaire puisse en faire la constatation sans porter pour autant une appréciation sur la marche du service ») et la « faute de service » (« le fait de l'agent qui est tellement lié au service que son appréciation par le juge judiciaire implique nécessairement une appréciation sur le fonctionnement du service »).

Soixante ans plus tard, le 14 janvier 1935, dans un nouvel arrêt « Thepaz », le Tribunal des conflits achevait cette évolution en abandonnant l'identification traditionnelle entre la faute personnelle et la faute civile. Désormais, le juge admet qu'un fonctionnaire dans l'exercice de ses fonctions puisse commettre une infraction pénale qui ne soit pas pour autant une faute personnelle engageant sa seule responsabilité : elle sera même, le plus souvent, exclusive de toute faute personnelle en cas de délits commis par imprudence. Autrement dit, la distinction entre faute personnelle et faute de service ne s'étend pas au droit pénal : la révélation d'une faute de service devant les juridictions répressives n'a d'effet que sur l'indemnisation éventuelle des victimes.

Ainsi, l'orientation de cette évolution apparaît clairement : la loi pénale doit être la même pour tous les citoyens ; un délit doit être poursuivi et réprimé dans les mêmes conditions qu'il ait été commis par un agent public ou par une personne privée.

C'est donc tout naturellement que devait disparaître, au tournant des années 1990, l'un des derniers régimes particuliers, connu sous le nom de « privilège de juridiction ».

Les articles 681 à 684 du code de procédure pénale prévoyaient, en effet, au profit des membres du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation ou de la Cour des comptes, des préfets et des magistrats, une procédure spécifique en cas de mise en cause pour des crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions : renvoi du dossier par le procureur de la République à la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui était chargée de désigner une juridiction pour instruire et juger l'affaire. A la suite de l'incendie du dancing « Cinq-Sept », à Saint-Laurent-du-Pont, le 1er novembre 1970, et de la condamnation du maire de la commune, la loi n° 74-646 du 18 juillet 1974 relative à la mise en cause pénale des maires devait étendre le bénéfice de ces dispositions aux maires, aux élus municipaux, aux présidents de communauté urbaine, de district ou de syndicats de communes.

Ce dispositif a finalement été abrogé par la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale.

Ainsi, en l'espace de deux siècles, la loi pénale est devenue la même pour tous. Concomitamment, pour protéger les victimes, le législateur et la jurisprudence ont confié au juge répressif des missions de plus en plus larges.

B. AU NOM DU RESPECT DES VICTIMES : L'ÉLARGISSEMENT DU CHAMP DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

1. La sanction pénale : punir, prévenir, réparer

Le fondement originel, voire la justification première du droit pénal, réside dans le principe essentiel posé par l'article 121-3 du code pénal, qui énonce, dans son premier alinéa, qu'« il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ».

Dès lors, en l'absence de précision contraire, toutes les incriminations criminelles ou délictuelles sont subordonnées à un élément intentionnel : l'auteur d'une infraction doit avoir eu conscience de commettre un acte interdit, de violer la loi pénale, et ce, pour reprendre une expression fréquemment utilisée par la Cour de cassation, avec « une intention coupable », qui appelle une punition de la part de la société. Pour les actes non intentionnels, des sanctions civiles, fondées sur le principe de la réparation due aux victimes, sont, en principe, suffisantes.

Ce caractère intentionnel ne supporte aucune exception pour les crimes qui sont, en toute hypothèse, des actes délibérés : les crimes non intentionnels, qui existaient encore dans l'ancien code pénal, ont tous été supprimés.

Mais il en va différemment pour les délits. En effet, en application des deuxième et troisième alinéas de l'article 121-3 précité, la loi peut prévoir que des délits sont constitués sans que leur auteur ait pour autant eu la volonté de causer un dommage, voire la conscience de commettre une faute, en particulier lorsque la valeur à laquelle il a été porté atteinte est d'une particulière importance : tel est le cas des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique ou psychique des personnes. L'utilisation de l'adverbe « toutefois », qui introduit ces dispositions particulières, semble réserver à cette hypothèse un caractère exceptionnel. Mais tel n'est pas le cas en pratique.

Deux catégories de délits non intentionnels, présentées ci-après, ont ainsi été définies par le législateur.

· « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui. »

Dans cette hypothèse, prévue par le deuxième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, le prévenu n'a pas souhaité la survenance d'un dommage, mais il avait conscience du risque qu'il prenait pour autrui en manquant, de façon « délibérée », à une règle de sécurité ou de prudence. Ce délit « hybride » a été institué par le législateur pour réprimer des comportements particulièrement dangereux en matière de circulation routière et d'accidents du travail, bien que la loi ne comporte aucune restriction quant à son domaine d'application. Il s'agit, d'ailleurs, de la seule infraction non intentionnelle du droit pénal français qui soit passible d'une peine d'emprisonnement en l'absence de tout résultat : cette innovation législative illustre l'élargissement de la mission du droit pénal, qui exerce également une fonction dissuasive et n'a donc plus pour seul objet de déterminer et de punir des actes portant atteinte à l'ordre social.

La faute de mise en danger est l'élément constitutif de l'infraction autonome de « risques causés à autrui » prévue par l'article 223-1 du code pénal : définie comme « le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », elle est passible, à titre principal, d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende.

La fonction préventive de cette incrimination est renforcée par la jurisprudence de la Cour de cassation, qui retient une conception extensive de la notion de « risque immédiat ». Ainsi, le délit prévu à l'article 223-1 du code pénal a été retenu contre le capitaine d'un navire de 600 places qui avait accepté délibérément 112 passagers en surnombre, en violation des prescriptions réglementaires concernant les engins de sauvetage individuels et collectifs : les conditions météorologiques favorables n'excluaient pas le risque majeur auquel se seraient trouvés exposés les passagers en cas de chavirement du bateau ou d'avarie grave (Cass. crim., 11 février 1998).

Si le danger se réalise par la mort d'une personne ou par des blessures irréversibles, l'article 223-1 n'a plus lieu de s'appliquer : la faute de mise en danger devient alors une circonstance aggravante des atteintes involontaires à la vie ou à l'intégrité de la personne.

· « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences, ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »

L'imprudence, la négligence, voire le simple manquement à une obligation particulière de sécurité, qui sont visés par le troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, constituent des infractions non intentionnelles au sens plein de l'expression. Le juge est néanmoins invité à apprécier les faits dans leur contexte, in concreto : ce principe, introduit par la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, s'applique à l'ensemble des justiciables, bien que ses dispositions aient été reprises, de surcroît avec des rédactions quelque peu différentes et semble-t-il, plus restrictives, dans le code général des collectivités territoriales, pour les élus, ainsi que dans le statut général de la fonction publique, pour les fonctionnaires.

Ces infractions supposent qu'une faute ait été commise, au même titre que le délit de mise en danger d'autrui. Toutefois, à la différence de ce dernier, elles exigent également que cette faute soit à l'origine, même de façon ténue, d'un dommage, la nature de la sanction étant fonction de l'importance de celui-ci :

- la notion d'« atteinte involontaire à la vie » est définie par l'article 221-6 du code pénal comme « le fait de causer, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, la mort d'autrui ». Cinq comportements fautifs sont donc énumérés de façon limitative, mais, en pratique, cette restriction est de peu de portée compte tenu du caractère très général des termes utilisés, ce qui permet de considérer qu'il s'agit d'une « incrimination ouverte ». Ce délit est passible, à titre de peine principale, de trois ans d'emprisonnement et 300 000 F d'amende, les peines encourues étant portées à cinq ans d'emprisonnement et 500 000 F d'amende en cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements (7) ;

- la notion d'« atteinte involontaire à l'intégrité de la personne » est définie à l'article 222-19 du code pénal comme « le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois ». Ce délit est passible, à titre principal, de deux ans d'emprisonnement et 200 000 F d'amende, voire trois ans d'emprisonnement et 300 000 F d'amende en cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements. Lorsque l'incapacité totale de travail est inférieure ou égale à trois mois, la faute n'est passible des peines délictuelles prévues à l'article 222-20 du code pénal, soit un an d'emprisonnement et 100 000 F d'amende, que dans les cas où elle résulte d'un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements.

D'autres délits non intentionnels sont retenus par le code pénal. En particulier, la destruction, la dégradation ou la détérioration involontaire d'un bien appartenant à autrui par l'effet d'une explosion ou d'un incendie provoqués par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements est punie d'un an d'emprisonnement et de 100 000 F d'amende, voire de deux ans d'emprisonnement et 200 000 F d'amende en cas de manquement délibéré (article 322-5 du code pénal).

Sans doute n'est-il pas contestable que l'intention se situe au sommet de la culpabilité : telle est la philosophie du droit pénal, qui oriente la répression vers les comportements procédant d'une détermination marquée et certaine. Mais le législateur a clairement souhaité que la sanction pénale s'applique également à des fautes non-intentionnelles, en cas d'atteinte aux valeurs essentielles de la société. Réduire le rôle du droit pénal à la répression des fautes commises volontairement est une vision dépassée, qui ne correspond plus ni aux textes, ni, comme on le verra, aux attentes de la société française. Tel est d'ailleurs le constat auquel parvenait la garde des sceaux, en séance, au Sénat, en indiquant que « le droit pénal n'est pas seulement un droit subjectif qui recherche s'il y a eu intention de mal faire, mais aussi un droit objectif qui sanctionne des comportements ».

D'une certaine façon, l'article 470-1 du code de procédure pénale, introduit par la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983 renforçant la protection des victimes d'infractions et modifié par l'article 4 de la loi n° 96-393 du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence et de négligence, est venu parachever cette évolution, en permettant au juge pénal, dans certaines hypothèses, non seulement de punir et de prévenir les fautes, mais également de réparer leurs conséquences, fonction éminemment caractéristique de la juridiction civile. Il prévoit, en effet, que « le tribunal saisi, à l'initiative du ministère public ou sur renvoi d'une juridiction d'instruction, de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article 121-3 du code pénal, et qui prononce une relaxe demeure compétent, sur la demande de la partie civile ou de son assureur formulée avant la clôture des débats, pour accorder, en application des règles du droit civil, réparation de tous les dommages résultant des faits qui ont fondé la poursuite ». Il va de soi que cette réforme de procédure, qui peut éviter à la victime d'avoir à exercer une nouvelle action devant le juge civil, favorise également le recours à la justice pénale.

La portée de cet élargissement des missions du droit pénal a été d'autant plus forte que, dans le même temps, le juge répressif a considéré, de façon jurisprudentielle, qu'il lui revenait de sanctionner les fautes indépendamment de leur importance et de leur lien avec le dommage. Malgré le caractère parfois contestable de cette démarche, il reste que le souci de protéger les victimes est également sous-jacent.

2. Des poussières de fautes devant le juge pénal

La qualification des infractions d'homicide et de blessures involontaires suppose que soit démontrée l'existence d'une faute ayant un lien avec le dommage dont le juge est saisi.

Sur ce fondement, il aurait été concevable que seules les fautes d'une certaine gravité puissent faire l'objet d'une incrimination pénale, pour protéger les valeurs ou les intérêts de la société, les fautes légères relevant de la seule sanction civile.

Comme on l'a vu, les textes ne vont pas véritablement dans ce sens. Tel est également le cas de la jurisprudence. A cet égard, les théories de la primauté du répressif sur le civil et de l'identité de la faute pénale d'imprudence et de la faute civile ont eu des conséquences importantes.

« L'autorité absolue de la chose jugée au criminel sur le civil » a été affirmée progressivement par les tribunaux, à partir de textes ambigus, au cours du XIXe siècle : un tel principe est bien sûr de nature à brider la liberté d'appréciation du juge civil saisi d'une action en réparation d'un dommage qui trouve sa source dans une infraction ayant donné lieu à des poursuites pénales. L'un des moyens permettant d'échapper à cette contrainte consiste, néanmoins, à établir que le fait générateur de la responsabilité ne s'identifie pas absolument à l'infraction qui fonde les poursuites. Toutefois, en matière d'homicides et de blessures involontaires, cette possibilité n'existe plus depuis le 12 décembre 1912.

A cette date, en effet, la Cour de cassation, après avoir longtemps refusé d'admettre que la définition des fautes involontaires portant atteinte à l'intégrité corporelle d'autrui, telle qu'elle figure dans le code pénal (« maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation de règlements »), englobait la totalité des comportements qui pouvaient recevoir la qualification de faute involontaire en application de l'article 1383 du code civil, a opéré un revirement spectaculaire en faveur de la thèse dite de « l'identité des fautes civile et pénale d'imprudence ».

Les conséquences de ce revirement jurisprudentiel, destiné à renforcer la protection des victimes, qui sont indemnisées plus rapidement devant les juridictions répressives que devant les juridictions civiles, sont très importantes : compte tenu de la primauté, déjà évoquée, du répressif sur le pénal, le principe de l'identité des fautes a eu pour effet d'entraîner l'échec de toute action en responsabilité, dès lors que l'auteur de l'acte dommageable a été relaxé du chef d'homicide ou de blessures involontaires. Il a donc eu pour effet de brider directement la liberté d'appréciation du juge civil mais aussi, indirectement, du juge pénal, souvent contraint, même dans des cas où la répression pénale n'apparaît pas nécessaire à la sauvegarde de l'ordre public, de relever une « poussière de faute » dans le seul but de réserver les droits de la victime au civil.

Sans doute, les inconvénients pratiques de ce principe d'identité se sont peu à peu estompés. Cet affaiblissement résulte, en particulier, de l'article 470-1 du code de procédure pénale, déjà cité, qui permet, dans certaines conditions, au tribunal saisi de poursuites exercées pour une infraction non intentionnelle, de prononcer une relaxe tout en demeurant compétent pour accorder, en application des règles de droit civil, des dommages et intérêts à la victime. Cependant, contrairement aux opinions émises par une partie de la doctrine, dès l'examen puis l'adoption de la loi du 8 juillet 1983, cette nouvelle législation n'a pas eu pour effet d'abolir le principe d'identité des fautes pénale et civile d'imprudence. En effet, la Cour de cassation a rapidement écarté cette solution en l'interprétant comme une réforme de procédure, destinée à dispenser la victime, en cas de relaxe pour un délit non intentionnel, de l'obligation d'exercer une nouvelle action devant le juge civil pour obtenir une condamnation sur le fondement des règles de responsabilité dont, auparavant, la Chambre criminelle n'admettait pas l'application par le juge pénal : les éventualités les plus fréquentes sont la responsabilité du fait des choses et des animaux (l'acquittement du gardien de la chose, poursuivi pour homicide ou blessures involontaires, ne fait pas obstacle à sa condamnation par le juge civil), les règles de responsabilité objective posées par des textes spéciaux (par exemple la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation) et les règles de la responsabilité contractuelle.

Bien sûr, un changement de jurisprudence n'est pas à écarter : le 5 février dernier, à l'occasion des « Entretiens de Saintes », le procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-François Burgelin, a d'ailleurs annoncé qu'il demanderait, à l'occasion de l'examen en cassation du procès du Drac, à l'assemblée plénière de la Cour de cassation, de procéder à ce revirement. Mais, dans l'immédiat, l'influence exercée par le principe de l'identité des fautes civile et pénale d'imprudence sur le prononcé des sanctions demeure.

La question du lien de causalité en matière pénale est également particulièrement importante, notamment pour les atteintes involontaires à la personne qui se rattachent souvent à une pluralité de fautes, plus ou moins lointaines et plus ou moins directes.

Ce lien de causalité doit être certain : la mise hors cause du maire de Furiani, dans l'affaire du stade du même nom, a résulté, précisément, d'une absence de causalité directe ou indirecte entre la faute et le dommage (Cass. crim., 2 mars 1994).

S'agissant, cette fois, de « l'intensité causale », plusieurs théories ont été élaborées, au siècle dernier, par la doctrine, les deux plus importantes étant présentées ci-après :

- la première, dite de « l'équivalence des conditions », veut que toute faute engage la responsabilité de son auteur dès lors qu'il est établi qu'elle a été la condition sine qua non du résultat ; en effet, en l'absence de cette faute, le dommage ne se serait pas produit ;

- la seconde, dite de « la causalité adéquate », revient à faire un tri entre les diverses conditions en fonction de leur plus ou moins grande force causale : toutes ne sont pas équivalentes, seuls sont pris en compte les comportements qui ont été la cause prépondérante du dommage.

Or, même s'il est possible de relever quelques arrêts dissidents, la première de ces deux théories domine la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment en matière d'homicides et de blessures involontaires : ses arrêts comportent souvent la formule consacrée selon laquelle les dispositions du code pénal sanctionnant les délits d'homicide et de blessures involontaires « n'exigent pas que cette cause soit exclusive, directe et immédiate ». Il s'agit d'une différence importante par rapport à la jurisprudence administrative, voire, dans une moindre mesure, à la jurisprudence civile.

Ainsi, c'est bien au nom de préoccupations républicaines et humanitaires parfaitement respectables que le juge et le législateur ont étendu, conjointement, la responsabilité des décideurs publics et le champ des délits non intentionnels. Ni les textes, ni la jurisprudence, ni les attentes de la société, ne permettent plus de réduire le champ du droit pénal à une conception aussi restrictive que celle exprimée, au Sénat, le 28 avril 1999, par M. Hubert Haenel : « le pénal est fait pour les salauds et le civil pour ceux qui commettent des erreurs ». Cela étant, la répression des délits non intentionnels, sans être illégitime en soi, est devenue excessivement sévère, notamment pour les personnes qui n'ont pas causé directement de dommage, bien que leur comportement ait créé les circonstances qui ont permis ou facilité sa réalisation.

II. - L'ÉVOLUTION EXCESSIVE DU RISQUE PÉNAL IMPOSE CEPENDANT DE DÉFINIR UN NOUVEL ÉQUILIBRE ENTRE PUNITION ET RÉPARATION

Depuis le début de la présente décennie, le législateur est à la recherche d'une clarification des champs respectifs du droit pénal et du droit civil en matière de répression des fautes non intentionnelles. En effet, la société dans son ensemble, et les « décideurs » publics et privés en particulier, s'inquiètent de l'évolution du risque pénal, qui conduit, parfois, à poursuivre comme des criminels, à l'occasion de certaines affaires dramatiques et fortement médiatisées, des personnes n'ayant commis aucun acte coupable et dont la responsabilité apparaît lointaine et incertaine.

Jusqu'à présent, cette démarche est restée vaine. La timidité excessive des réformes mises en _uvre et la mauvaise volonté des juges se sont conjugués pour la priver d'effet.

De ce point de vue, la présente proposition de loi est plus audacieuse, bien qu'elle ne soit pas parvenue à une solution parfaitement équilibrée, ni à exprimer de façon suffisamment claire la volonté du législateur.

A. L'ÉVOLUTION DU RISQUE PÉNAL : LE BOUC ÉMISSAIRE ET LA LOI DU PILORI

1. Une délinquance non intentionnelle

Les ouvertures de procédures à l'encontre de décideurs publics, à la suite d'accidents, de sinistres ou de catastrophes, tendent à se multiplier. Ce constat, formulé en introduction du rapport de M. Pierre Fauchon sur la présente proposition de loi, inquiète de nombreux fonctionnaires et élus locaux.

De ce point de vue, des affaires exemplaires ont marqué l'actualité. Les sanctions prononcées à la suite de l'incendie du dancing « Cinq-Sept » à Saint-Laurent-du-Pont, le 1er novembre 1970, au cours duquel 146 personnes trouvèrent la mort, sont souvent présentées comme le point de départ de cette évolution : le 14 mars 1974, la Cour de cassation confirmait la condamnation des exploitants de l'établissement, du fournisseur des matériaux de décoration, mais également du maire de la commune, faute pour celui-ci d'avoir veillé aux prescriptions figurant dans le permis de construire et aux règles de sécurité applicables aux établissements recevant du public. Par la suite, plusieurs sinistres, fortement médiatisés, ont frappé l'opinion publique : la chute d'un portique de basket à Saint-Denis en 1991, les incendies des thermes de Barbotan la même année ou de l'hôpital psychiatrique de Bruz en 1993, l'effondrement de la tribune du stade de Furiani en Haute-Corse en 1992, les inondations de Vaison-la-Romaine également en 1992, les noyades de la rivière du Drac en 1995, ou différents accidents survenus lors de sorties scolaires. Dans ces affaires, des maires, des préfets ou leur directeur de cabinet, des proviseurs, des enseignants, ou de simples agents de l'administration, ont été poursuivis et, souvent, condamnés, pour homicide et blessures involontaires.

Bien sûr, des facteurs objectifs fondent ce phénomène.

La décentralisation se traduit par un transfert de responsabilités qui est de nature à favoriser la mise en jeu de la responsabilité des décideurs locaux, notamment en matière d'urbanisme.

La multiplication des normes de sécurité, alors même que, selon la formule consacrée, « nul n'est censé ignorer la loi », va également dans ce sens. Dans le même temps, le rapport du groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, remis à la garde des sceaux le 16 décembre 1999, indique qu'entre 1984 et 1999, près de mille textes législatifs ou réglementaires ont prévu de nouvelles sanctions pénales.

La faculté accrue pour les associations de se constituer partie civile, à l'image des associations agréées de défense de l'environnement dans les cas de pollution, a sans aucun doute participé à cette évolution.

La tentation du recours au juge pénal est d'autant plus forte que les victimes voient dans cette procédure un moyen plus efficace d'obtenir réparation : le procès pénal est gratuit, le recours à un avocat n'est pas obligatoire, la charge de la preuve ne pèse pas sur la victime, la justice est plus rapide qu'au civil, le retentissement médiatique est garanti.

Mais, comme l'indiquait, récemment, la Cour de cassation, la mise en cause croissante des élus et des hauts fonctionnaires de l'administration préfectorale ou territoriale est aussi « la manifestation judiciaire d'un phénomène de société, qui, sous l'impulsion des médias et des associations plus que des citoyens, conduit à refuser la fatalité, l'imprévisibilité, le risque inhérent à toute activité humaine, et à rechercher, à l'occasion d'un accident, d'une catastrophe ou d'un événement dommageable, un responsable à qui sont demandés des comptes ». Seuls le juge et la sanction pénale sont supposés pouvoir apporter les réponses adéquates, et chacun peut voir la signification profonde de cette évolution : « la pénalisation augmente dans notre société au fur et à mesure que la conscience collective diminue », pour reprendre les termes utilisés, le 5 février dernier, par le sociologue François Ewald, à l'occasion des « Entretiens de Saintes ».

Sans doute conviendrait-il de relativiser l'ampleur de ce phénomène. Les statistiques présentées ci-après témoignent de la modestie des poursuites engagées contre des élus locaux pour des faits non intentionnels.

Mise en cause d'élus locaux
pour des infractions non intentionnelles

Décisions au fond prononcées de mai 1995 à avril 1999

48

Dont :

·  Condamnations

dont (certaines condamnations cumulent plusieurs infractions) :

- homicides involontaires 10

- blessures involontaires 2

- infractions au droit de l'environnement 5

·  Classement sans suite

·  Non-lieu ou relaxe

·  Sens de la décision non précisé

14

5

19

10

   

Mis en examen au 1er avril 1999

54

Source : Groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics (1999).

S'agissant des agents de l'éducation nationale, les chiffres ne sont pas négligeables, mais ne sont pas pour autant alarmants. De 1985 à 1996, on relève, dans les établissements d'enseignement public et privé, 25 accidents (dont 16 accidents mortels) ayant donné lieu à des poursuites pénales mettant en cause 45 personnes appartenant à l'éducation nationale (directeurs d'école, instituteurs, proviseurs, professeurs, maîtres auxiliaires, chefs de travaux ou intendants). 16 d'entre elles ont été condamnées à des peines de prison, toujours assorties du sursis.

Pourtant, les agents de l'éducation nationale sont sans doute exposés au quotidien à des risques plus nombreux que la plupart des agents publics. Les fonctionnaires relevant du ministère de l'intérieur sont également souvent cités, pour d'autres raisons : or, comme en témoigne le tableau présenté ci-après, le bilan des poursuites engagées à leur encontre est très faible.

Bilan des poursuites engagées contre des fonctionnaires
relevant du ministère de l'intérieur (hors police nationale)

Corps ou groupes
concernés

Nombre de mis en cause concernés

Décisions
de désistement,
d'irrecevabilité
ou de nullité

Décisions
de
non-lieu

Décisions
de relaxe

Décisions de
condamnation

MEE
(1)

CD
(2)

Total

MEE
(1)

CD
(2)

Total

MEE
(1)

MEE
(1)

CD
(2)

Total

MEE
(1)

CD
(2)

Total

Préfets

7

14

21

-

5

5

4

3

9

12

-

-

-

Sous-préfets

4

4

8

-

2

2

3

-

2

2

1

-

1

Cadre national des préfectures

12

5

17

1

1

2

9

2

4

6

-

-

-

Administration
centrale

1

1

2

-

1

1

-

-

-

-

1

-

1

Total

24

24

48

1

9

10

16

5

15

20

2

-

2

(1) MEE : mise en examen.

(2) CD : citation directe.

Source : Groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics (1999).

Le décalage est donc évident entre, d'un côté, la réalité, modeste, de la mise en jeu de la responsabilité des élus locaux et des agents de l'Etat, et, de l'autre, sa perception. Mais chaque « injustice » est un cas de trop et, en tout état de cause, le sentiment de malaise est bien réel et ne peut être ignoré. Les maires, en particulier, ont le sentiment d'être rendus responsables de tout, de servir de « boucs émissaires » avant d'être livrés sans ménagement à la « loi du pilori » médiatique : le risque d'un découragement des élus locaux est bien réel, qui peut déboucher, à terme, sur un déficit de candidatures, une professionnalisation de la fonction et une paralysie de la gestion locale. Plus largement, c'est l'esprit d'initiative qui est menacé dans notre pays. Il appartient au législateur de répondre à cette inquiétude : les réformes mises en oeuvre, dans ce but, depuis quelques années, n'y sont pas parvenues.

2. La quête d'un nouvel équilibre

La question de la redéfinition des délits non intentionnels est posée depuis le milieu des années 1990.

Il convient de revenir, tout d'abord, sur la possibilité, introduite à l'occasion de l'entrée en vigueur du nouveau code pénal en 1994, d'engager la responsabilité pénale des personnes morales, en application de l'article 121-2 du code pénal, sous réserve qu'elle soit prévue par un texte et qu'une infraction ait été commise par leurs organes ou leurs représentants. En effet, il ressort très clairement des débats parlementaires que cette innovation devait permettre, dans l'esprit de ceux qui la votèrent, de limiter la responsabilité des personnes physiques, bien que le troisième alinéa de cet article 121-2 dispose que « la responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ».

Analysant les cent premières condamnations prononcées à l'encontre de personnes morales (entre novembre 1994 et octobre 1997), le ministère de la Justice concluait, dans une circulaire du 26 janvier 1998, que « l'un des objectifs recherché par le législateur en instituant la responsabilité des personnes morales a été atteint. En effet, si dans 38 procédures une personne physique a été condamnée en même temps que la personne morale, (...) dans les 62 autres procédures, seule la personne morale a été condamnée. La responsabilité pénale des personnes morales (...) est donc de nature, comme le souhaitait le législateur, à diminuer les cas de mise en jeu de la responsabilité des dirigeants des personnes morales ».

Ce constat mérite, sans doute, d'être nuancé, notamment en ce qui concerne les collectivités territoriales, dont la responsabilité pénale n'a été, jusqu'à présent, que très rarement recherchée : l'immense majorité des personnes morales condamnées sont de droit privé, en particulier, pour des délits de travail clandestin, de blessures involontaires ou de facturation irrégulière.

Bien sûr, ce faible nombre fait qu'il est encore possible de s'interroger sur la portée effective de l'article 121-2 du code pénal pour les collectivités locales et leurs groupements. En ce qui les concerne, il convient de rappeler que leur responsabilité ne peut être engagée que pour certaines activités : celles qui peuvent être assurées en régie ou par une autre personne de droit public ou privé sur le fondement d'une délégation de service public (services de transport en commun, de ramassage des ordures ménagères, de distribution d'eau ou de cantine scolaire, etc.). Sont exclues, en revanche, les activités réalisées au nom et pour le compte de l'Etat (élections, état civil, recensement militaire, etc.), ainsi que celles qui impliquent la mise en _uvre de prérogatives de puissance publique (activités de police municipale, mesures réglementaires, etc.).

De ce point de vue, la condamnation de la ville de Grenoble, confirmée par la cour d'appel le 12 juin 1998, à une amende de 500 000 F, dans « l'affaire du Drac », fait apparaître une interprétation large tant de l'étendue de cette responsabilité pénale (une activité de simple accompagnement scolaire ne relève pas d'une prérogative de puissance publique : elle est susceptible d'être déléguée et les infractions liées à ses dysfonctionnements sont de nature à engager la responsabilité de la commune) que de l'identité des personnes dont les actes sont susceptibles de l'engager (la responsabilité pénale de la collectivité locale peut être retenue alors même que celle de ses organes ou représentants n'a pas été sanctionnée ; de surcroît, l'infraction peut avoir été commise par un simple employé). La Cour de cassation sera amenée, prochainement, à se prononcer sur cette interprétation.

Par la suite, comme on l'a vu, le législateur a souhaité, avec la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence, que le juge apprécie les faits dans leur contexte, in concreto, en examinant si l'auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Or, la portée de ces nouvelles dispositions semble également très relative.

De toute évidence, les tribunaux sont réticents à suivre la démarche voulue par le législateur, ce qui est particulièrement choquant sur le plan des principes. Les interrogations du tribunal correctionnel de Toulouse, dans son arrêt du 19 février 1997 rendu à propos de l'affaire de Barbotan, sont très significatives : « Le tribunal considère cependant que l'exigence d'une analyse plus approfondie des situations, l'examen de la nature des missions, des fonctions et des pouvoirs de compétences de chacun des prévenus ne sauraient conduire la juridiction ni sur le chemin de la définition des fonctions ni sur celui de l'analyse psychologique des personnes mises en cause. Le tribunal estime en effet qu'il outrepasserait sa compétence et qu'il y aurait danger à ce que, sur la base de ce texte, il s'érige en définisseur des fonctions ou missions d'un élu ou d'un représentant de l'Etat. L'analyse des missions au sens de l'article précité devra donc reposer tant sur des constats que sur des définitions théoriques ».

Il semble, cependant, que cette méthode d'appréciation concrète a conduit à des relaxes. La décision du tribunal de grande instance de Nîmes en date du 22 mai 1997, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de cette ville en date du 11 mars 1999, est souvent citée : un maire mis en examen à la suite d'un accident mortel à l'occasion d'une manifestation taurine fut finalement relaxé. De même, le tribunal correctionnel d'Agen a relaxé, le 4 juin 1998, un chef d'équipe de la direction départementale du Gers poursuivi après le décès d'un automobiliste provoqué par la chute d'un arbre. On pourrait également citer, dans le même sens, l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 1999 sur l'affaire de l'incendie des thermes de Barbotan.

Cela étant, il n'est pas certain que ces décisions de justice auraient été différentes avant le vote de la loi du 13 mai 1996. Il apparaît, en effet, que ce texte a surtout eu pour effet d'inciter le juge répressif à motiver davantage ses décisions. De plus, on observe que, fréquemment, les tribunaux se réfèrent exclusivement aux dispositions générales de l'article 121-3 du code pénal : la Cour de cassation prend soin, pour sa part, de citer, le cas échéant, les textes spécialement applicables aux élus et aux fonctionnaires, mais la référence semble formelle, leur portée propre n'est pas recherchée, et elle ne paraît pas en tirer de conséquences particulières. En tout état de cause, les résultats obtenus sont décevants.

C'est la raison pour laquelle depuis des mois, nombreux sont ceux qui souhaitent que le législateur se penche de nouveau sur la définition des délits non intentionnels. Dès le 28 avril 1999, la garde des sceaux convenait, au Sénat, que la réflexion était d'actualité : « Nous devons sans tarder engager une mise à plat de l'ensemble des problèmes posés pour dresser un état des lieux complet et objectif et formuler des propositions concrètes (...). Ce travail pourrait être utilement mené par un groupe d'étude restreint composé d'élus, de magistrats, d'universitaires (...). J'envisage de mettre en place rapidement un tel groupe de travail sur la responsabilité de l'ensemble des décideurs publics ». Le 21 juin 1999, le « groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics », présidé par M. Jean Massot, président de section au Conseil d'Etat, était mis en place. A l'occasion du congrès de l'association des maires de France (AMF), le 24 novembre 1999, le Premier ministre retenait l'idée d'« une réflexion approfondie sur la notion même de faute involontaire », dans le sens de l'exigence d'une faute lourde en cas de lien indirect. Il confirmait, à cette occasion, que les mesures nécessaires seraient prises rapidement, pour être effectives avant les prochaines élections municipales.

Ces engagements ont été respectés.

Le 16 décembre 1999, le groupe d'étude précité a remis ses conclusions à la garde des sceaux. Le « rapport Massot » propose, en premier lieu, de réduire le champ des délits non intentionnels :

- en introduisant, dans la définition des infractions d'homicide et de blessures involontaires, la notion de lien direct : l'auteur indirect d'un dommage ne serait responsable pénalement que si son comportement révèle « une action ou une omission constitutives d'une faute grave » , ce qui équivaut à revenir tant sur la théorie de l'équivalence des conditions que sur celle de l'unicité des fautes civile et pénale d'imprudence ;

- en harmonisant les rédactions du code pénal et du code général des collectivités territoriales dans un sens tendant à faire peser sur l'accusation la charge de démontrer que la personne poursuivie n'a pas accomplie les diligences normales (compte tenu de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elle disposait) et en revenant à une conception plus restrictive de la notion de « règlement ».

Il propose, en second lieu, d'étendre, de façon limitée et malgré bien des réserves, la responsabilité pénale des collectivités locales à l'ensemble de leurs activités lorsqu'a été commis un manquement non délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement et de supprimer l'exclusion de l'Etat du champ de la responsabilité pénale, par souci d'égalité entre agents publics.

Les autres propositions, regroupées dans les chapitres III à VIII, tendent à enrayer la création de nouvelles infractions pénales, à ramener les manquements les moins graves au code des marchés publics au niveau de la contravention, à limiter les recours abusifs au juge pénal, à rendre la mise en examen moins systématique et moins traumatisante, à favoriser les modes de règlement des conflits autres que pénaux et à mieux armer juridiquement les décideurs publics.

C'est donc dans ce contexte que M. Pierre Fauchon a déposé, le 7 octobre 1999, une proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.

B. LA PROPOSITION DE LOI : DE L'AUDACE A L'EXCÈS

1. Une définition trop restrictive et insuffisamment précise de la faute non intentionnelle ; un accroissement inopportun de la responsabilité pénale des collectivités territoriales

La proposition de loi présentée par M. Pierre Fauchon comportait, initialement, trois articles. Il s'agissait, tout d'abord, d'exiger la preuve d'une « violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence » pour qu'une personne ayant commis une faute sans « lien direct » avec le dommage puisse être accusée d'atteinte involontaire à la vie (article 1er), d'une part, ou à l'intégrité physique des personnes (article 2), d'autre part. Corrélativement, il était proposé d'accroître le champ de la responsabilité pénale des personnes morales (article 3).

D'emblée, ce texte reposait sur un certain nombre de postulats qui ont été salués à juste titre.

En premier lieu, il n'est question, bien sûr, que des délits non intentionnels. Si le nombre de condamnations d'élus est également en forte progression en matière de délits intentionnels (douze condamnations à ce titre en 1988, 114 en 1997), cette évolution traduit une exigence indispensable de moralisation de la vie publique et la problématique est donc totalement différente.

En second lieu, le fait d'exiger la preuve, pour les délits non intentionnels, qu'une faute aggravée a été commise, en cas de lien indirect avec le dommage, est effectivement la bonne manière d'aborder le problème.

En troisième lieu, cette nouvelle approche concerne tous les justiciables. Sans doute la situation des élus, voire de l'ensemble des décideurs publics comporte-t-elle un certain nombre de spécificités, compte tenu de la nature et de l'ampleur de leurs missions. Mais la loi doit rester la même pour tous. Toute autre solution serait contraire, comme on l'a vu, à l'évolution générale de notre droit, et serait perçue comme un retour en arrière, notamment au régime qui prévalait, entre 1790 et 1870, sur le fondement de l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, lorsque les agents publics ne pouvaient pas faire l'objet d'une poursuite devant le juge pénal sans une autorisation du Conseil d'Etat. Elle serait sans doute également contraire à la Constitution puisque la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dont l'article VI prévoit que la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse », est incluse dans le bloc de constitutionnalité.

Enfin, il ne s'agit en aucun cas de priver les victimes de leur droit légitime à la réparation des dommages qu'elles ont subies : le souhait du législateur est de réorienter leurs demandes vers la justice civile, qui est compétente pour accorder des dommages et intérêts quand une faute a bien été commise mais qu'elle est à la fois involontaire, indirecte et légère. Au demeurant, la définition des délits non intentionnels n'est pas modifiée pour les personnes morales dont la responsabilité pénale continuera à pouvoir être engagée dans les mêmes conditions qu'auparavant.

Le Sénat a examiné, et adopté, cette proposition de loi, dans sa séance du jeudi 27 janvier 2000. A cette occasion, il a approuvé l'orientation du texte qui lui était soumis, mais a modifié son architecture générale, comme le souhaitait M. Pierre Fauchon lui-même et conformément aux recommandations de sa Commission des lois. Il a également retenu un certain nombre de dispositions complémentaires :

- le Sénat a souhaité, en premier lieu, que l'évolution proposée s'applique à l'ensemble des délits non intentionnels, et non seulement aux atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité physique des personnes : tel est l'objet de l'article 1er du texte transmis à l'Assemblée nationale, qui reprend la proposition précitée de M. Pierre Fauchon mais en modifiant l'article 121-3 du code pénal, c'est-à-dire la définition générale des délits ;

- les articles 2, 3, 3 bis, 3 ter, 4 et 5 tendent à décliner cette nouvelle caractérisation de la faute pour différents délits non intentionnels : les atteintes involontaires à la vie et à l'intégrité des personnes, les pollutions de l'eau, les épizooties, les blessures légères et certains dommages matériels ;

- l'article 6 modifie le champ de la responsabilité pénale des collectivités locales, en l'étendant à des activités qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une délégation de service public, en cas de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence ;

- l'article 7 propose de modifier les règles prévues à l'article 706-43 du code de procédure pénale en cas de poursuites concomitantes à l'encontre d'une personne morale et de son représentant légal : la désignation d'un mandataire de justice pour représenter la personne morale deviendrait facultative et l'initiative en reviendrait à ce représentant légal ;

- l'article 7 bis supprime l'obligation de mise en concurrence pour les marchés publics conclus en urgence et valide ceux qui ont été passés dans de telles conditions à l'occasion de la tempête de la fin 1999 ;

- les articles 7 ter à 7 quinquies offrent la possibilité aux communes, aux département et aux régions de prendre en charge la défense de leurs élus lorsqu'ils sont poursuivis sur le plan pénal pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable ;

- l'article 8 précise que la loi s'applique en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie, à Wallis-et-Futuna et à Mayotte.

Ces propositions sont audacieuses. Elles sont parfois excessives. En particulier, il est souhaitable d'être plus précis en ce qui concerne la nouvelle définition des délits non intentionnels. La notion de « lien indirect » entre la faute et le dommage est sujette à interprétation. Par ailleurs, certaines fautes, qui résultent d'une violation condamnable, mais pas nécessairement « délibérée », d'une obligation particulière de sécurité, doivent pouvoir faire l'objet de poursuites pénales. Par ailleurs, l'extension proposée de la responsabilité pénale des collectivités territoriales n'est pas opportune. Quant aux dispositions afférentes aux marchés publics, elles n'ont pas leur place dans le cadre de cette proposition de loi : on rappellera, néanmoins, que le groupe d'étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics a proposé de ramener au niveau de la contravention les manquements les moins graves au code des marchés publics ; c'est un sujet sur lequel la réflexion doit certainement se poursuivre.

Sans doute, ce texte ne constitue ni un début, ni une fin.

Il va de soi, tout d'abord, que la voie civile doit encore être améliorée, afin qu'elle devienne un moyen efficace d'obtenir réparation pour des dommages causés involontairement sans intention de nuire. Il conviendrait que les victimes sachent que les juges civil et administratif sont à même de les indemniser rapidement et de façon complète, ce qui pourrait les dissuader de faire appel systématiquement au juge pénal. De ce point de vue, le projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives, adopté, en deuxième lecture, par le Sénat, le 22 février 2000, témoigne de la volonté du Gouvernement d'apporter des réponses précises à cette nécessité d'améliorer l'efficacité de la justice administrative en la rendant à la fois plus rapide et plus coercitive. Indirectement, il participe d'une démarche tendant à développer les modes de règlement des dommages causés autrement que par la voie pénale.

Le projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, adopté, en deuxième lecture, par l'Assemblée nationale, le 10 février 2000, contient également de nombreuses dispositions qui ne sont pas sans lien avec le problème de la pénalisation de notre vie publique : amende civile en cas de constitution de partie civile ou de citation directe abusives, indemnisation des détentions provisoires et des frais engagés par les personnes qui obtiennent un non-lieu, une relaxe ou un acquittement, renforcement du droit à être jugé dans un délai raisonnable, etc... L'élargissement du statut de « témoin assisté », conjugué avec l'exigence d'indices « précis, graves ou concordants » pour la mise en examen, produira également tous ses effets en matière de délits non intentionnels.

Il conviendrait, comme le souhaite l'association des maires de France, de poursuivre dans la voie de la codification, processus que le Gouvernement a d'ores et déjà relancé. Cette démarche, qui est de nature à assurer les conditions d'une plus grande sécurité juridique, doit porter non seulement sur la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, dont la publication devrait intervenir prochainement, mais aussi sur les codes sectoriels qui intéressent les compétences locales.

Il paraît indispensable, également, de renforcer les moyens juridiques des collectivités locales, notamment les plus petites d'entre elles. De ce point de vue, la garde des sceaux évoquait, récemment, des orientations tout à fait opportunes, notamment « la possibilité pour les élus de consulter des pôles juridiques de conseil auprès des services de l'Etat, en amont des décisions », ou « la création de structures juridiques de conseils » dans le cadre de l'intercommunalité : de manière générale, la mutualisation des moyens est certainement une orientation à privilégier dans ce domaine .

Enfin, on soulignera l'intérêt qui s'attache à ce que les magistrats disposent d'une formation appropriée - théorique et pratique (stages) - sur le fonctionnement interne des collectivités locales.

Mais, sous réserve des modifications proposées par la Commission, et présentées ci-après, ce texte devrait permettre de progresser encore dans la voie d'un recours plus « raisonnable » à la justice répressive. Son orientation est pertinente et respectueuse de l'évolution historique de notre droit pénal. Il appartiendra aux juges de respecter la lettre et l'esprit de la réforme voulue par le législateur.

2. Les propositions de la Commission

La Commission a approuvé l'esprit général de la proposition de loi tendant à préciser la définition des délits non intentionnels présentée par M. Pierre Fauchon et adoptée par le Sénat le 27 janvier dernier, tout en lui apportant, à l'initiative du Rapporteur, un certain nombre de correctifs, qui sont présentés ci-après.

En ce qui concerne la nouvelle définition générale des délits non intentionnels (article 1er), la Commission a conservé les deux apports essentiels, proposés par le Sénat, que sont la distinction entre la faute directe et indirecte, d'une part, et l'exigence d'une faute caractérisée dans cette seconde hypothèse, d'autre part. Toutefois, elle a souhaité préciser la portée de ce dispositif. En premier lieu, l'exigence d'une faute caractérisée pour que la responsabilité pénale d'une personne physique puisse être engagée prévaudrait en cas de lien soit « indirect », soit « médiat », par rapport au dommage : le sens exact de ces deux notions serait précisé dans la loi elle-même. Pour ce qui est de la définition de cette faute caractérisée, la Commission a considéré que la notion de « violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence » était à la fois trop vague et trop restrictive. Elle propose que ne soient visées que les obligations « prévues par la loi ou le règlement », mais que la responsabilité pénale de la personne physique puisse également être engagée en cas de « faute d'une exceptionnelle gravité exposant autrui à un danger qu'elle ne pouvait ignorer ». Cette nouvelle définition s'appliquant à l'ensemble des délits non intentionnels, la Commission a estimé qu'il n'était pas fondé de décliner ces dispositions, de surcroît de façon non exhaustive, au niveau des différents délits non intentionnels, en particulier pour des délits matériels qui sont infiniment moins graves et moins poursuivis que l'homicide ou les blessures involontaires : elle a donc supprimé les articles 3 bis et 3 ter modifiant le code rural. En revanche, elle a jugé utile d'établir clairement, dans un article additionnel, qu'en toute hypothèse, les victimes d'un dommage ont toujours la possibilité d'obtenir réparation devant les juridictions civiles.

S'agissant des personnes morales, la Commission n'a pas souhaité suivre la démarche engagée par le Sénat, tendant à étendre la responsabilité pénale des collectivités locales, en cas de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence, à des activités qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'une convention de délégation de service public (article 6). Elle a considéré que cette mesure n'aurait qu'une incidence très relative pour les personnes physiques, dont la responsabilité continuera à pouvoir être engagée en même temps que celle de la personne morale. Par ailleurs, elle a observé qu'une telle disposition pourrait contribuer à accroître la pénalisation de notre vie publique et à porter atteinte à la nécessaire séparation des autorités administratives et judiciaires, ce qui irait à l'encontre des objectifs recherchés par le législateur.

La Commission a également souhaité, comme le propose le Sénat, que les collectivités locales puissent prendre en charge la défense de leurs élus lorsqu'ils sont poursuivis sur le plan pénal pour des faits qui n'ont pas le caractère de faute détachable, sous réserve qu'il s'agisse d'une obligation et non d'une faculté (articles 7 ter à 7 quinquies).

En revanche, elle a supprimé les dispositions adoptées par le Sénat relatives aux marchés publics, en considérant que les textes actuels permettaient déjà de répondre aux situations d'urgence provoquées par les intempéries de la fin de l'année 1999 (article 7 bis).

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Plusieurs commissaires sont intervenus dans la discussion générale.

Tout en rappelant que cette proposition de loi n'était pas uniquement destinée aux élus, même si ces derniers ont été à l'origine de la réflexion engagée, M. Jean-Antoine Léonetti a fait valoir que le texte proposé permettrait de répondre à certains cas récents, hautement symboliques, dans lesquels la mise en cause de décideurs publics a eu des conséquences indirectes sur le fonctionnement des institutions républicaines. Après avoir souligné que la loi du 13 mai 1996 relative à la responsabilité pénale pour des faits d'imprudence ou de négligence n'avait pas produit les effets escomptés, il a jugé indispensable que le dispositif adopté, malgré son caractère général, atteigne les objectifs qui lui ont été fixés. Il a estimé que la distinction entre la faute directe et la faute indirecte n'était pas forcément la plus adaptée, l'important étant de déterminer la cause exclusive ou prépondérante du dommage. Il a considéré qu'il était également nécessaire de distinguer la gravité de la faute de ses effets, observant qu'une définition imprécise risquait de conduire le juge à faire cette confusion et à qualifier de faute grave une faute minime dont seules les conséquences sont graves. Il a estimé souhaitable que les justiciables se dirigent en priorité vers les juridictions civiles, tout en reconnaissant que la saisine de ces juridictions avait un impact moins fort en termes médiatiques que le choix de la voie pénale. Il a proposé, en conclusion, que la définition de l'infraction non intentionnelle se limite à la violation délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité, ajoutant qu'il était nécessaire de proposer un texte aussi précis que possible, qui laisse une marge d'interprétation réduite au juge.

M. Philippe Houillon a rappelé à titre liminaire que la proposition de loi, en visant l'ensemble des infractions non intentionnelles, et non pas uniquement celles commises par les décideurs publics, contribuait à réduire la pénalisation excessive de notre droit. Après avoir souligné que les parlementaires n'étaient pas informés des suites susceptibles d'être données au rapport de M. Jean Massot, il a considéré que les projets de loi relatifs à la présomption d'innocence et au référé administratif ne permettraient pas de résoudre l'ensemble des problèmes soulevés. Estimant que l'un des écueils à éviter était de laisser une place trop importante à la jurisprudence, il a affirmé que le législateur devait être précis dans sa nouvelle définition de l'infraction non intentionnelle. Il a jugé souhaitable de ne pas étendre la responsabilité pénale des personnes morales, faisant valoir qu'une telle extension irait à l'encontre du principe de dépénalisation de la vie publique et ne permettrait pas d'atteindre l'objectif principal, qui est d'éviter que les élus locaux ne soient en première ligne, puisque les collectivités territoriales seraient, dans la plupart des cas, représentées dans la procédure par ces élus locaux. Il a, enfin, rappelé que le recours à la voie pénale, outre la satisfaction morale qu'elle procure, permet aux victimes de disposer de moyens d'investigation importants dont elles n'ont pas à supporter le coût, contrairement à ce qui se passe en matière civile.

Appuyant les propos de MM. Jean-Antoine Léonetti et Philippe Houillon sur le caractère général du dispositif proposé, M. Gérard Gouzes a insisté sur la nécessité de distinguer la faute civile de la faute pénale en revenant sur une jurisprudence de la Cour de cassation datant de 1912, cette distinction ne devant pas toutefois conduire à remettre en cause la législation actuelle en matière de sécurité routière ou d'accidents du travail. Après avoir observé que la mise en examen d'un élu était, dans la plupart des cas, assimilée dans l'opinion publique à une condamnation, il a considéré qu'il ne fallait laisser aucune marge d'interprétation au juge et donc adopter une définition aussi précise que possible.

Evoquant un document publié par l'association française des magistrats instructeurs sur le projet de loi relatif à la protection de la présomption d'innocence, M. Jacques Floch s'est élevé contre les juges qui, au lieu d'appliquer la loi votée par la représentation nationale, la critiquent, ajoutant que cette prise de position justifiait que le législateur soit aussi précis que possible dans la définition de l'infraction non intentionnelle.