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N° 177 SENAT

SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000

Annexe au procès-verbal de la séance du 20 janvier 2000

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Pierre FAUCHON, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels,

Par M. Pierre FAUCHON,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché, président ; René-Georges Laurin, Mme Dinah Derycke, MM. Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Georges Othily, Michel Duffour, vice-présidents ; Patrice Gélard, Jean-Pierre Schosteck, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest, secrétaires ; Nicolas About, Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, José Balarello, Jean-Pierre Bel, Christian Bonnet, Robert Bret, Guy-Pierre Cabanel, Charles Ceccaldi-Raynaud, Marcel Charmant, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Gérard Deriot, Gaston Flosse, Yves Fréville, René Garrec, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Jean-François Humbert, Pierre Jarlier, Lucien Lanier, Simon Loueckhote, François Marc, Bernard Murat, Jacques Peyrat, Jean-Claude Peyronnet, Henri de Richemont, Simon Sutour, Alex Türk, Maurice Ulrich.

Voir le numéro : Sénat : 9 rect. (1999-2000). Procédure pénale.

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION

Après avoir entendu, le 19 janvier 2000, Mme Geneviève Viney, professeur à l’Université de Paris I, M. Jean Pradel, professeur à l’Université de Poitiers, M. Jean Massot, président de la section des finances au Conseil d’Etat et président du groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, M. Jean-Paul Gauzes, maire de Sainte-Agathe d’Arlemont et responsable d’un groupe de travail sur la responsabilité des maires au sein de l’Association des maires de France, M. Serge Petit, conseiller référendaire à la Cour de cassation, Maître Jean-René Farthouat, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats à la Cour d’appel de Paris, MM. Jean-Jacques Mengelle-Touya et Jacques Bresson, président et délégué général de la Fédération nationale des victimes d’accidents collectifs (FENVAC), la commission des Lois, réunie le jeudi 20 janvier 2000, sous la présidence de M. Jacques Larché, président, a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, sa proposition de loi n° 9 rectifié (1999-2000) tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Le rapporteur a tout d’abord noté qu’intervenaient aujourd’hui des condamnations ou des poursuites pour des infractions non intentionnelles alors qu’il apparaissait clairement que les personnes mises en cause n’étaient guère en situation d’empêcher la survenance d’un accident. Il a estimé qu’une telle évolution posait la question du rôle du droit pénal dans une société moderne et a rappelé qu’en principe il n’y avait pas de crime ou de délit sans intention de le commettre (article 121-3 du code pénal). Il a noté que la responsabilité civile avait pour objectif la réparation des dommages causés et que la responsabilité pénale tendait à protéger les valeurs ou les intérêts de la société. Il a estimé que la confusion des fautes civile et pénale avait conduit à de graves conséquences, le juge pénal s’ingéniant à détecter une faute pénale pour permettre à la victime d’obtenir une réparation civile. Le rapporteur a estimé nécessaire d’opérer une distinction plus claire entre faute civile et faute pénale. Il a fait valoir qu’il serait logique que la responsabilité pénale ne puisse être engagée pour imprudence ou négligence qu’en cas d’imprévoyance consciente. Il a toutefois remarqué que le nombre de morts et de blessés dans les accidents de la circulation imposait de conserver la menace d’une répression forte dans ce domaine. Il a alors indiqué que sa proposition de loi tendait à mieux encadrer les délits d’homicide involontaire et de blessures involontaires en prévoyant que la responsabilité pénale peut être engagée pour la moindre imprudence lorsque le lien entre la faute et le dommage est direct, mais seulement en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence lorsque le lien entre la faute et le dommage n’est qu’indirect. Le rapporteur a enfin souligné que le dispositif qu’il proposait avait pour objectif essentiel de concilier l’exigence de justice formulée par les victimes et la nécessité de mettre un terme à des poursuites injustifiées contre des personnes n’ayant consciemment violé aucune obligation. Sur proposition du rapporteur, la commission a décidé de modifier le dispositif de la proposition de loi. Elle a décidé :

- d’inscrire la modification proposée dans l’article 121-3 du code pénal relatif à la définition des délits, afin que l’évolution législative s’applique à l’ensemble des délits non intentionnels et non seulement à l’homicide involontaire et aux blessures involontaires ;

- de maintenir dans tous les cas, même lorsque le lien est indirect et que la faute n’est pas une violation manifestement délibérée d’une obligation, la possibilité de mettre en cause une personne morale, certains accidents résultant à l’évidence d’un défaut d’organisation d’une entreprise, d’une collectivité ou d’une association :

- au surplus d’étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements, en tant que personnes morales, à l’ensemble de leurs activités dans les seuls cas où l’infraction consiste en un manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence.

« La société doit se défendre contre tous les faits qui lui causent un dommage, c’est-à-dire menacent l’ordre sur lequel elle est établie. Pour empêcher l’auteur d’un pareil acte d’en commettre un nouveau et pour éviter que d’autres soient tentés de l’imiter, elle le punit, elle le frappe. Seulement, du moment qu’il est question de peine, partant de souffrance, on comprend que la société ne demande compte de leurs actions qu’à ceux qui ont agi méchamment, que, par suite, il faille, pour déclarer quelqu’un responsable pénalement, analyser son état d’âme. Par là, la responsabilité pénale se rapproche de la responsabilité morale. »

H et L Mazeaud, « Traité théorique et pratique de la responsabilité civile »

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Au cours des dernières années, un nombre important de décideurs publics, et singulièrement de maires, ont été mis en cause ou condamnés pour des faits non intentionnels. Les maires sont souvent totalement désemparés face à des poursuites qui concernent des fautes dont le lien avec le dommage apparaît extrêmement ténu. Ils ont le sentiment légitime d’être responsables de tout ce qui arrive sur le territoire de leur commune, même lorsqu’ils n’ont pas les moyens d’assumer une telle responsabilité. Quelques exemples de condamnations méritent d’être cités, afin de bien comprendre le désarroi des élus mis en cause :

- l’ancien maire d’Ouessant a été récemment condamné, à la suite de la chute mortelle d’un enfant, d’une falaise, au cours d’une excursion à vélo en 1995, pour ne pas avoir signalé le danger par un panneau ;

- un maire a été condamné à la suite du décès d’un usager de la voie communale par électrocution due à la défectuosité d’un lampadaire ;

- un maire a été condamné à la suite du décès d’un enfant dû au basculement d’une cage mobile de football.

Un maire ne peut pas savoir en temps réel tout ce qui se passe sur le territoire dont il est l’élu et les personnes mises en cause, qui assurent leurs fonctions, le plus souvent bénévolement avec pour seul objectif de servir les intérêts de la collectivité, ressentent comme une injustice profonde les poursuites dont ils sont l’objet pour des faits à propos desquels ils estiment ne pas avoir démérité.

Le Sénat a attiré l’attention sur cette question depuis longtemps déjà.

En 1995, la commission des Lois a mis en place en son sein un groupe de travail chargé d’élaborer des propositions relatives à la responsabilité pénale des élus locaux.

Les travaux de ce groupe ont été à l’origine de la loi du 13 mai 1996, qui a imposé au juge d’apprécier les infractions non intentionnelles de manière concrète en tenant compte des moyens et des compétences dont disposait l’auteur de la faute. Au cours des derniers mois, cette question a pris une ampleur nouvelle face à l’insécurité juridique croissante que connaissent les élus locaux dans l’exercice de leurs fonctions. La présente proposition de loi, qui concerne tous les citoyens et non seulement les élus locaux, a été déposée dès le 7 octobre 1999. Le Président du Sénat, M. Christian Poncelet, a soutenu cette initiative et s’est prononcé à plusieurs reprises, en particulier lors des états généraux des élus locaux tenus à Lille en septembre 1999, en faveur d’une évolution de la responsabilité pour des délits non intentionnels afin de mettre fin à des situations injustes. Le Premier ministre a également manifesté son intérêt pour la proposition de loi aujourd’hui soumise à l’examen du Sénat à l’occasion du Congrès de l’Association des maires de France. La mission d’information chargée de dresser le bilan de la décentralisation, constituée au sein du Sénat, vient de formuler le 18 janvier 2000 de nombreuses propositions afin de renforcer la sécurité juridique de l’action publique locale.1 Rapport n°166 (1999-2000).

De son côté, le Gouvernement a mis en place un groupe de travail sur la responsabilité pénale des décideurs publics présidé par M. Jean Massot, qui a rendu ses conclusions en décembre et a formulé de très nombreuses propositions qui concernent le droit pénal, mais aussi la procédure pénale, le droit administratif, la formation des élus...

Le Sénat a donc joué tout son rôle d’assemblée représentative des collectivités territoriales en attirant l’attention sur un problème que les pouvoirs publics ne peuvent plus ignorer et en prenant le premier l’initiative d’une réforme législative.

En pratique, la mise en cause d’élus locaux pour des faits non intentionnels s’inscrit dans un mouvement plus large de pénalisation croissante de la société, dont les causes sont multiples et souvent évoquées. Les victimes et l’opinion publique refusent que certaines catastrophes soient expliquées en termes de fatalité, d’imprévisibilité ou de risques inhérents à toute activité humaine. Elles ont besoin qu’un coupable soit désigné. En outre, la réparation civile n’apporte pas le même apaisement moral que la sanction pénale, la procédure pénale est moins coûteuse et plus facile d’accès pour les justiciables. La question est de savoir si ce mouvement n’a pas pour conséquence ultime la perte par le droit pénal de sa signification profonde, qui est la protection de la société dans son ensemble et non la réparation de tous les dommages causés aux personnes. La situation faite aux élus locaux est en fait le symptôme d’un phénomène plus général qui pose la question de la responsabilité dans nos sociétés modernes.

Dans ces conditions, la proposition de loi soumise à l’examen du Sénat repose sur l’idée qu’il convient de réexaminer la question de la délinquance non intentionnelle dans son ensemble, afin de rechercher une solution qui constitue un progrès pour l’ensemble de la société et non seulement pour une partie de ses membres. Elle tend pour l’essentiel à mieux préciser les contours des infractions d’homicide involontaire et de blessures involontaires. Sans abaisser aucunement le niveau de la protection accordée aux victimes, elle doit permettre de rendre au droit pénal sa mission essentielle de répression des comportements moralement répréhensibles.

I. LA SITUATION ACTUELLE : UNE MISE EN JEU TRÈS AISÉE DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE POUR DES FAITS NON INTENTIONNELS

A. LES RÈGLES GÉNÉRALES DE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE POUR DES FAITS NON INTENTIONNELS

1. Un principe : il n’y a point de délit sans intention de le commettre

Un préalable absolument nécessaire à toute réflexion sur la responsabilité pour des délits non intentionnels est le rappel du fait qu’en principe, aux termes de l’article 121-3 du nouveau code pénal « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ». Ce principe ne figurait pas dans le code d’instruction criminelle de 1810, même s’il avait à l’évidence inspiré ses rédacteurs. Sa justification est assez aisée : les comportements non intentionnels ne révèlent pas un comportement antisocial, un danger grave pour la société, alors même que le droit pénal est fait pour réparer les atteintes aux valeurs essentielles que la société s’est donnée. Les comportements non intentionnels ne relèvent donc pas du même traitement que les fautes intentionnelles.

Le principe selon lequel « il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre » a des conséquences dans la rédaction du code pénal puisque la définition des infractions ne précise plus que le comportement doit avoir été commis « sciemment », « volontairement », « délibérément »... Par principe, toutes les infractions du code pénal sont intentionnelles, sauf précision contraire.

L’affirmation de ce principe a également eu pour conséquence la suppression des délits dits « matériels », délits qui étaient constitués non seulement en l’absence de volonté de les commettre, mais aussi en l’absence de toute imprudence ou négligence : la simple réalisation matérielle des faits incriminés suffisait à caractériser l’infraction. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, les délits non intentionnels ne sont caractérisés que si le juge constate au minimum une imprudence ou une négligence.

Votre rapporteur souhaitait effectuer ce rappel préalable, dans la mesure où il a pu observer, au cours des auditions auxquelles il a procédé, que ce principe général selon lequel les infractions pénales ont un caractère volontaire était souvent oublié tant il est devenu banal que des citoyens soient pénalement poursuivis pour des faits non intentionnels.

2. Une exception : les infractions non intentionnelles

Si les législations répressives s’intéressent depuis longtemps à l’imprudence et à la négligence dommageables, cette question a pris une importance considérable au cours du vingtième siècle sous l’effet, pour l’essentiel, du développement de la circulation routière. L’article 121–3 du code pénal, après avoir énoncé qu’il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre, prévoit cependant une exception. Il prévoit en effet qu’ « il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements (...) ».

On notera qu’il n’existe que des délits non intentionnels et non des crimes (1 Aux termes de l’article 111-1 du code pénal, « les infractions sont classées, suivant leur gravité, en crimes, délits et contraventions ». Seule la nature de la peine permet de déterminer la gravité de l’infraction. Les délits sont punis au maximum de dix ans d’emprisonnement tandis que les crimes sont punis d’au moins quinze ans de réclusion ou de détention criminelle. Les crimes sont jugés par la Cour d’assises, les délits par les tribunaux correctionnels.).

Les deux infractions principales correspondant à cette exception au principe général du caractère volontaire des crimes et délits sont l’homicide involontaire (article 221–6 du code pénal) et les blessures involontaires (article 222–19 du code pénal). L’homicide volontaire est pour sa part qualifié de crime par le code pénal.

Il existe cependant d’autres délits non intentionnels, en particulier le traitement informatique et la divulgation d’informations nominatives (articles 226-16 et 226-22 du code pénal), le défaut de tenue d’un registre des ventes d’objets mobiliers par un professionnel ou par l’organisateur d’une manifestation à but lucratif (article 321-7 du code pénal), la propagation involontaire d’une épizootie (article 331 du code rural), ou la pollution des rivières (article L.232-2 du code rural). Ces dernières incriminations sont cependant infiniment moins poursuivies que l’homicide ou les blessures involontaires. Les infractions d’homicide involontaire et de blessures involontaires sont constituées en cas de « maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements », dès lors que ces faits ont causé la mort d’autrui, ou des blessures impliquant une interruption temporaire de travail. La maladresse visée dans ces articles du code pénal est par exemple celle de l’ouvrier qui laisse tomber involontairement un objet du haut d’un échafaudage et tue ou blesse une personne, celle du chasseur qui, en voulant tirer sur du gibier, atteint un autre chasseur ou un passant. L’imprudence peut être définie comme « la méconnaissance des règles de prudence ayant pour effet la prise de risques dangereux ou le défaut de précautions nécessaires malgré l’éventualité prévisible des conséquences dommageables, compte tenu du comportement normal des hommes »(2 Jurisclasseur pénal).

L’inattention révèle un comportement de légèreté, d’étourderie. Il peut s’agir d’un automobiliste qui, distrait, ne respecte pas un signal d’interdiction ou d’un médecin qui oublie un objet dans le corps d’un patient. La négligence est davantage un comportement d’omission ou d’abstention.

Enfin, le manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement sera tantôt une action positive accomplie sans respecter une règle tantôt une omission d’agir en présence de règles de prudence ou de sécurité qui commandent une action face à une situation.

Au total, il apparaît que la moindre « imprudence » peut être poursuivie pénalement dès lors qu’elle a occasionné un dommage corporel. Les tribunaux interprètent de manière extrêmement large les notions d’imprudence ou de négligence. Une telle interprétation est particulièrement lourde d’effets pour les élus locaux, qui ne sont pas des professionnels, qui ne sont pas responsables d’une activité particulière, mais d’un territoire dont l’étendue peut varier et qui peut comporter une grande variété de particularités naturelles, d’activités, d’infrastructures...

La prudence est incontestablement une vertu, peut-être la plus facile et la moins méritoire des vertus, mais aussi la plus difficile à exercer lorsqu’elle est entendue dans son sens le plus ambitieux. Il est possible de rappeler la définition de la prudence par Thomas d’Aquin, qui comporte les éléments suivants : « la mémoire des expériences acquises, le sens intérieur d’une fin particulière, la docilité à l’égard des sages et des aînés, la prompte attention aux conjonctures, l’investigation rationnelle, progressive, la précaution dans les complexités » (1 Somme théologique, seconde partie)

Il faut seulement craindre qu’à cette aune l’homme prudent n’existe pas ou qu’il soit un paralytique. La situation des décideurs publics, et notamment des élus locaux, de plus en plus souvent mis en cause pour des infractions non intentionnelles, s’explique donc pour partie par la définition très large des fautes constitutives d’infractions non intentionnelles.

3. L’identité de la faute civile et de la faute pénale

Un autre facteur explicatif de la situation actuelle, directement lié au précédent, est l’identité proclamée de la faute civile et de la faute pénale. Rappelons que ces deux fautes sont en réalité de nature différente : la faute civile des articles 1382 et suivants du code civil justifie l’obligation de réparer le dommage causé par elle, tandis que la faute pénale justifie que la société sévisse contre ceux de ses membres dont les fautes, même non intentionnelles portent atteinte aux valeurs qu’elle s’est donnée. Il tombe sous le sens que ces deux fautes ayant des finalités différentes devraient faire l’objet d’appréciations différentes. Autant il paraît équitable de faire en sorte que la moindre imprudence crée une obligation de réparation et constitue donc une faute civile, autant il serait excessif de voir dans la moindre imprudence une atteinte aux valeurs de la société justifiant une répression morale de ce qui devient ainsi un délit.

Cette distinction a été faite tout au long du dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle jusqu’au jour où la Cour de cassation s’est avisée de relever que les définitions de ces deux fautes telles qu’elles figuraient respectivement dans le code civil et dans le code pénal étaient tellement proches qu’il paraissait impossible de les distinguer.

Par un arrêt du 18 décembre 1912 jamais remis en cause depuis lors, la Cour de cassation a estimé que la faute civile de l’article 1383 était identique à la faute pénale des articles 319 et 320 du code pénal (désormais articles 221–6 et 222–19), de telle sorte qu’il n’existe aucune faute susceptible de justifier la relaxe sur le plan pénal et la condamnation à verser des dommages-intérêts sur le plan civil. Cette jurisprudence a des conséquences considérables car elle interdit à la victime, lorsqu’une personne poursuivie pour une infraction d’imprudence ou de négligence est relaxée par le juge répressif, d’obtenir réparation de son préjudice devant une juridiction civile sur le fondement de l’article 1383 du code civil. L’argument textuel - tardivement découvert - ne suffit sans doute pas à expliquer cette identification des deux fautes. Elle semble aussi résulter de la préoccupation dominante d’assurer la protection des victimes dans le contexte d’un système juridique qui privilégiait le domaine pénal sur le domaine civil. Il fallait que la moindre imprudence soit une faute pénale pour éviter que la relaxe pénale n’ait pour conséquence de rendre la réparation du dommage impossible ou plus difficile.

Ainsi, des considérations humanitaires très respectables ont conduit depuis plus d’un siècle à des condamnations pénales, c’est-à-dire morales concernant ce que des auteurs ont quelquefois appelé des « poussières de fautes » (Le nouveau droit pénal - Economica) dont il est difficile de dire qu’elles portent atteinte aux valeurs de la société. Il est permis de considérer que cette situation est contraire à une autre préoccupation humanitaire, celle qui veut qu’un innocent ne soit pas condamné pénalement.

Votre commission n’ignore pas le besoin de condamnation que ressentent les victimes et leur entourage et qu’il serait injuste d’assimiler à un désir de vengeance. Simplement, reprenant les analyses développées par le Professeur Tunc, il lui apparaît que le monde moderne comporte des risques inhérents au progrès technique et qu’il serait artificiel de rechercher systématiquement la responsabilité d’un individu déterminé.

Votre commission n’ignore pas non plus l’importance de la préoccupation de réparation du dommage, mais l’évolution de la loi et de la jurisprudence comme de la pensée juridique ont créé une situation dans laquelle d’une part le débrayage opéré entre la procédure pénale et la procédure civile, d’autre part l’importance déterminante prise par la notion de risque, permettent aux victimes de recevoir soit de la justice civile soit encore de la justice pénale une réparation qui n’a plus besoin de reposer sur le constat d’une faute pénale.

En effet, depuis la loi du 8 juillet 1983, l’article 470–1 (modifié en 1996) du code de procédure pénale permet au tribunal correctionnel lorsqu’il a prononcé la relaxe d’un prévenu poursuivi pour un délit non intentionnel d’accorder lui-même des dommages et intérêts à la victime en application des règles du droit civil. Le juge répressif peut donc liquider les intérêts civils en dépit de la relaxe au pénal.

Il devient ainsi possible de mettre fin à cette confusion des deux fautes justement dénoncée par de nombreux auteurs, spécialistes de droit civil comme de droit pénal.

Les conséquences de l’identité de la faute pénale et de la faute civile

« L’action en responsabilité civile, lorsqu’elle est portée devant un tribunal civil, doit être soumise uniquement aux règles du droit civil et de la procédure civile, sans distinguer selon qu’elle est fondée ou non sur un fait pénalement incriminé . En décider autrement conduit en effet à défavoriser la victime d’un dommage pénal par rapport à celle d’un dommage purement civil, ce qui est inadmissible. En outre, l’hégémonie de l’action publique sur l’action civile porte atteinte à l’autonomie de deux institutions (la responsabilité civile et la répression des infractions) qui, pour avoir des fonctions complémentaires, n’en sont pas moins devenues aujourd’hui tout à fait distinctes dans leurs techniques comme dans leurs objectifs. Enfin, ce système bride la liberté d’appréciation du juge civil et du juge pénal qui s’en trouvent l’un et l’autre gênés dans l’exercice de leur mission propre ». G. Viney, « Introduction à la responsabilité », LGDJ, 2ème édition

« La faute civile apparaît de plus en plus éloignée de la notion de culpabilité au fur et à mesure qu’elle se détache des idées de blâme et de répression. Elle est devenue un procédé technique abstrait destiné à mesurer la non-conformité d’un acte humain à une règle objective de comportement. Elle est appréciée in abstracto : le juge se demande si n’importe quel homme moyennement prudent et diligent aurait agi comme l’auteur du dommage, et en prononçant une condamnation civile, il se borne à constater l’erreur de conduite génératrice de l’obligation de réparation sans rechercher si cette erreur de conduite mérite une réprobation sociale. La faute pénale, au contraire, est par essence intimement liée à ce concept de réprobation sociale. Elle implique nécessairement un jugement de valeur morale sur l’attitude du délinquant ; et ce jugement, inséparable d’une appréciation in concreto, doit tenir compte de la psychologie du prévenu (...). « Or, en pratique, il est indiscutable qu’en raison même du postulat de l’identité des fautes pénale et civile, le juge répressif est conduit à se placer dans la perspective civiliste et à faire abstraction de l’optique spécifiquement pénale. Il sait que son jugement sur l’action publique commandera l’indemnisation de la victime par la juridiction civile, lorsque celle-ci est saisie séparément. Il sait que s’il relaxe le prévenu il privera la victime de tout droit à réparation. Sa décision est donc fâcheusement déterminée par l’aspect civil du problème. C’est extrêmement regrettable, car il peut arriver qu’une faute d’imprudence soit négligeable au regard de l’ordre public sans que pour autant les intérêts civils de la victime doivent être sacrifiés. »

R. Merle, A. Vitu, « Traité de droit criminel », Cujas, 4ème édition

4. Une conception extensive du lien de causalité

Les infractions d’homicide involontaire et de blessures involontaires ne sont naturellement constituées que lorsqu’il existe un lien de causalité entre la faute et le dommage. En matière de causalité, deux grandes théories, présentées et soutenues par des juristes allemands, s’opposent traditionnellement. Selon la théorie dite de l’équivalence des conditions (présentée à l’origine par von Buri), tout événement sans lequel le dommage ne se serait pas produit, toute condition sine qua non du dommage, en est la cause. Cette théorie veut que tous les événements qui ont « conditionné » le dommage soient équivalents. Selon la théorie dite de la causalité adéquate ( présentée à l’origine par von Kries et Rümelin), tous les événements qui concourent à la réalisation du dommage ne constituent pas sa cause. Seuls peuvent être retenus comme causes ceux qui devaient normalement produire le préjudice. La jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’homicide involontaire et de blessures involontaires semble largement inspirée par la théorie de l’équivalence des conditions. De nombreux arrêts de la Cour de cassation précisent que les articles 221–6 et 222–19 du code pénal « n’exigent pas, pour leur application, que cette cause soit exclusive, directe ou immédiate » (1 Cass. Crim. 24 janvier 1989)

La Cour de cassation a également estimé que le fait qu’un accident « n’ait été que la cause indirecte et partielle » d’un décès « ne suffit pas à écarter l’existence d’un préjudice direct dont pourrait se prévaloir les ayants droit de la victime » (2 Cass Crim 14 janvier 1971).

Dans quelques cas cependant, la Cour a paru se rallier à la théorie de la causalité adéquate. Il en est allé notamment ainsi dans une affaire dans laquelle un cyclomotoriste, tombé de son engin à la suite du comportement dangereux d’un automobiliste en état d’ivresse s’est relevé pour se lancer à la poursuite de l’automobiliste en l’invectivant avant de s’effondrer terrassé par une crise cardiaque

La Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel qui avait énoncé que la mort n’avait pas été la suite de l’accident mais la conséquence directe de cette poursuite déraisonnable (1 Cass.Crim 25 avril 1967).

Si le lien de causalité n’a pas à être direct, exclusif ou immédiat pour que les infractions d’homicide involontaire ou de blessures involontaires soient constituées, il doit en revanche être certain. Ainsi, dans l’affaire de l’effondrement d’une tribune du stade de Furiani, la Cour de cassation a approuvé la chambre d’accusation d’avoir écarté la responsabilité du maire de la commune, « l’infraction n’ayant fait apparaître aucun lien de causalité même indirect entre le comportement du maire et l’accident survenu ».(2 Cass. Crim. 2 mars 1994) En pratique, la question de la causalité pose parfois des problèmes complexes. Ainsi, une étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics a mis en lumière que « la distinction entre la question de la certitude du lien de causalité et celle de son caractère direct, intellectuellement très claire, peut donner lieu en pratique à certaines hésitations. Un lien de causalité direct est en effet généralement certain tandis qu’un lien de causalité par trop indirect peut être en réalité tout simplement incertain » (3 Conseil d’Etat, La responsabilité pénale des agents publics en cas d’infraction non intentionnelles- La documentation française , 1996.).

Dans de nombreuses affaires, la Cour de cassation a approuvé des juridictions qui avaient retenu la responsabilité de plusieurs personnes dans un accident, sans rechercher si l’une des causes avait eu plus d’importance que les autres.

En définitive, la définition très générale des infractions d’homicide involontaire et de blessures involontaires, l’affirmation de l’identité de la faute pénale d’imprudence ou de négligence et de la faute civile de l’article 1383 du code civil, la jurisprudence très extensive sur le lien de causalité ont conjugué leurs effets pour que la répression des infractions non intentionnelles soit particulièrement sévère lorsque les conséquences sont graves, alors que ces infractions constituent une exception au principe selon lequel « il n’y a point de délit sans intention de le commettre ».

B. LA SITUATION DES « DÉCIDEURS PUBLICS » : L’OMNIPRÉSENCE DU RISQUE PÉNAL

1. Un alignement sur le droit commun

Alors que pendant longtemps, les fonctionnaires et élus ont été soumis à un régime spécifique en matière de responsabilité pénale, ces particularités se sont progressivement effacées et les élus sont aujourd’hui soumis au régime de droit commun.

La loi des 16 et 24 août 1790 affirmait dans son article 13 que « les fonctions judiciaires sont distinctes et demeurent toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne peuvent, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonctions ».

Par la suite, la Constitution du 22 février an VIII a admis que les agents du gouvernement autres que les ministres puissent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, tout en subordonnant les poursuites à une autorisation donnée par le Conseil d’Etat.

Le système dit de « garantie des fonctionnaires » fut abrogé par le décret du 19 décembre 1870. En matière de responsabilité pénale, les juridictions furent alors conduites à prendre en compte la qualité d’agent public pour apprécier l’existence de l’infraction pénale. L’agent public n’était condamné que dans la mesure où les faits incriminés pouvaient lui être imputés en tant qu’homme et non en sa seule qualité d’agent public agissant pour le service.

Un arrêt Thépaz du tribunal des conflits a remis en cause cette situation en 1935. Le tribunal des conflits a en effet admis qu’une infraction pénale commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions n’était pas nécessairement constitutive d’une faute personnelle et pouvait être considérée comme une faute de service. Cette jurisprudence a permis que des condamnations pénales puissent être prononcées à l’encontre d’agents publics pour des fautes non détachables du service. La responsabilité pénale des agents publics s’en est naturellement trouvée élargie.

A la suite de l’incendie de Saint Laurent du Pont en 1970 et des condamnations prononcées dans cette affaire, la loi du 18 juillet 1974 est venue compléter le code de procédure pénale pour accorder aux maires et à certains fonctionnaires des garanties de procédure. Lorsque ces agents étaient mis en cause pour crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, l’affaire était obligatoirement renvoyée par le procureur de la République devant la chambre criminelle de la Cour de cassation afin que celle-ci désigne une.chambre d’accusation chargée de l’instruction. Ces dispositions permettaient en outre le déplacement du lieu d’exercice territorial de la poursuite. Ces dispositions, abusivement dénommées privilèges de juridiction puisqu’elles étaient destinées à éviter que les mis en cause soient jugés par des magistrats présumés les fréquenter socialement et avoir un préjugé favorable, ont été abrogées par la loi n° 93–2 du 4 janvier 1993, de sorte que les agents publics et notamment les élus sont soumis au régime de droit commun en matière de responsabilité pénale, que les faits soient ou non détachables de la fonction, qu’ils soient ou non intentionnels.

2. La responsabilité pénale des collectivités territoriales

L’une des novations importantes du code pénal entré en vigueur en 1994 est la responsabilité pénale des personnes morales. Aux termes de l’article 121-2 du code pénal, « Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, (...) dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».

En fait, la responsabilité pénale des groupements, et notamment des « communautés, bourgs et villages » avait été admise par une ordonnance royale de 1670, qui prévoyait des peines d’amende et de confiscation et, pour les villes, des sanctions-représailles telles que la démolition des murailles et des enceintes. Cette responsabilité fut supprimée au moment de la Révolution. Pour que la responsabilité des personnes morales puisse aujourd’hui être engagée, trois conditions doivent être réunies : la responsabilité de la personne morale doit être prévue par un texte, dans la mesure où elle ne peut intervenir que « dans les cas prévus par la loi ou le règlement » ; une infraction doit avoir été commise par les organes ou représentants de la personne morale ; enfin, l’infraction doit avoir été commise pour le compte de la personne morale.

En ce qui concerne les collectivités territoriales et leurs groupements, la responsabilité pénale n’est prévue que pour les infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Cette notion est assez récente en droit administratif ; elle a été retenue par la loi du 6 février 1992 sur l’administration territoriale de la République. Elle désigne les activités de service public pouvant être assurées non seulement en régie par la collectivité publique elle-même, mais également par une autre personne de droit public ou de droit privé agissant en vertu d’une délégation. La délégation peut prendre la forme d’une concession, d’une régie intéressée, d’un affermage...Le critère permettant d’isoler les activités ne pouvant faire l’objet de délégation semble être celui de l’exercice de prérogatives de puissance publique. Les tribunaux ont par exemple considéré qu’il étaient en présence d’activités susceptibles d’être déléguées dans les cas suivants : installations d’épuration des eaux usées, fonctionnement du service socio-éducatif d’une commune ayant pour objet d’offrir aux enfants des écoles des activités de découverte de la nature...

L’un des objectifs de l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales était de limiter la responsabilité de certains dirigeants, afin que soit pleinement respecté le principe selon lequel « nul n’est responsable que de son propre fait ». Ainsi, l’exposé des motifs du projet de code pénal présenté par notre excellent collègue M. Robert Badinter, alors garde des sceaux, précisait que grâce à la responsabilité des personnes morales « disparaîtra la présomption de responsabilité pénale qui pèse en fait aujourd’hui sur des dirigeants à propos d’infractions dont ils ignorent parfois l’existence ».

La circulaire d’application du code pénal du 14 mai 1993 précise que « dans certaines hypothèses, et tout particulièrement s’il s’agit d’infractions d’omission, de négligence ou matérielles, qui sont instituées en l’absence soit d’intention délictueuse soit d’un acte matériel de commission, la responsabilité pénale d’une personne morale pourra être engagée alors même que n’aura pas été établie la responsabilité pénale d’une personne physique. En effet, ces infractions auront pu être commises par les organes collectifs de la personne morale sans qu’il soit possible de découvrir le rôle de chacun de leurs membres et d’imputer la responsabilité personnelle de l’infraction à un individu déterminé ». Il est intéressant de s’interroger à propos des conséquences de la responsabilité des personnes morales sur la responsabilité des personnes physiques. Le tableau suivant fourni des indications tirées des cent premières condamnations de personnes morales telles qu’elles ont été recensées dans une circulaire de janvier 1998.

Incidence de la responsabilité pénale des personnes morales sur la responsabilité pénale des personnes physiques

Nature de la personne morale Personnes morales condamnées Personnes physiques poursuivies (1) Personnes physiques condamnées (1)
Droit privé lucratif 92 38 (67) 36 (52)
Droit privé non lucratif 2 2 (3) 2 (3)
Collectivités territoriales 4 2 (3) 0

Etablissements publics

2 1 (1) 0
Total 100 43 (74) 38

(1) Le premier nombre comptabilise les procédures. Le second, entre parenthèses, comptabilise les personnes physiques, plusieurs personnes physiques ayant pu être poursuivies ou condamnées dans une même procédure.

Source : Le nouveau droit pénal, Economica.

Deux conclusions peuvent être tirées de la lecture de ce tableau. D’une part, la recherche de la responsabilité pénale des collectivités territoriales a pu conduire à écarter la responsabilité de personnes physiques, d’autre part cette responsabilité pénale des collectivités territoriales a jusqu'à présent été très rarement recherchée.

3. Une situation préoccupante

Comme le montre le tableau suivant, établi par les services de la Chancellerie sur la base d’informations transmises par les parquets, les mises en cause d’élus pour des infractions non intentionnelles paraissent peu nombreuses.

Mise en cause d’élus locaux pour des infractions non-intentionnelles

Décision au fond prononcées de mai 1995 à avril 1999 : 48

dont :

Condamnations : 14

dont (certaines condamnations cumulent plusieurs infractions)

– homicides involontaires.....................................10

– blessures involontaires........................................2

– Infractions au droit de l’environnement...............5

Classements sans suite : 5

Non-lieu ou relaxe : 19

Sens de la décision non précisé : 10

Mis en examen au 1er avril 1999 : 54

Source : rapport du groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics

L’Observatoire des risques juridiques des collectivités territoriales a recensé pour sa part, sans opérer de distinction entre infractions intentionnelles et infractions non intentionnelles 850 élus et fonctionnaires territoriaux mis en examen en 1999 contre 300 en 1996. 50% des personnes concernées étaient en examen pour diffamation, 16% pour atteinte à l’environnement, 13% pour violation de la législation sur les marchés publics et 10% dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de police. Les procédures liées à la corruption n’occupaient qu’une place marginale (1,5% des mis en examen). Quoi qu’il en soit, ce qui importe en la circonstance n’est pas le nombre d’affaires concernées Certaines mises en examen ou condamnations, peu nombreuses, sont ressenties comme infamantes par les intéressés, qui se voient renvoyés devant le tribunal correctionnel au même titre que les voleurs ou les escrocs. Elles provoquent, pour ceux qui les subissent un traumatisme profond.

A ce sentiment d’injustice pour certains s’ajoute pour tous une préoccupation de sécurité paralysante. N’est-il pas de l’intérêt d’un maire de renoncer à toute installation sportive, à toute aire de jeux sur le territoire de sa commune, dès lors qu’il n’est pas capable d’assurer à tout moment et quelles que soient les conditions d’utilisation qu’un accident ne se produira pas ? N’est-il pas singulier que l’élu local soit traité de la même manière qu’un professionnel alors qu’il n’a suivi aucune formation particulière et n’est souvent pas rémunéré pour le travail qu’il accomplit ?.Voilà plusieurs années que le Sénat se préoccupe de cette situation, constatant que certaines mises en cause sont à l’évidence injustifiées même si elles découlent directement des textes en vigueur et de la jurisprudence.

4. La loi du 13 mai 1996 et ses conséquences

En 1995, la commission des Lois a mis en place, à l’initiative de son président, M. Jacques Larché, un groupe de travail présidé par M. Jean-Paul Delevoye, chargé de réfléchir aux moyens de remédier à cet accroissement de la responsabilité pénale des élus locaux. Ce groupe de travail avait étudié de nombreuses pistes pour améliorer la sécurité juridique de l’action publique locale.

Ses travaux ont largement inspiré la loi du 13 mai 1996 qui a, pour l’essentiel, modifié l’article 121–3 du code pénal. Celui-ci précise désormais dans son troisième alinéa qu’il y a délit « en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

Ces dispositions générales, applicables à tous, ont fait l’objet de « déclinaisons » dans le code général des collectivités territoriales, dans les articles spécifiquement consacrés aux élus locaux. Ainsi, les maires ou élus municipaux, les présidents de conseils généraux ou vice-présidents ayant reçu une délégation, les présidents de conseils régionaux ou vice-présidents ayant reçu une délégation ne peuvent être condamnés sur le fondement du troisième alinéa de l’article 121–3 du code pénal pour des faits non-intentionnels commis dans l’exercice de leurs fonctions que s’il est établi qu’ils n’ont pas accompli les diligences normales compte tenu de leurs compétences, du pouvoir et des moyens dont ils disposaient ainsi que des difficultés propres aux missions que la loi leur confie. Il convient de noter que les rédactions retenues dans le code pénal et dans le code général des collectivités territoriales sont légèrement différentes.

Le second fait référence aux missions que la loi confie aux élus, contrairement au texte général. Surtout, le texte du code général des collectivités territoriales précise plus clairement que le texte du code pénal qu’il incombe à la partie poursuivante de faire la preuve que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales.

L’objectif de la loi était de contraindre le juge pénal à apprécier concrètement la situation dans laquelle se trouvait l’auteur d’une faute d’imprudence ou de négligence. Il s’agissait de mettre fin à certains raisonnements sommaires tels que celui-ci :

- la survenance du dommage pouvait peut-être être évitée par certaines mesures ;

- l’autorité territoriale s’est vue confier par la loi le pouvoir de prendre ces mesures ;

- elle ne les a pas prises, en conséquence elle doit être condamnée pénalement quelles que soient les raisons pour lesquelles elle ne les a pas prises.

Après plus de trois ans d’application, il est encore difficile de mesurer l’influence de cette loi sur la mise en cause pénale des élus locaux, même si un sentiment de scepticisme semble se dégager. Certains jugements sont incontestablement davantage et mieux motivés que par le passé et sont donc susceptibles de permettre un meilleur contrôle de la Cour de cassation. Néanmoins, la loi ne paraît pas avoir modifié l’appréciation des juridictions répressives en matière de délits non intentionnels.

Cependant, l’application de la loi du 13 mai 1996 a, dans certains cas, conduit à des relaxes. En avril dernier, au cours de la discussion de la question orale avec débat de notre collègue M. Hubert Haenel sur la responsabilité des maires, Madame le garde des sceaux a cité les exemples suivants : « (...) une décision du tribunal de grande instance de Nîmes en date du 22 mai 1997, confirmée par un arrêt de la cour d’appel de cette ville en date du 11 mars 1999, illustre cette approche concrète et pratique à laquelle se livrent les juridictions pour apprécier la responsabilité des élus dans ce type d’hypothèse. En l’espèce, il s’agissait d’une manifestation taurine ayant provoqué un accident mortel, à la suite duquel le maire d’Aigues-Mortes avait été mis en examen. Il devait être relaxé, après examen par la juridiction répressive des diligences effectuées par cet élu. « Je voudrais également citer un jugement rendu le 4 juin 1998, par lequel le tribunal correctionnel d’Agen a relaxé un chef d’équipe de la direction départementale du Gers poursuivi après le décès d’un automobiliste provoqué par la chute d’un arbre. Analysant la mission confiée à ce fonctionnaire, le tribunal a considéré que celle-ci « consistait à recenser les anomalies et à les signaler sans qu’il soit personnellement chargé de les supprimer ». Il en a donc déduit qu’il n’incombait pas au prévenu de faire couper l’arbre par décision personnelle. »

La notion d’accomplissement des diligences normales semble pour l’instant être totalement laissée à l’appréciation des juges du fond. Dans les premières décisions qu’elle a rendues, la Cour de cassation n’a pas paru exercer de contrôle sur l’application de cette notion par les cours d’appel..Il est encore trop tôt pour estimer que la loi du 13 mai 1996 n’a pas rempli les objectifs qui lui étaient fixés. L’adoption de ce texte a pu avoir un effet dissuasif et empêcher certaines poursuites sans qu’il soit possible de mesurer cette éventuelle conséquence. Quoi qu’il en soit, il faut constater que les résultats obtenus paraissent décevants à beaucoup.

Compte tenu du constat qui vient d’être dressé, votre rapporteur a jugé nécessaire d’entreprendre une nouvelle réflexion sur la question de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels.

A ce stade, il ne paraît pas souhaitable de mettre en oeuvre dans ce domaine un régime spécifique pour les élus. La pénalisation de la société, la dérive progressive du droit pénal, dont la fonction première est la punition des fautes volontairement commises, sont des questions qui intéressent l’ensemble de la société. Les solutions devraient donc elles aussi concerner l’ensemble de la société.

Votre rapporteur souhaite pourtant souligner qu’il y a quelque légèreté à affirmer qu’un régime de responsabilité pénale propre aux élus ou aux décideurs publics serait inadmissible, qu’il porterait atteinte au principe d’égalité et aboutirait à l’impunité pour une catégorie de citoyens.

En réalité, un régime spécifique pour les élus n’aurait rien d’inconstitutionnel. Il n’existe aucune situation comparable à celle du maire qui décide de consacrer son temps libre à la gestion de sa commune et au service de ses concitoyens, sans avoir reçu aucune formation spécifique. Certes, il paraît normal que tous les citoyens soient traités de la même manière en matière de responsabilité pénale. Mais qui ne voit pas que les responsabilités qui pèsent sur les maires sont infiniment plus lourdes que celles qui pèsent sur les autres citoyens ? Qui peut croire sérieusement que le maire le plus dévoué a les moyens d’éviter tout accident sur le territoire de sa commune sous prétexte que des règlements lui font l’obligation de veiller à la sécurité ? Un régime de responsabilité spécifique aux élus locaux ne heurterait pas le principe d’égalité qui ne vaut qu’à situations comparables. Le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics présidé par M. Jean Massot a certes estimé que certaines solutions au problème de l’accroissement de la responsabilité pénale des décideurs publics heurteraient le principe d’égalité, mais a rappelé qu’il fallait prendre l’exacte mesure de ce principe qui « n’a pas fait obstacle jusqu’ici à ce que les décideurs publics fussent l’objet d’incriminations qui leur sont propres : il faut rappeler que le principe d’égalité n’a jamais empêché qu’un traitement différent s’applique à des personnes placées dans une situation différente pourvu que cette différence soit en rapport avec l’objet de la mesure. Il ne faut pas oublier non plus que certains autres principes constitutionnels parmi lesquels figure la continuité du service public s’imposent aux seuls décideurs publics ».

Le Conseil constitutionnel admet ainsi que « le principe de l’égalité devant la loi pénale, tel qu’il résulte de l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (...) ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par la loi pénale entre agissements de nature différente » (1 Décision n°80-125 DC du 19 décembre 1980).

II. LA PROPOSITION DE LOI (N° 9 RECTIFIÉ) SOUMISE AU SÉNAT : MIEUX DÉLIMITER LES CONTOURS DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

A. LES ORIGINES DE LA PROPOSITION DE LOI : RENDRE AU DROIT PÉNAL SA MISSION ESSENTIELLE DE RÉPRESSION DES FAUTES MORALEMENT CONDAMNABLES

Déjà en 1995, le groupe de travail de la commission des lois sur la responsabilité pénale des décideurs publics avait étudié la possibilité de subordonner la responsabilité pénale des personnes physiques dirigeant des collectivités à l’existence d’une faute d’une particulière gravité. Cette solution avait été finalement écartée, notamment parce qu’il paraissait problématique d’introduire en droit pénal les notions de faute lourde ou de faute grave.

Pour autant, il faut reconnaître que le droit pénal a d’abord pour fonction de réprimer des infractions commises volontairement. Même en cas de délits non intentionnels, une distinction mériterait d’être établie entre des fautes qui manifestent la volonté de faire courir un risque et des fautes qui constituent de simples imprudences. Cette distinction a été très bien éclairée par MM. Merle et Vitu dans leur traité de droit criminel.

« (...)il y a deux sortes d’imprévoyance : l’imprévoyance consciente et l’imprévoyance inconsciente. « En bien des cas, l’imprudence ou la négligence imputable à l’auteur du dommage apparaît comme le fruit d’un acte de volonté conscient et délibéré. Le conducteur pressé qui, lucidement, n’obéit pas à un signal « Stop », l’individu qui jette délibérément un objet par la fenêtre sans se soucier des passants qui pourront être blessés dans la rue, le père de famille qui remet à son enfant un objet dangereux, le chasseur qui tire sans précaution dans un bosquet, le chirurgien qui se refuse obstinément à compter les compresses, toutes ces personnes ont volontairement fait preuve d’imprudence ou de négligence. Elles ont eu conscience des dangers que comportait leur attitude, et elles ont pris le risque de provoquer un dommage en espérant que ce dommage ne se produirait pas. « En pareille hypothèse, non seulement l’acte générateur du dommage est volontaire, mais encore il n’est pas possible d’affirmer que le dommage lui-même est absolument involontaire. Il y a dol éventuel. L’imprévoyance constitue une faute tellement grave qu’elle est plus proche du dol que de la faute non intentionnelle. (...) « Les hypothèses dans lesquelles le comportement dangereux de l’auteur du dommage est imputable à l’inattention, à la maladresse ou à une simple méprise sont bien différentes des précédentes. Car dans ces cas là, tout est involontaire : le dommage et l’acte qui l’a occasionné. Il n’est donc pas inexact de qualifier ces infractions de délits involontaires. Le résultat préjudiciable est imputable à une erreur de fait. »

Il paraîtrait logique que la qualification de délit soit réservée aux fautes qui révèlent à tout le moins la conscience du risque que l’on fait courir. D’ores et déjà, la mise en danger délibérée est une circonstance aggravante des délits non intentionnels. Le progrès technique, le développement du machinisme ont entraîné l’apparition d’une multitude de risques et la mission du droit pénal n’est pas la recherche d’un coupable en présence de n’importe quel accident. Tout dommage mérite d’être réparé autant qu’il est possible et les victimes sont fort heureusement de mieux en mieux entendues par l’ensemble des juridictions. Toutefois, la réparation financière du dommage est la mission du juge civil ou administratif. Rappelons qu’en cas de faute de service commise par un agent public, le juge pénal n’est pas compétent pour la réparation civile, ce que trop de justiciables ignorent. Or, trop souvent, la recherche d’une responsabilité pénale est privilégiée, même en présence des accidents les plus imprévisibles.

Dans ces conditions, il est possible de se demander s’il ne serait pas souhaitable d’exiger une faute qualifiée pour que les délits non intentionnels soient constitués. Une telle évolution, si elle devait être généralisée, se heurterait cependant à un obstacle majeur. La circulation automobile est aujourd’hui encore à l’origine d’environ 8.000 morts par an et de 100 blessés graves par jour dans notre pays. Dans ce domaine, la menace étendue d’une répression inévitable paraît nécessaire, afin que chacun demeure constamment vigilant. Il ne paraît donc pas possible de limiter purement et simplement les délits non intentionnels aux cas où une faute grave, lourde ou inexcusable a été commise.

L’ensemble de ces considérations a inspiré la proposition de loi aujourd’hui soumise à l’examen du Sénat.

B. LE CONTENU DE LA PROPOSITION DE LOI : MIEUX DÉFINIR LES CONTOURS DES INFRACTIONS D’HOMICIDE INVOLONTAIRE ET DE BLESSURES INVOLONTAIRES

1. Modifier les articles 221-6 et 222-19 du code pénal

Exiger une faute caractérisée pour que soit constituée l’infraction d’homicide involontaire ou celle de blessures involontaires risquerait de conduire à un affaiblissement très important de la répression dans des domaines où celle-ci est particulièrement nécessaire et singulièrement en matière de circulation routière. Dans ce domaine, des négligences légères, des imprudences mineures ont des conséquences dramatiques et il est nécessaire que pèse la menace de la répression pour inciter chacun à une vigilance constante.

Aussi, la proposition de loi opère-t-elle une distinction entre les hypothèses dans lesquelles la faute a directement causé la mort ou les blessures et celles dans lesquelles la faute n’a causé qu’indirectement la mort ou les blessures.

Lorsque la faute a directement causé la mort ou des blessures, il paraît nécessaire de considérer que le délit est constitué dès lors qu’il y a faute, quelle que soit la gravité de celle-ci.

En revanche, lorsque le lien n’est qu’indirect entre la faute et le dommage, il paraît plus approprié d’exiger une faute caractérisée pour que le délit soit constitué. Dans ce dernier cas, les notions de faute lourde et de faute inexcusable n’existant pas en droit pénal, il est possible de se référer à la définition du délit de risque causé à autrui, qui n’est constitué qu’en cas de « violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

Une telle formulation paraît plus conforme que la notion de faute lourde au principe de légalité des délits et des peines, qui est respecté dès lors que l’infraction est définie « dans des conditions qui permettent au juge, auquel le principe de légalité impose d’interpréter strictement la loi pénale, de se prononcer sans que son appréciation puisse encourir la critique d’arbitraire » (1 Décision du Conseil constitutionnel n°96-377 DC du 16 juillet 1996.)

Dans cette perspective, la présente proposition de loi a pour objet, dans ses articles 1 er et 2, de modifier la définition de l’homicide involontaire et des blessures involontaires en intervenant à la fois sur la définition de la faute et sur le lien de causalité.

Deux situations seraient désormais constitutives de l’homicide involontaire (ou des blessures involontaires) :

- le fait de causer directement la mort d’autrui (ou des blessures) par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence (les peines seraient aggravées en cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements) ;

- le fait de causer indirectement la mort d’autrui (ou des blessures) par la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité imposée par la loi ou les règlements.

Ainsi, une faute simple continuerait à être suffisante pour caractériser le délit lorsqu’il existe un lien direct entre la faute et le décès (ou les blessures).

Au contraire, la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence serait nécessaire pour caractériser le délit lorsque le lien n’est qu’indirect entre la faute et le décès (ou les blessures). Une simple imprudence ne constituerait donc plus un délit en cas de lien indirect entre cette imprudence et le dommage.

2. Étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales

Par ailleurs, la proposition de loi tend, dans son article 3, à modifier l’article 121-2 du code pénal, afin de faire disparaître les limites à la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements.

Actuellement, ces collectivités ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public. Si cette limitation s’explique par une volonté de ne pas porter atteinte à la séparation des pouvoirs, elle a cependant des conséquences fâcheuses puisque, pour les activités ne pouvant faire l’objet de conventions de délégation de service public, seules les personnes physiques, et notamment les élus locaux, peuvent être mis en cause pénalement. Il en va ainsi en ce qui concerne par exemple les activités des polices municipales.

La proposition de loi tend donc à prévoir la responsabilité pénale des collectivités territoriales pour l’ensemble de leurs activités.

III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : COMPLÉTER UN DISPOSITIF SUSCEPTIBLE DE METTRE FIN À DES SITUATIONS INÉQUITABLES SANS PORTER ATTEINTE AUX DROITS DES VICTIMES

A. APPROUVER L’ESPRIT DE LA PROPOSITION DE LOI

Lorsqu’il modifie les contours d’une infraction, le législateur doit faire preuve de la plus grande prudence et tenter de cerner le mieux possible les conséquences de la modification qu’il envisage. La loi du 13 mai 1996 n’avait pas modifié le contenu d’une infraction, mais avait précisé la manière dont les faits devaient être appréciés.

La proposition de loi soumise au Sénat mérite d’être approuvée. En intervenant à la fois sur la définition de la faute non intentionnelle et sur le lien de causalité, elle doit permettre de mettre fin à des mises en cause injustifiées sans aboutir cependant à une déresponsabilisation. La proposition de loi mettra fin à l’assimilation complète de la faute pénale non intentionnelle et de la faute civile, ces deux fautes n’étant plus définies exactement de la même manière.

Le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics mis en place par le gouvernement s’est rallié à cette proposition dans le rapport qu’il a remis au garde des sceaux en décembre dernier tout en retenant une définition légèrement différente de la faute qualifiée susceptible d’engager la responsabilité d’une personne en cas de causalité indirecte.

Il paraît particulièrement nécessaire que les travaux préparatoires de la future loi précisent très clairement l’intention du législateur. C’est pourquoi, certains des termes employés dans la proposition méritent quelques explications.

1. La causalité directe

La principale interrogation que suscite la modification des articles 221- 6 et 222-19 du code pénal est celle de la distinction entre causalité directe et causalité indirecte. Dans quels cas est-il possible de considérer que le lien entre une faute et un dommage est direct ou indirect ? La réponse à cette question est délicate. Toutefois, certains éléments permettent d’apporter une réponse au moins partielle. Dans l’étude qu’il a consacrée en 1996 à la responsabilité pénale des agents publics en cas d’infractions non intentionnelles, le Conseil d’État a défini l’auteur indirect d’une infraction comme celui « qui n’a pas lui-même heurté ou frappé la victime mais qui a commis une faute ayant créé la situation à l’origine du dommage ».

Dans la même étude, le Conseil d’État a donné les exemples suivants d’auteurs indirects d’homicides involontaires :

Le responsable d’un accident ayant provoqué chez la victime un traumatisme crânien grave à la suite duquel celle-ci s’est suicidée (1)

l’automobiliste qui, ayant garé son véhicule sur le trottoir, a obligé un piéton à descendre sur la chaussée où il a été renversé par un cyclomoteur (2)

le conducteur en état d’imprégnation alcoolique qui déséquilibre un cyclomotoriste, celui-ci se faisant écraser par un véhicule roulant à la suite (3)

le directeur d’une société ayant enjoint à des ouvriers d’une société sous-traitante d’intervenir sur un chantier confié à celle-ci, les deux ouvriers s’étant blessés notamment parce qu’ils ne s’étaient pas munis de ceintures de sécurité (4)

le directeur d’usine ayant employé un ouvrier souffrant d’insuffisance respiratoire dans des ateliers empoussiérés (5)

En fait, dans la plupart des affaires d’homicide involontaire et de blessures involontaires, plusieurs causes ont contribué au danger. La recherche de la cause directe conduit à opérer une hiérarchie entre ces causes. La théorie de la causalité adéquate, mise en oeuvre par la juridiction administrative permet de ne retenir que certaines causes d’un dommage. Ainsi, dans ses conclusions relatives à l’affaire Marais (6) , le commissaire du gouvernement M. Galmot a évoqué en ces termes la question de la causalité :

« (...) l’enchaînement des événements qui précèdent la réalisation d’un dommage est, bien souvent, trop complexe pour qu’il soit possible de retenir comme causes de ce dommage l’ensemble des fautes qui ont concouru à sa réalisation (...) dans le droit de la responsabilité, la notion de cause se distingue de celle de condition nécessaire du dommage. Il appartient au juge d’opérer un choix parmi toutes ces conditions nécessaires et de ne retenir comme causes que celles qui lui paraissent liées au dommage par un rapport privilégié (...) La notion qui paraît rendre le meilleur compte des solutions jurisprudentielles est, sans doute, celle de « conséquence normale » : il faut ne retenir comme cause d’un dommage que l’événement qui, au moment où il s’est produit, portait normalement en lui ce dommage (...)

1 Cass. Crim. 14/01/1971

2 Cass. Crim. 7/02/1973

3 Cass. crim. 28/03/1973

4 Cass. crim. 24/01/1989

5 Cass. crim. 15/03/1988

6 CE, 14/10/1966, Marais.».

En matière civile, on considère souvent que « le dommage direct, c’est le « dommage nécessaire », celui qui est la « suite nécessaire » de l’événement dont le défendeur est l’auteur (...) du moment qu’il estime que l’événement a joué un rôle prépondérant, nécessaire, dans la réalisation du dommage, le juge ordonne réparation » ( H. et L. Mazeaud, J. Mazeaud, F. Chabas, « Leçons de droit civil »).

Des exemples et analyses précédemment cités, il est possible de retenir que la cause directe est le plus souvent immédiate même si ce n’est pas toujours le cas, que cette cause directe est celle qui entraîne normalement ou nécessairement le dommage, celle dont le dommage est la conséquence quasiment automatique donc prévisible.

2. La violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence

Lorsque le lien n’est qu’indirect entre une faute et un dommage, la proposition de loi tend à prévoir que l’infraction n’est constituée qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence. Il s’agit d’une évolution considérable par rapport au droit en vigueur, dans la mesure où actuellement les délits non intentionnels sont constitués en présence de la moindre imprudence ou négligence, que le lien entre la faute et le dommage soit direct ou indirect.

La violation « manifestement délibérée » d’une obligation de sécurité implique la conscience par l’auteur des faits de violer une obligation de sécurité et donc la conscience de faire courir un risque. En présence de cette rédaction, le juge pénal ne pourra plus condamner un prévenu en indiquant seulement qu’il aurait dû connaître le risque qu’il faisait courir en commettant telle ou telle faute.

Cette expression est déjà employée pour le délit de risque causé à autrui et commence à donner lieu à des décisions jurisprudentielles qui démontrent qu’il y a une différence notoire entre la simple imprudence, qui correspond au risque que l’on « peut » ou que l’on « doit » connaître, et la violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité, qui correspond au risque précis effectivement connu.

La Cour de cassation a récemment approuvé une cour d’appel qui avait déclaré des prévenus coupables de ce délit pour avoir provoqué une avalanche dans une station de sports d’hiver. La Cour d’appel avait relevé que la piste était interdite par un arrêté municipal pris pour la sécurité des skieurs, que les services météorologiques signalaient le jour des faits, un risque important d’avalanche, que les intéressés, pratiquants expérimentés, se sont engagés sur une piste barrée par une corde et signalée par des panneaux d’interdiction réglementaires, en dépit d’une mise en garde du conducteur du télésiège, enfin que les deux surfeurs n’avaient pas une vue globale du site et que la coulée de neige est passée à côté d’un groupe de pisteurs (*1 Cass. Crim., 9 mars 1999).

Cet exemple montre clairement que la violation manifestement délibérée d’une obligation n’est pas la moindre négligence ou maladresse.

Par ailleurs, aux termes de la proposition de loi, le délit ne serait constitué qu’en cas de violation d’une « obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ». Là encore, cette rédaction est celle employée dans l’article 223-1 du code pénal relatif aux risques causés à autrui. Il paraît nécessaire de faire référence à une obligation particulière de sécurité, afin d’éviter que certaines obligations définies de manière très générale puissent être utilisées pour mettre en cause pénalement des personnes après un accident.

D’ores et déjà, en application de l’article 223-1 du code pénal, le juge pénal a été conduit à rechercher si l’obligation violée était particulière. Il a parfois estimé que le délit n’était pas constitué parce que l’obligation violée était générale. Ainsi, la Cour de cassation a approuvé une chambre d’accusation

qui avait estimé que l’article L. 2212-2-5 du code général des collectivités territoriales, qui confie au maire, de façon générale, le soin de prévenir et faire cesser tous les événements survenant sur le territoire de sa commune et de nature à compromettre la sécurité des personnes, ne créait pas à sa charge d’obligation particulière de sécurité au sens de l’article 223-1 du code pénal.

La proposition de loi apporte donc des modifications sensibles au droit actuel des délits non intentionnels. Elle permettra d’éviter que le juge pénal ne soit saisi d’affaires dans lesquelles à l’évidence la protection de la société n’impose pas la sanction pénale, même si la réparation du dommage causé est tout à fait indispensable. Cette réparation doit être demandée, selon le cas, au juge civil ou au juge administratif. L’objectif de la proposition de loi n’est en aucun cas d’abaisser le niveau de la protection accordée aux victimes, mais de faire en sorte que réparation du dommage et sanction pénale ne soient plus nécessairement liés.

..B. GÉNÉRALISER LE DISPOSITIF POUR EN PERMETTRE L’APPLICATION À TOUS LES DÉLITS NON INTENTIONNELS

1. Modifier en priorité l’article 121-3 du code pénal

Après un examen approfondi, votre commission a décidé de modifier la proposition de loi pour en améliorer la rédaction. La proposition de loi modifie les articles 221-6 et 222-19 du code pénal, relatifs à l’homicide involontaire et aux blessures involontaires. Ces articles correspondent aux hypothèses de loin les plus fréquentes de délits non intentionnels. Cependant, ceux-ci sont visés de manière plus globale dans l’article 121-3 du code pénal qu’il paraît donc souhaitable de modifier afin que les dispositions nouvelles s’appliquent à l’ensemble de ces délits. On pense en particulier au délit de pollution de cours d’eau, qui a pu donner lieu à des applications contestables au cours des dernières années.

Votre commission a donc décidé de modifier la proposition de loi, afin d’inscrire dans l’article 121-3 du code pénal les évolutions proposées. Ainsi, la nouvelle rédaction pourrait s’appliquer à l’ensemble des infractions non intentionnelles, étant entendu qu’il suffit alors d’effectuer une simple référence à l’article 121-3 dans les articles 221-6 et 222-19 du code pénal.

2. Maintenir dans tous les cas la responsabilité de la personne morale

Par ailleurs, votre commission a estimé souhaitable que les restrictions apportées à la définition des délits non intentionnels ne s’appliquent qu’aux personnes physiques. Si la proposition de loi est adoptée, une personne ne pourra plus être mise en cause pour une faute légère ayant indirectement causé un dommage parfois grave. Dans certains cas, le dommage peut avoir pour origine un défaut d’organisation global d’une collectivité ou d’une entreprise et il paraît souhaitable et normal que la personne morale continue à pouvoir être mise en cause même en cas de faute légère et de lien indirect. Cela pourrait éviter des situations contestables dans lesquelles il n’existerait plus aucune responsabilité pénale. Au demeurant, la distinction entre les imprudences légères et les violations manifestement délibérées d’obligations de sécurité paraît difficilement applicable aux personnes morales. Enfin, votre rapporteur a été sensible au fait que l’une des explications du recours très fréquent à la voie pénale par les victimes est l’intérêt du procès pénal lui-même. Le procès pénal, indépendamment de la décision prise, se caractérise par l’importance de la procédure orale, par la possibilité pour tous les protagonistes de se trouver face à face. Il a pour les victimes, selon le mot de maître Daniel Soulez-Larivière, une fonction de catharsis. Comme on l’a vu précédemment, l’un des objectifs de l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales était de limiter la mise en cause de personnes physiques pour des infractions ne comportant réellement aucun élément volontaire. En pratique, la responsabilité des personnes morales n’a eu qu’un effet limité sur la mise en cause des personnes physiques. Dans ces conditions, le texte proposé par la commission aura pour conséquence que les personnes physiques ne seront plus responsables pénalement pour des imprudences ou négligences légères ayant indirectement causé un dommage, tandis que les personnes morales le resteront. En cela, il se rapproche de l’une des solutions envisagées en 1995 par le groupe de travail de la commission des lois, qui consistait à subordonner le cumul de responsabilités à une faute de la personne physique d’une particulière gravité. Néanmoins, la proposition de loi a vocation à s’appliquer à l’ensemble des citoyens et non aux seuls élus locaux. Il va sans dire que responsabilités civile et administrative pourront être mises en jeu dans les mêmes conditions qu’actuellement.

3. Procéder à des harmonisations rédactionnelles dans la définition des délits non intentionnels

Le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics a formulé quelques propositions d’harmonisation rédactionnelle qui ont retenu l’attention de votre commission. La loi du 13 mai 1996 a modifié l’article 121-3 du code pénal, afin d’imposer au juge pénal de se livrer à une appréciation in concreto. Elle a également inséré cette modification dans le code général des collectivités territoriales. Toutefois, les rédactions retenues différent légèrement. Ainsi l’article 121-3 prévoit la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels « sauf si l’auteur a accompli les diligences normales... ». Les articles du code général des collectivités territoriales sont plus exigeants puisqu’ils précisent qu’un élu est responsable « s’il est établi qu’il n’a pas accompli les diligences normales... ». Il paraît souhaitable de modifier l’article 121-3 du code pénal afin que la charge de la preuve repose clairement dans tous les cas sur l’accusation..Par ailleurs, les articles 121-3, 221-6 (homicide involontaire) , 222-19 et 222-20 (blessures involontaires), enfin 322-5 (incendie involontaire) du code pénal évoquent actuellement parmi les éléments constitutifs des délits non intentionnels ainsi que pour leurs circonstances aggravantes le manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue « par la loi ou les règlements ». Au contraire, l’article 223-1 relatif aux risques causés à autrui fait référence à une obligation prévue « par la loi ou le règlement ». Il paraît préférable de retenir cette dernière formule afin d’exprimer en termes clairs que ne sont pas concernés les manquements au devoir de prudence ou de sécurité lorsque l’obligation n’est contenue que dans des documents dépourvus de valeur réglementaire.

Enfin, votre rapporteur a constaté que les articles 221-6, 222-19, 222-20 et 322-5 du code pénal, relatifs aux délits d’homicide involontaire, de blessures involontaires et d’incendie involontaire faisaient référence, en ce qui concerne la circonstance aggravante à un « manquement délibéré » à une obligation particulière de sécurité ou de prudence, tandis que l’article 223-1 relatif aux risques causés à autrui évoquait la « violation manifestement délibérée » d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence. Votre commission propose de retenir cette dernière formulation, qui est aussi celle qu’elle a choisie pour caractériser la faute qui engage la responsabilité pénale d’une personne physique lorsque le lien entre la faute et le dommage n’est qu’indirect.

C. ÉTENDRE AVEC PRUDENCE LA RESPONSABILITÉ PÉNALE DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES EN TANT QUE PERSONNES MORALES

En ce qui concerne l’élargissement de la responsabilité pénale des collectivités territoriales prévu par la proposition de loi, votre commission a décidé, sur la proposition de votre rapporteur, de modifier le dispositif de la proposition de loi initiale, afin d’éviter une ouverture trop large de cette responsabilité.

Le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics présidé par M. Jean Massot a procédé à une analyse détaillée des avantages et des inconvénients d’une extension de la responsabilité pénale des collectivités territoriales. Au titre des avantages, il a, pour l’essentiel, relevé que la responsabilité pénale des personnes morales pourrait dans certains cas se substituer ou être mise en cause préalablement à celle d’un agent public ou d’un élu. Au titre des inconvénients, le groupe de travail a relevé que l’extension de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public pouvait être comprise comme une fuite des élus devant leurs responsabilités, que la.représentation de la personne morale dans la procédure et le procès posait certaines difficultés, que les sanctions pénales n’étaient pas toutes adaptées aux personnes morales de droit public, que les amendes seraient en réalité payées par le contribuable, qu’une telle extension renforcerait le sentiment de pénalisation de la société française, qu’enfin la cohérence du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires pouvait en être affectée. Face à ces difficultés, le groupe de travail a proposé une extension limitée de la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements. Actuellement, la responsabilité pénale n’est prévue que pour les activités qui peuvent faire l’objet de conventions de délégation de service public. La proposition de loi proposait d’étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales à toutes leurs activités.

Le groupe de travail sur la responsabilité pénale des décideurs publics a pour sa part proposé d’étendre la responsabilité des collectivités territoriales à toutes leurs activités, mais seulement en cas de manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement.

Cette ouverture limitée paraît cohérente avec les autres dispositions de la proposition de loi et votre commission a décidé de la retenir. Pour les infractions intentionnelles, il paraît normal de retenir prioritairement la responsabilité de la personne physique. En revanche, en cas de faute non intentionnelle, il n’est pas inéquitable que la responsabilité de la personne morale puisse être mise en cause plus facilement qu’aujourd’hui, cette évolution allant de pair avec une définition plus stricte des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des personnes physiques.

En revanche, votre commission n’a pas cru pouvoir retenir à ce stade la proposition tendant à prévoir la responsabilité pénale de l’Etat formulée par le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics. Le groupe d’étude a considéré que l’absence de responsabilité pénale de l’Etat méconnaissait l’égalité entre les agents publics et a donc proposé de mettre fin à cette situation. Il a cependant également noté que « Le principal obstacle à la responsabilité pénale de l’Etat tient à son rôle dans l’exercice de la répression pénale. L’Etat , qui représente la société toute entière lésée par des agissements contraires à la loi pénale, pourrait difficilement de voir poursuivi par un Parquet qui exerce l’action publique au nom de l’Etat : l’Etat serait à la fois auteur du dommage, victime, censeur et juge. Détenteur du monopole du pouvoir de contraindre, peut-il aller jusqu'à s’infliger des peines ? ». Votre commission a estimé que l’éventuelle responsabilité pénale de l’Etat méritait une réflexion très approfondie sur les avantages et inconvénients pouvant en être retirés et a écarté cette évolution à ce stade.

Afin de renforcer la cohérence du dispositif, votre commission propose de compléter cette extension de la responsabilité pénale des personnes morales par une modification de procédure pénale. Actuellement, lorsqu’une personne morale est poursuivie pénalement et que son représentant légal l’est également pour les mêmes faits ou pour des faits connexes, l’article 706-43 du code de procédure pénale prévoit que le tribunal de grande instance doit désigner un mandataire de justice pour représenter la personne morale à la place de son représentant.

Cette règle qui a pour objectif d’éviter des conflits d’intérêt entre les personnes morales et leurs représentants a en pratique des effets fâcheux. Il s’agit d’une exigence très lourde, qui limite en fait l’engagement de poursuites contre les personnes morales et incite à poursuivre prioritairement les personnes physiques.

Dans ces conditions, votre commission propose que, lorsqu’une personne morale et son représentant sont tous deux poursuivis, la désignation d’un mandataire de justice puisse être demandée par le représentant légal d’une personne morale, mais qu’elle ne soit plus obligatoire.

D. SOULIGNER QUE L’ADOPTION DE LA PROPOSITION DE LOI DOIT S’ACCOMPAGNER D’AUTRES ÉVOLUTIONS

Votre commission est convaincue que l’adoption de la présente proposition de loi constituera un progrès incontestable en mettant fin à l’identité absolue de la faute civile et de la faute pénale. Tout dommage mérite réparation, mais tout accident ne justifie pas cette « flétrissure sociale » (1 Selon l’expression de notre collègue M. Hubert Haenel lors de la discussion de sa question orale avec débat sur la responsabilité des maires le 28 avril 1999) qu’entraîne une condamnation pénale et même une mise en examen très médiatisée.

Pour autant, la présente proposition de loi ne réglera pas toutes les difficultés liées à la pénalisation de la société. D’autres évolutions sont nécessaires, dont certaines sont en cours. Ainsi, des améliorations de notre procédure pénale sont indispensables, en particulier en ce qui concerne la mise en examen.

Au cours de la discussion en première lecture du projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence en juin 1999, le Sénat a décidé de limiter la mise en examen aux cas dans lesquels il existe des indices graves ou concordants alors qu’elle est aujourd’hui possible dès qu’il existe des indices contre une personne. De même, le Sénat a étendu autant qu’il était possible le statut du témoin assisté, afin que la mise en examen ne soit utilisée qu’en cas de présomptions fortes. Ces modifications, conjuguées avec la présente proposition de loi devraient éviter un grand nombre de mises en examen prématurées pour des faits non intentionnels.

Il conviendrait également de sanctionner plus efficacement les constitutions de partie civile abusives ou dilatoires. Bien souvent, en effet, lorsque des poursuites pénales injustifiées sont engagées, elles sont le fait des parties civiles et non du ministère public. Surtout, une action d’information devrait être entreprise auprès des victimes et de leurs conseils. Comme l’a noté le groupe d’étude sur la responsabilité pénale des décideurs publics, « Il faut rappeler que le juge naturel de la responsabilité de l’administration est le juge administratif, compétent pour condamner les personnes publiques à la réparation des dommages subis par les victimes des actes des agents publics dans l’exercice de leurs fonctions ». L’amélioration des procédures administratives est dans ce contexte indispensable.

Actuellement, plusieurs projets de loi en discussion pourraient servir de cadre à des améliorations du droit actuel en matière de responsabilité pénale, notamment en ce qui concerne les décideurs publics (projet de loi renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, projet de loi relatif à l’action publique en matière pénale, projet de loi relatif au référé devant les juridictions administratives). Les futures lectures de ces textes doivent donc être l’occasion de nouvelles avancées.

La mission d’information du Sénat chargée de dresser le bilan de la décentralisation vient d’énumérer, dans le rapport qu’elle a adopté le 18 janvier 2000, de nombreuses pistes qui mériteront d’être examinées attentivement (2 Rapport n°166 -1999-2000).

E. LA RÉDACTION ADOPTÉE PAR VOTRE COMMISSION

Compte tenu de l’ensemble des observations précédemment formulées, votre commission a adopté un texte composé de six articles.

a) L’article premier : un encadrement plus strict de la responsabilité pénale pour des faits non intentionnels

Actuellement le troisième alinéa de l’article 121-3 du code pénal est ainsi rédigé : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements, sauf si l’auteur des faits a accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

Compte tenu des remarques précédemment formulées, votre commission propose, dans l’article premier du texte qu’elle a adopté de modifier et de compléter cet alinéa de la manière suivante :

« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, à condition qu’il soit établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute est la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont pénalement responsables qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence ».

Votre commission a donc retenu comme définition de la faute qualifiée la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Il lui est apparu que certaines obligations particulières de sécurité ne figurent pas nécessairement dans la loi ou dans un règlement. Il peut en aller ainsi lorsqu’un responsable s’est vu expressément notifier un danger, qu’il lui a été demandé d’y mettre fin. Il est normal de considérer que ces avertissements sont constitutifs d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence.

b) Les articles 2, 3, 4 et 5 : une harmonisation de la rédaction des articles du code pénal relatifs aux délits non intentionnels

Dès lors que l’article 121-3, article général applicable pour tous les délits non intentionnels, est ainsi modifié, il devient en pratique moins opportun de modifier les articles 221-6 et 222-19 du code pénal. Votre commission propose néanmoins de modifier ces articles, afin qu’aucune ambiguïté n’existe sur le fait que les distinctions de l’article 121-3 s’appliquent aux délits d’homicide involontaire et de blessures involontaires.

Par ailleurs, les articles 221-6 et 222-19, mais également les articles 222-20 (également consacré aux blessures involontaires) et 322-5 (incendie involontaire) méritent d’être modifiés afin que les rédactions retenues soient cohérentes entre elles et avec celle de l’article 223-1 relatif aux risques causés à autrui. Tel est l’objet des articles 2, 3, 4 et 5 de la proposition de loi..

c) Les articles 6 et 7 : une extension modérée de la responsabilité pénale des collectivités territoriales

L’article 6 de la proposition adoptée par votre commission tend à étendre la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements à toutes les activités de ces collectivités, mais seulement en cas de manquement non délibéré à une obligation de prudence ou de sécurité. Cela pourrait concerner en particulier des accidents survenus dans l’exercice des fonctions de police municipale.

L’article 7 a pour objet de modifier l’article 706-43 du code de procédure pénale, afin de prévoir que le représentant légal d’une personne morale peut demander la désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale lorsque cette personne et son représentant légal sont tous deux poursuivis. Actuellement, la désignation d’un mandataire de justice est obligatoire.

d) L’article 8 : l’application de la loi outre-mer

L’article 8 tend à prévoir l’application de la loi en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte. Une telle extension est légitime, le code pénal étant applicable dans ces territoires. Aucune adaptation ne paraît nécessaire.

Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois vous demande d’adopter la proposition de loi dans le texte figurant ci-après..

TEXTE PROPOSÉ PAR LA COMMISSION PROPOSITION DE LOI TENDANT À PRÉCISER LA DÉFINITION DES DÉLITS NON INTENTIONNELS

ARTICLE PREMIER

Le troisième alinéa de l’article 121–3 du code pénal est ainsi rédigé : « Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Toutefois, lorsque la faute a été la cause indirecte du dommage, les personnes physiques ne sont responsables pénalement qu’en cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence. »

ARTICLE 2

L’article 221-6 du même code est ainsi modifié :

I- Au début du premier alinéa, les mots : « Le fait de causer », sont remplacés par les mots : « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3 ».

II- Dans le même alinéa, les mots : « ou les règlements » sont remplacés par les mots : « ou le règlement »..

III- Au début du second alinéa, les mots : « En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements » sont remplacés par les mots : « En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

ARTICLE 3

L’article 222–19 du même code est ainsi modifié :

I- Au début du premier alinéa, les mots : « Le fait de causer à autrui », sont remplacés par les mots : « Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3 ».

II- Dans le même alinéa, les mots : « ou les règlements » sont remplacés par les mots : « ou le règlement ».

III- Au début du second alinéa, les mots : « En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements » sont remplacés par les mots : « En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

ARTICLE 4

Au début de l’article 222-20 du même code, les mots : « Le fait de causer à autrui, par un manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements » sont remplacés par les mots : « Le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement ».

ARTICLE 5

L’article 322-5 du même code est ainsi modifié :

I- Dans le premier alinéa, les mots : « ou les règlements » sont remplacés par les mots : « ou le règlement ».

II- Au début du second alinéa, les mots : « En cas de manquement délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements » sont remplacés par les mots : « En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement ».

ARTICLE 6

Les deux derniers alinéas de l’article 121–2 du même code sont ainsi rédigés :

« Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l’exercice d’activités susceptibles de faire l’objet de conventions de délégation de service public sauf s’il s’agit d’une infraction constituée par un manquement non délibéré à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement.

« La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article 121-3. »

ARTICLE 7

La troisième phrase du premier alinéa de l’article 706-43 du code de procédure pénale est ainsi rédigée : « Toutefois, lorsque des poursuites pour des mêmes faits ou des faits connexes sont engagées à l’encontre du représentant légal, celui-ci peut saisir par requête le président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d’un mandataire de justice pour représenter la personne morale. »

ARTICLE 8

La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis-et-Futuna et dans la collectivité territoriale de Mayotte.